Chapitre II : Rente, prix du pétrole, dette et leur place dans la doctrine algérienne de développement.

Introduction.

L'Algérie dispose d'une importante rente au titre de sa richesse en hydrocarbures. L'analyse économique, en général, devrait prendre en charge cette spécificité. On a pris l'habitude dans les statistiques internationales d'isoler les pays de l'OPEP du reste des pays en voie développement. Dans leurs comptes de la nation, on éclate le PIB entre secteur des hydrocarbures et le reste de l'économie. On veut souligner par cette présentation le poids de la rente dans ces économies et la sensibilité de ces dernières au secteur des hydrocarbures dont la mise en valeur est essentiellement tournée vers l'extérieur. Qu'en est- il du statut de l'endettement de ces pays ? Devrait-on accepter, pour ces pays, tels quels les enseignements du point de vue dominant dans les pays en voie de développement, à savoir que la crise de l'endettement résulterait de facteurs externes, ou rechercher à nuancer l'analyse en tenant compte de la spécificité de ces pays ?

L’argument «externe», ou la montée de l’endettement des pays producteurs primaires (titulaires d’une rente) lié à une évolution défavorable des paramètres internationaux, consisterait à expliquer que la spécialisation primaire est un processus subi et impulsé de l’extérieur. Ce dernier est du au jeu de l’avantage comparatif de court terme qui est en permanence consolidé par ‘une « mécanique de spécialisation inégale »’. Cet argument est difficilement acceptable pour l’Algérie qui, depuis son indépendance, n’a pas vraiment joué le jeu de l’intégration au marché mondial. L’appropriation de la rente par l’Etat qui devient de ce fait le premier entrepreneur est une spécificité majeure de l’Algérie.

La rente étant elle-même un transfert du reste du monde vers l'Etat titulaire au titre du droit qu'il exerce sur la richesse du sous-sol, il devient difficile d'admettre, dans ce cas, que la montée de l'endettement soit le résultat d'un nouveau mode de régulation internationale, au fait d'un mode d'exploitation, au profit des bailleurs de fonds. Les différents chocs d'origine exogène qui sont provoqués, par une hausse des taux d'intérêts réels, une détérioration des termes de l'échange et un change défavorable entre les monnaies des paiements et des recettes ne peuvent figurer dans l'analyse de la montée de l'endettement que comme éléments de seconde importance. L'axe de recherche à privilégier, selon nous, est la relation entre la rente et la dette. Une telle direction doit nous conduire à mettre en évidence les facteurs internes de la montée de l'endettement sans ignorer cependant le poids de l'environnement international.

Dès le début des années soixante-dix, les possibilités de financement de l'accumulation se sont élargies pour l'Algérie grâce au changement du rapport de force entre les Etats de l'OPEP et les pays consommateurs. La récupération des richesses en hydrocarbures et le "boom" pétrolier ont permis d'asseoir une solide solvabilité extérieure. L'Algérie allait mettre à profit ces deux "atouts" pour financer son accumulation.

En s'ajoutant l'une à l'autre, la rente et la dette ont financé un vaste programme de développement sans rapport avec le surproduit hors hydrocarbures. La nature de ces deux sources de financement est particulière. La rente est liée à l'extraction et l'exportation d'un produit non reproductible d'une part, et au rapport de force entre les Etats producteurs et les pays consommateurs d'autre part. Son volume et son pouvoir d'achat dépendent d'un jeu d'intérêts fort complexe qu'un petit pays producteur comme l'Algérie ne peut espérer orienter à son profit. Quant à la seconde source, on sait que tôt ou tard tout débiteur devra faire face au problème du transfert.

La nature de ces deux sources de financement, liée l'une à l'autre, impose de rechercher à terme à leur substituer une autre qui soit permanente. Celle-ci ne peut émerger que du système productif dont le financement est assuré par ces deux sources. Sur le plan théorique et dans le cas de l'Algérie, le schéma des "industries industrialisantes" apportait une réponse. Il s'agissait de s'accommoder d'une dépendance nécessaire vis à vis de ces deux sources le temps de construire un système productif.

L’objet de ce chapitre est méthodologique. La première section rappellera le statut de la rente dans la théorie économique. La deuxième sera consacrée à mettre en évidence les éléments saillants qui ont dominé le débat sur le prix du pétrole. La troisième permettra de saisir la façon dont le décideur algérien appréhendait la relation entre la rente et la dette.