La stratégie de refinancement allait révéler ses limites. Deux années et demie après sa mise en oeuvre, l'Algérie se trouve dans l'impossibilité de continuer à servir sa dette et acceptât le principe d'un rééchelonnement classique.
La raison essentielle est incontestablement liée au prix du pétrole. Tout le scénario de refinancement en dépend. En effet, le calcul anticipe les besoins de financement sur la base des recettes d'exportation attendues, du service de la dette et des importations. Sur ces trois variables, seules les importations sont ajustables jusqu'à un certain niveau par les pouvoirs publics. Le service de la dette est quasiment une donnée dans le court et moyen termes. Les recettes des exportations constituent, quant à elles, une donnée exogène. Le risque que comporte tout travail de prévision, les concernant, est d'autant plus grand que l'est le degré de leur concentration.
En comparant les prix anticipés dans le scénario de la Banque d'Algérie à ceux qui ont été réalisés, on est frappé par leur écart. Le tableau n° 28 permet de rendre compte de l'optimisme des hypothèses retenues.
1990 | 1991 | 1992 | 1993 | 1994 | |
1 - Prix anticipés | 20,5 | 22,5 | 28,5 | 28,5 | 23,4 |
2 - Prix réalisés | 24,3 | 20,5 | 20 | 18,4 | 15-16* |
3 - Ecart (1) - (2) | - 3,8 | + 2 | + 8,5 | + 10,1 | + 8,5 |
Source : 1 - HADJ NACER. A.R , op. cité, p. 11. 2 - Revue d'économie n° 7 Août 1993, p. 20. * Les prix de 15 à 16 $ sont ceux réalisés effectivement durant le premier trimestre de l'année 1994. |
Exception faite de l'année 1990, le scénario du refinancement a systématiquement exagéré à la hausse les prix anticipés. Les erreurs de prévisions sont de 30 %, 35 % et 36 % pour 1992, 1993 et 1994 respectivement. Compte tenu de la part des hydrocarbures dans les recettes d'exportation, on devine facilement la répercussion de ces écarts sur le service de la dette et son ratio d'une part, et les besoins de financement d'autre part ; et enfin de compte sur le scénario de refinancement lui-même.
Un simple calcul peut nous montrer l'étendue des erreurs de prévision. En considérant les deux seules années 1992 et 1993, principales années visées par la stratégie de refinancement d'une part, et les quantités prévues pour les différents produits pétroliers à l'exportation et leurs prix respectifs d'autre part, on peut traduire l'écart induit par ces erreurs. On pourra remarquer que ce calcul ignore les exportations de gaz et les écarts entre quantités réellement exportées et celles prévues par le scénario.
Ce dernier retient les mêmes prix pour les produits raffinés, le condensât et le brut. Pour 1992 et 1993, les quantités totales se rapportant aux trois produits sont respectivement de 896.000 et 918.000 barils/jour162. En appliquant l'écart de prix sur l'année, nous obtenons un différentiel de recettes de 2.779,84 millions de dollars pour la première année et de 3.384,207 pour la seconde, soit l'équivalent de 19 % et de 22,5 % des recettes d'exportation d'hydrocarbures prévues respectivement pour ces deux années.
Il est manifeste que les écarts réels sont nettement plus élevés compte tenu des limites, signalées plus haut, de notre calcul et de l'optimisme du scénario concernant les exportations hors hydrocarbures. Le tableau n° 29 montre que le service de la dette, son ratio et, par conséquent, les besoins de financement projetés sont négligeables par rapport à la réalité.
Années | Exports de | Imports de | Service de | Besoins de financement (BF) | ||
biens et services | biens et services | la dette | B.F |
Ecart (a) |
Ecart (b) |
|
1990 1991 1992 1993 1994 |
13.535 12.793 12.168 11.156 9.698 |
12.448 10.643 12.606 11.497 12.917 |
8.805 9.170 9.324 9.168 9.464 |
- 7.718 - 8.825 - 7.799 - 10.618 - 11.266 |
1.622 1.661 2.880 4.959 3.969 |
1.622 3.925 5.403 7.050 4.878 |
Source : Construit à partir des tables de la dette 1996 et du tableau n° 26. |
L'analyse du tableau n° 29 doit se faire avec les deux réserves suivantes :
les données concernant les exportations et les importations de biens et services ne sont pas directement comparables à ceux du tableau n° 25, ces derniers ne prenant en compte que les marchandises. Ce qui a pour effet d'exagérer à la hausse le ratio du service de la dette et à la baisse les besoins de financement ;
le service de la dette et les besoins de financement concernant l'année 1994 ne tiennent pas compte du rééchelonnement intervenu cette année.
En tenant compte de ces deux réserves, on peut faire les commentaires suivants :
en faisant des hypothèses très hautes sur le prix du pétrole, le scénario de la Banque d'Algérie sous-estime les besoins de financement. En comparant les besoins de financement effectifs à ceux prévus dans le cas d'un statu-quo (écart a) et d'une stratégie de refinancement (écart b), on s'aperçoit de l'ampleur des erreurs de prévisions, particulièrement dans ce dernier cas. Cet écart équivaut à 70 % des besoins de financement effectif en 1992 et à 66 % en 1993. L'erreur de prévision est d'un ordre plus grand sachant que la stratégie de refinancement a eu pour effet une baisse des besoins de financement ;
en considérant que le montant global de 3.600 millions de dollars, obtenu au titre du refinancement ait été libéré sur 1992 et 1993 seulement, on s'aperçoit que seul 1/5 du service de la dette effectif a pu être couvert par ce montant. Si l'on ajoute 1994, année concernée par le refinancement italien, ce chiffre baisserait alors à 13 % seulement ;
le ratio du service de la dette est nettement plus élevé que celui prévu dans tous les cas de figure. En 1994, année où le premier accord de rééchelonnement est signé, il faut presque la totalité des recettes d'exportation de biens et services pour couvrir le service de la dette. Pour cette même année, les besoins de financement dépassaient ces recettes d'un montant de 1.568 millions de dollars.
Au vu de ces chiffres, doit-on parler de scénario de refinancement ou de scénario sur les prix du pétrole ? Il s'agit incontestablement de ce dernier. Les chiffres deviennent "manipulables" à merci, en Algérie, quand on fait des hypothèses hautes sur les prix du pétrole.
Au - delà des erreurs de prévision, le scénario de refinancement a échoué quant aux objectifs qu'il s'était donnés. On espérait retrouver la confiance des milieux financiers afin de mobiliser des crédits à long terme qu'un rééchelonnement classique interdirait de fait. L'examen de la structure des nouvelles mobilisations montre que celles-ci sont restées dominée par les crédits commerciaux à hauteur de 65 %, 62 % et 66 % pour 1991, 1992 et 1993, respectivement, contre 68 % pour 1989163. Le scénario reproduit les mêmes causes à la concentration des échéances alors qu'il prétendait les combattre.
Les flux nets sur l'ensemble des crédits privés sont devenus négatifs à partir de 1990 et le sont restés jusqu'à1993, exception faite de 1992 où ils ont atteint quelque 200 millions de dollars. Au total, les transferts nets au titre de la dette ont été de 2.395 Millions de dollars en moyenne entre 1990 et 1993, comprises, contre 62 en 1988 et 610 en 1989164.
Pour dégager de tels montants, l'Algérie a été obligée de s'imposer d'importants excédents de son compte courant comme nous l'avons noté plus haut. La politique de refinancement se donnait pour but essentiel d'écrêter le service de la dette pour que soient dégagées des ressources en devises suffisantes afin de retrouver une meilleure capacité d'importation et de relancer par voie de conséquence l'appareil de production qui souffre déjà depuis 1986 d'une pénurie d'intrants. Malgré l'échec patent de cette politique, les pouvoirs publics persistaient à refuser l'alternative d'un rééchelonnement qui devenait pourtant inéluctable. Le 14 décembre 1993, le chef du gouvernement déclarait que "le gouvernement algérien a finalement choisi le refinancement multilatéral de sa dette extérieure, écartant de nouveau l'option extrême du rééchelonnement qui aurait mis la politique économique du pays entre les mains du Club de Paris et de Londres avec toutes les conditionnalités qui y correspondent, dans un contexte déjà lourd de menaces »165. Quelques mois plus tard, seulement, le rééchelonnement est reconnu comme inéluctable.
HADJ NACER. A.R , op. cité, p. 10.
Tables de la dette 1996.
Idem.
R. MALEK (Chef du gouvernement) : Déclaration rapportée par Le Matin (quotidien national ) du 08.03.1994.