3.4 - Le rééchelonnement.

Dans les deux années qui suivent, l'Algérie allait signer deux accords de rééchelonnement avec le Club de Paris et un autre avec le Club de Londres. On estime à plus de 50 % de l'encours la part de la dette qui a été restructurée.

Faute d'informations suffisantes sur les termes de ces accords, nous nous limiterons ici à leur présentation et à quelques observations.

Le premier rééchelonnement avec le Club de Paris a été obtenu en fin mai 1994 suite à un accord "stand by" d'une année avec le Fonds Monétaire International.166 Ce sont 4.400 millions de dollars qui sont restructurés sur une période de 16 ans dont 4 de grâce. Le paiement du service de la dette au titre des montants rééchelonnés ne reprendra donc qu'en mai 1998. La méthode de paiement retenue est dite mixte. Elle consiste à régler deux échéances dans l'année, l'une au 30 mai et l'autre au 30 novembre. Elle est progressive car les montants décaissés au titre du service de la dette, au terme de la période de grâce, augmenteront au fur et à mesure. Ainsi 52 % des montants dus voient leur paiement étalé sur les neuf premières années. Les 48 % restant sont réglés durant les trois dernières années167. Par ailleurs, le Fonds Monétaire International apporte 1.250 millions de dollars au soutien de la balance des paiements. La période de remboursement est de 5 ans dont 3 de grâce168. C'est donc un montant de 5.240 millions de dollars qui est libéré immédiatement compte tenu d'un tirage sur le Fonds Monétaire International de 840 millions169.

L'Algérie se présentera une seconde fois devant le Club de Paris en juillet 1995 et pour la première fois devant celui de Londres pour un accord de rééchelonnement de sa dette privée. Ce dernier ne sera finalisé qu'en juin 1996.

Le rééchelonnement de 1994 a ramené le ratio du service de la dette, d'après les tables de la dette à 55,3 % au lieu de 96 % si cet accord n'était pas intervenu. Dès 1995, ce ratio devait remonter à 84 %170. Les accords avec les deux clubs soutenus par une facilité de financement élargie du Fonds Monétaire International se distinguent du premier rééchelonnement par l'effet continu et à la baisse qu'ils exercent sur le service de la dette et son ratio. La facilité de financement accordé par le Fonds Monétaire International porte sur 3 ans. Les remboursements se feront sur une période de 10 ans dont 5 de grâce. Ce programme devait apporter un meilleur soutien à la balance des paiements. Il permet, par ailleurs, de mobiliser des ressources auprès de la Banque Mondiale, les banques régionales et d'accéder au financement compensatoire destiné à pallier la baisse du prix des hydrocarbures et/ou une hausse de ceux des céréales.

Les ressources directement libérées par le second accord avec le Club de Paris se répartissent comme suit171 :

Le montant consolidé de 7 milliards de dollars est remboursable sur une période de 13 ans dont 4 de grâce. Ce n'est qu'au second semestre de l'année 1999 que les remboursements, calculés selon la méthode dite mixte, reprendront.

Le rééchelonnement avec le Club de Londres, conclu le 27.06.1996, libère quant à lui un montant total de 3.200 millions de dollars dont 1.100 millions déjà refinancés par l'accord avec le Crédit Lyonnais et concerne les échéances s'étalant du début 1994 à la fin de 1997172. Les montants obtenus se répartissent comme suit :

Au total, ce sont 14.600 millions de dollars qui ont fait l'objet de rééchelonnement, soit plus de 50 % du stock de la dette estimé à 28 milliards en 1994. Pour avoir une idée exacte sur l'importance de ressources dont disposera l'Algérie, au titre des différents rééchelonnements et des accords qui les accompagnent, il faut ajouter à ce montant celui qui sera obtenu grâce à la facilité élargie et au financement compensatoire. D'après G. HIDOUCI qui cite une source du Fonds Monétaire International, le montant total des financements exceptionnels se monterait à 22 milliards de dollars sur la période couverte par l'accord173.

Malgré cette importante injection, les avis restent très partagés quant aux évolutions prochaines de l'économie algérienne compte tenu de celles du stock de la dette et du ratio de son service. D'après les prévisions officielles, le stock de la dette resterait en dessous de 40 milliards de dollars d'ici l'an 2004 et le ratio du service de la dette en dessous de 50 %. On veut assurer qu'il n'y aura pas un troisième rééchelonnement. On attend du secteur des hydrocarbures une croissance de 10 % en 1996 contre 3,5 % déjà enregistrés en 1995174. A moyen terme, tous les espoirs sont reportés sur le secteur des hydrocarbures. ‘"Nous ne comptons pas, pour le moment, sur l'industrie et le BTPH pour obtenir les devises nécessaires au remboursement de la dette extérieure"’ 175 écrit BENBITOUR alors ministre des finances. Que dire des ces prévisions quand on sait qu'elles sont étroitement liées au prix et aux quantités d'hydrocarbures exportées ? Selon l'avant-projet du plan à moyen terme, le secteur des hydrocarbures contribue pour plus de la moitié aux ressources budgétaires de l'Etat, pour 25 % au PIB et approvisionne le marché intérieur pour une contre-valeur de 2,8 milliards de dollars176. Malgré les projets entrepris et qui devraient porter la production du pétrole de 750.000 barils/jour en 1994 à 1,2 millions en l'an 2000 et doubler les exportations de gaz dans la même période, le niveau des recettes attendues, sur la base d'un prix oscillant entre 17,5 dollars et 18, est à peine de 14,5 milliards de dollars, soit légèrement supérieur à celui du début des années quatre-vingts177. Par ailleurs, on ne sait pas dans quelle mesure ces prévisions tiennent-elles compte de la reprise des exportations irakiennes et de l'effet qu'elles exerceront sur l'offre et les prix de l'OPEP par conséquent178.

L'avant-projet du plan à moyen terme insiste sur la nécessité, dans le long terme, d'une rupture avec le modèle de financement qui a reposé jusqu'ici sur la rente pétrolière179. Les textes doctrinaux de l'Algérie affirmaient déjà ce principe dès le début de la décennie soixante-dix. Dans le moyen terme, l'Algérie ne semble pas avoir d'autre alternative que celle de développer le secteur des hydrocarbures pour retrouver sa solvabilité extérieure. Le ratio du service de la dette qui se situerait à 54 % en l'an 2000 selon l'avant-projet180 du plan et à 60 %181, dès la fin de l'accord de confirmation, d'après des sources moins optimistes et la nature du programme d'ajustement structurel interdisent de fait toute stratégie de redéploiement économique national. En effet, comme l'écrit H. BENISSAD ‘"en aucun cas, un programme d'ajustement structurel n'est un programme de développement ; c'est un ensemble de mesures conjoncturelles, de lutte contre l'inflation et les déséquilibres externes actuels ou potentiels, dans une économie de marché"’ 182.

Le programme d'ajustement structurel intervient à un moment où les entreprises et leur environnement institutionnel et macro-économique ne sont toujours pas assainies. Le nouveau dispositif institutionnel, engagé dès la fin de la décennie précédente, avait certes pour but d'introduire des critères d'efficacité en libérant les entreprises des injonctions centrales. Mais, n'aurait-il pas fallu les assainir au préalable d'une situation héritée du passé et dont elles n'étaient pas les seules à en être responsables ? La pratique des prix administrés sans rapport avec les coûts réels, la confiscation de leurs dotations aux amortissements et le manque de fonds de roulement sont autant de raisons pour soutenir cela.

Le renouvellement de leurs équipements, le dégraissement de leurs effectifs, le délestage des activités de sous-traitance et leur recapitalisation sont autant de conditions qu'il fallait réunir pour leur permettre d'affronter l'environnement concurrentiel qui se mettait en place. Les entreprises sont passées brutalement d'une situation à une autre sans qu'elles n’y soient préparées. Elles devront affronter une concurrence déloyale tant sur le plan des coûts et des prix, compte tenu de leurs moyens, que sur celui de l'accès aux moyens de paiements extérieurs, se faisant désormais sur la base du cash. La libération totale des importations a eu pour effet d'évincer les entreprises publiques déficitaires au profit d'une jeune "bourgeoisie" aux allures "bazaristes" et corrélativement, les biens d'équipements et semi-produits au profit des biens de consommation et de ceux revendus en l'état.

Le cortège de conditionnalités du programme d'ajustement structurel (dévaluation, libération des prix, politiques monétaire et budgétaire restrictives) renforce le caractère libéral des réformes. Le rétrécissement brutal de la demande solvable pénalise les entreprises, particulièrement celles qui se trouvent en difficulté183. Une partie d'entre elles est menacée de disparition. Le passage brutal d'une économie administrée où les entreprises figuraient comme de simples démembrements de l'Etat à une économie libérale est qualifiée par H. BENISSAD comme une "avancée dangereuse"184.

Au terme de cette section, on peut retenir que les réformes engagées dès la fin de la décennie précédente, sont intervenues dans un contexte récessif. La chute du prix du pétrole de 1986 révèle tout en les amplifiant les difficultés structurelles d'un outil de production immature. Malgré les goulots d'étranglement qui s'accumulaient, les pouvoirs publics ont repoussé jusqu'à 1994 le principe du rééchelonnement en invoquant la question de la souveraineté nationale.

Le refus d'admettre que la crise de la dette renvoyait à l’échec de la construction du système productif s'est traduit par une tentative d'allégement du service de la dette grâce à la politique de "reprofilage". L'échec de ce scénario aboutit au rééchelonnement à un moment où l'Algérie souffrait d'un étranglement financier après s'être imposée, durant une décennie, une sévère austérité à son économie et à toute la société qui ont connu un net recul.

Le rééchelonnement lui permet de redisposer d'une part plus substantielle de ses recettes d'exportation mais avec un mode pour leur emploi. Contrairement à l'approche gradualiste que les pouvoirs publics espéraient consensuelle, ce dernier impose un ajustement brutal à toute la société sans que celle-ci y ait été préparée au préalable. Les difficultés d'absorption de cette thérapie de choc tant sur le plan économique que social accroissent la précarité générale.

Notes
166.

Ministère des Finances : Présentation du programme économique et financier de trois ans

soutenu par un accord de facilité de financement élargie du FMI, Mars 1995, p. 19.

167.

Le Matin (quotidien national) du 22 juillet 1995.

168.

Ministère des Finances, op. cité, p. 9.

169.

Tables de la dette 1996.

170.

Avant projet du rapport portant stratégie de développement économique et social à moyen terme.

171.

LIBERTE (quotidien national) du 23/07/95.

172.

A. KERAMANE (Gouverneur de la Banque d'Algérie) : Déclaration rapportée par "La Tribune" (quotidien national) du 30.06.96.

173.

G. HIDOUCI : L'Algérie peut-elle sortir de la crise ? in Monde Arabe, Maghreb, Mechrek n° 149 Juil/Sept. 1995, p. 33.

174.

A. BENBITOUR (Ministre des finances), in « El Wattan » (quotidien national) du 05/08/1996

175.

Idem

176.

Avant-projet de rapport portant "Stratégie de développement économique et social à moyen

terme", p. 29.

177.

Avant-projet de rapport portant "Stratégie de développement économique et social à moyen

terme", p. 29.

178.

S. GOUMEZIANE: "A nouveau le mirage pétrolier" in Monde diplomatique de sept 96, p. 4.

179.

Avant-projet du plan à moyen terme, op. cité, p. 19.

180.

Idem, p. 19.

181.

H. BENISSAD : "Le PAS n'est pas un programme de développement" in La Nation (quotidien national) du 30 juillet au 5 août 1996.

182.

Idem.

183.

H. BENISSAD, op. cité,

184.

Idem.