1.1.2 - La place de la rente dans la théorie de la répartition.

La théorie de la répartition189 met en oeuvre deux hypothèses : la loi des rendements décroissants comme phénomène naturel et le salaire de subsistance qui est, à la fois, une donnée biologique et historico-sociale et qui consiste en une somme constante de biens. Aussi, les rapports de distribution entre les propriétaires fonciers, les capitalistes et les salariés se trouvent-ils déterminés par ces deux hypothèses. C'est bien de ces rapports que dépend l'accumulation du capital et le progrès en général.

Pour le montrer, D. RICARDO s'interroge sur les lois qui déterminent le profit qu'il place au coeur de son système car il est, à la fois, le mobile et le moyen de l'accumulation du capital. Il le définit comme un revenu résiduel. ‘"Le surplus du produit de la terre, après que le propriétaire et les travailleurs sont payés, appartient nécessairement au fermier et constitue les profits de son capital"’ 190.

Dans le système de D. RICARDO, le taux de profit dépend directement du prix du salaire ou de son équivalent, à savoir celui des produits de subsistance qui constituent la nourriture de l'ouvrier. Pour le montrer, partons de la terre marginale, celle qui ne dégage pas de rente. Le produit qu'elle rend se divise nécessairement en salaires et profit.

Avec un capital de même grandeur que celui employé sur les terres plus fertiles, elle dégage une quantité de produits moindre car la productivité du travail qui dépend de la fertilité y est moindre. Le taux de salaire réel étant constant, le profit en termes physiques ne peut que diminuer. La loi de l'égalisation des taux de profit, expression de la concurrence entre capitalistes, finit par imposer le taux de profit tel qu'il s'est dégagé sur la terre marginale à toute l'agriculture. Les capitalistes exploitant des terres plus fertiles seront obligés de se satisfaire de ce même taux. Les propriétaires fonciers sont alors en mesure de s'approprier le surplus191 sous forme de rente.

Plus la productivité du travail, entraînée par la loi des rendements décroissants, baissera plus le taux de profit fera de même et plus la rente augmentera. En effet, la masse de produits distribués aux ouvriers croît plus vite, en termes réels, que le produit total car la productivité du travail est décroissante d'une part, et le taux de salaire réel est constant d'autre part. Le prix du salaire haussera car la nourriture de l'ouvrier contiendra plus de travail.

La baisse du taux de profit se généralise à l'industrie par le système des prix relatifs. Les produits du sol et du sous-sol coûteront relativement plus cher que ceux de l'industrie où la productivité est restée constante. Il s'en suit une hausse des salaires sans qu'il y ait une compensation sur les profits qui doivent nécessairement baisser192. Par un effet de retour, le capital pourra se déployer dans la culture des terres moins fertiles car le taux de profit est le même dans les deux secteurs193.

Au fur et à mesure que l'on défrichera des terres de moins en moins fertiles, le taux de profit et le profit baisseront et la rente augmentera en quantité et en valeur. Le système trouvera sa limite quand le produit de la terre marginale suffira à peine à régler les salaires. Le produit qui reste sur les autres terres, après versement des salaires, se transformera complètement en rente foncière. L'état stationnaire est atteint car les profits sont nuls. D. RICARDO écrit que "bien avant ce terme, la réduction des profits aura arrêté toute accumulation ; et la presque totalité des produits, les ouvriers une fois payés, appartiendra aux propriétaires fonciers et aux collecteurs des dîmes et des autres impôts"194.

De ce bref exposé, on pourrait retenir les conclusions suivantes :

On doit à K. MARX une analyse critique et une véritable reconstruction de la théorie de la rente permettant d'articuler la différence de fertilité du sol à une analyse du système social tout entier.

Notes
189.

Parlant de la répartition, D. RICARDO écrit dans la préface : "Déterminer les lois qui règlent cette distribution, voilà le principal problème en économie politique". Ouvrage, op. cité, p. 21.

Cette précision de D. Ricardo, malgré le débat qu'elle soulève sur la dialectique production/

distribution, est d'une importance capitale. Elle nous rappelle que les problèmes de

l'accumulation ne sont pas moins des problèmes de répartition que de production.

190.

D. RICARDO, op. cité, p.

191.

Nous employons ici le concept de surplus dans le sens que lui donne l'auteur. En effet il n'y a surplus que s'il reste quelque chose du produit après la rémunération du capital et du travail.

192.

D. Ricardo écrit à ce sujet : "Mais si le prix du blé hausse, parce que sa production exige plus de travail, cette cause ne fera point hausser les prix des objets manufacturés dont la fabrication n'exige point de travail additionnel. Dans ce cas, si les salaires restent les mêmes, les profits ne changeront pas ; mais comme il est indubitable que les salaires montent par la hausse du blé, les

profits alors doivent nécessairement baisser". Ouvrage op. cité, p. 96.

193.

C. BENETTI : Valeur et répartition. PUG, Maspéro, Paris 1976, p. 20.

194.

D. RICARDO : Ouvrage op. cité, p. 104.

195.

BENACHENHOU, A. : Le renversement de la problématique ricardienne des coûts comparés

dans la théorie économique contemporaine. in Revue algérienne des sciences juridiques,

économiques et politiques, n° 4 Décembre 1971, p. 914 à 920.