Jusqu'à 1994, les pouvoirs publics ont toujours affirmé avec force leur refus du rééchelonnement. Cette attitude relève de plusieurs raisons. Les unes sont d'ordre socio - politique et idéologique, alors que les autres sont d'ordre économique.
Il est naturellement difficile pour des pouvoirs publics qui, durant plus de deux décennies, déclaraient combattre l'ingérence libérale d'en accepter le principe comme il est tout aussi difficile pour eux de convaincre l'ensemble des partenaires de la nécessité d'un rééchelonnement si elle venait à s'imposer. Les pouvoirs publics préfèrent une approche gradualiste des réformes. Ils tentent de conserver le "pilotage" de ces dernières. Il s’agit d’une question de souveraineté nationale dont ils ne peuvent se départir. Par ailleurs, ils redoutent d’affronter une opinion publique, déjà violemment heurtée par la nouvelle ambiance sociale. La "brutalité" des ajustements qu'induirait un rééchelonnement ne pourrait qu’exacerber le climat général.
Le rééchelonnement implique un "changement de société"149 assez brutal lequel ne peut recevoir l'aval de tous les partenaires, particulièrement de ceux qui ont été précarisés par les longues années de récession et qui pensent que le rééchelonnement aura pour effet d'empirer leur situation. Le sentiment d'injustice et de frustration qui règne chez les couches sociales défavorisées est d'autant plus grand qu'elles pensent, à juste titre, que la fracture sociale s'est élargie durant les dernières années de la décennie quatre-vingts. La libéralisation, même à ses premiers pas, a convaincu les couches sociales défavorisées que la richesse, exhibée de manière ostentatoire, de certains groupes sociaux est de fraîche date est indue par voie de conséquence. Le changement de société, amorcé par les réformes et que le rééchelonnement peut précipiter, est vécu comme un "complot" qui aurait bénéficié de l'appui des pouvoirs publics.
Le rééchelonnement est vu comme un aveu d'échec, voire de banqueroute, de la politique économique et sociale poursuivie jusque-là. Les pouvoirs publics vont tout entreprendre pour éviter le rééchelonnement afin de ne pas heurter une opinion publique très sensible aux questions nationales et dont il ne faut pas accroître la méfiance qu'elle leur manifeste depuis octobre 1988. La décision est d'autant plus difficile à prendre que le personnel politique dirigeant reste fondamentalement le même aux yeux de la population. En acceptant le rééchelonnement, il sera difficile pour ce même personnel de se faire accréditer d'une nouvelle confiance, d'un nouveau mandat pour mener à bien le nouveau projet alors qu'il est perçu comme le seul responsable de l'échec.
Paradoxalement, les effets d'un rééchelonnement sont appréhendés avec pessimisme par une partie du personnel politique qui a su tirer avantage de l'économie administrée et qui souhaiterait conserver sa position dominante. Il en est de même pour certaines entreprises des secteurs privés officiel et informel qui redoutent une certaine transparence qu'engendrerait le rééchelonnement laquelle aurait pour effet de réduire leurs profits spéculatifs.
On ne peut oublier de souligner l'existence d'un large secteur public industriel, caractérisé par de multiples dépendances vis à vis de l'étranger, qui redoute la confrontation avec l'extérieur d'autant plus qu'il n'a pu se départir encore des réflexes de l'économie administrée et qu'il a été particulièrement affaibli par la récession.
C'est dans ce contexte menaçant que l'Algérie traite le problème de sa dette extérieure. Sur le plan stratégique, on préfère donc une démarche gradualiste qui permet de poursuivre l'action des réformes par petites touches tout en se réservant la possibilité de marquer une pause au cas où la société montrerait des difficultés à absorber le traitement. Au contraire, le rééchelonnement pourrait rendre la situation incontrôlable du fait de l’accélération qu’il ne manquera pas d’imposer au rythme des réformes. On peut noter par exemple que les pouvoirs publics ont opposé un net refus au Fonds Monétaire International au début de l'année 1993 quant à la poursuite de l'ajustement du dinar. "La dévaluation de 1991 a été vécue comme un événement traumatisant par les employeurs aussi bien que par les employés150.
L'approche gradualiste du traitement de la dette extérieure reposait sur les éléments de stratégie suivants :
l'Algérie n'est pas un pays très endetté. Il souffre d'un problème de liquidités et que, par voie de conséquence, la crise de la dette serait conjoncturelle et non structurelle. C’est la thèse officielle, acceptée d’ailleurs par le Fonds Monétaire International lors de l’accord stand by (1990 / 1991). Aussi, n'est- il pas nécessaire de demander un allégement par un rééchelonnement dont la conditionnalité serait difficile à assumer. La concentration des échéances, durant les dernières années de la décennie quatre-vingts, est le résultat de la dette contractée au début de la même décennie et de celle, à des conditions de délai moins avantageuses, qui date de l’après "contre - choc pétrolier". La durée moyenne de l'ensemble des engagements a beaucoup diminué, passant de 9,5 ans en 1986 à 3,5 ans seulement en 1989151. Cette situation s’est perpétué durant les premières années de la décennie quatre-vingt-dix. Sur la base de l'encours tiré en fin 1989, on estimait à plus de 70 % la part de la dette venant à échéance entre 1990 et 1993152. La Banque Mondiale souligne le même phénomène de concentration des échéances : 52 % de la dette à moyen et long termes, à la fin de 1991, doivent être amortis entre le début de 1992 et la fin de 1993153. 67 % devaient l'être entre le début de 1992 et la fin de 1994154 ;
le second élément repose sur l'exploitation des hydrocarbures. La loi n° 91/21 du 04 décembre 1991 modifie la législation en la matière en autorisant les compagnies étrangères à acquérir des intérêts en Algérie à condition que la SONATRACH détienne au moins 51 % des parts. De l'appel aux compagnies étrangères, on espérait des droits d'entrée substantiels et une augmentation de la production grâce, notamment à l'apport de nouvelles technologies. Lors d'un entretien télévisé, Monsieur A. GHOZALI, alors Premier ministre, déclarait que ces droits pourraient s'élever à 4 ou 5 milliards de dollars155. Selon les projections de l'époque, les recettes d'exportation devaient faire un bond significatif dès 1992. L'augmentation attendue dès cette année était de l'ordre de 3 milliards de dollars (cf. tableau n° 25 du prochain paragraphe) ; grâce au vaste programme de réformes, déjà engagé, et le relèvement prochain des exportations d'hydrocarbures, les pouvoirs publics espéraient convaincre les partenaires créanciers que la crise de la dette est conjoncturelle et que, par voie de conséquence, son traitement ne nécessite pas un rééchelonnement. La "bosse" du service de la dette pourrait être passée si ses mêmes partenaires consentiraient à accorder des financements exceptionnels.
M. BENACHENHOU, op. cité, p. 196.
Fonds Monétaire International : document SM/93/9 du 15 janvier 1993, p. 18. En moyenne de
période, le dollar est passé de 8,958 dinar en 1990 à 18,433 en 1991 (Banque Mondiale,
document op. cité, p. 4).
HADJ NACER.A.R.: Financements extérieurs de l'économie algérienne in Algérie-Actualité (Hebdomadaire national) , n° 1305 du 18 au 24.10.1990, p. 10.
Idem, op. cité, p. 10.
Banque Mondiale : document M : bp/ALG/STRAT du 17.06.92, p. 2.
Banque Mondiale : op. cité, p. 2.
S.A. GHOZALI (Chef du gouvernement) : Débat télévisé, Décembre 1991.