1.2.2 - La rente différentielle.

Le différentiel de productivité dans l'agriculture tient au fait que des capitaux d'égale grandeur appliqués dans des conditions naturelles différentes produisent des quantités de valeurs d'usage différentes. Autrement dit, une masse différente d'une même marchandise peut être produite ici et là sans que l'action libre de l’homme puisse aplanir cette différence.

L'analyse du prix des produits agricoles est bien différente de celle qui est menée pour ceux de l'industrie. Cette dernière se caractérise par le fait que sa production peut être indéfiniment multipliée. Sa force productive matérielle, elle- même, est le produit du travail. Les différences de productivité, donc de coûts et partant des prix individuels de production sont le fait du court terme. Les conditions de fonctionnement du capitalisme (mobilité des capitaux et concurrence) aplaniront, dans le long terme, ces différences et le taux de profit, résultat de cette action égalisatrice, s'imposera à toutes les branches de cette sphère de la production. Aussi, tout surprofit dit normal est-il le fait du court terme.

Dans l'agriculture, le capital se heurte à une force qui est la propriété foncière. Les conditions de production y sont naturellement différentes si bien que la productivité du capital est variable. Cette différence est due ‘"à un agent naturel dans lequel n'entre aucun travail"’ 198. Cette force naturelle qui accroît la productivité du travail ‘"ne peut pas être produite par une dépense déterminée de travail"’ 199 comme cela est le cas dans l'industrie.

En résumé, les conditions naturelles différentes associées au monopole de leur propriété font que le capital ne peut se valoriser dans les mêmes conditions de productivité d'une part, et ne peut accéder librement à ces conditions d'autre part. Le monopole confère à son détenteur le pouvoir de demander "un droit d'entrée" qu'on appelle rente. Alors, comment se fixe le montant de cette dernière si l'on sait, par ailleurs , que le capital n'accepte d'opérer dans l'agriculture que si les conditions de sa valorisation, à savoir qu'il peut rapporter le taux de profit moyen, sont remplies. La rente ne peut être, alors, qu'un excédent sur le profit, autrement dit un surprofit.

Ce surprofit apparaît comme la différence entre le prix de production individuel et le prix général de production de la sphère agricole. C'est ce dernier qui régule le marché. Il correspond aux frais de production du terrain le moins productif auxquels il faut ajouter le profit moyen. Apparaîtra alors un surprofit pour tous les autres capitaux qui opèrent dans des conditions plus favorables. ‘"Le prix de production régulateur leur a permis de faire un surprofit, non parce qu'ils vendent leurs marchandises au- dessus de ce prix de production, mais à ce prix..."’ 200.

C'est donc à cause de l'existence de conditions de production dont les différences ne peuvent être éliminées par le capital qu'apparaît la rente différentielle et non à cause de la propriété foncière. Celle-ci n'est que la base juridique de la transformation du surprofit en rente. Rien ne serait changé si la propriété foncière n'existait pas. Le surprofit reviendrait naturellement aux capitalistes.

La rente différentielle est bien donc un phénomène objectif qui est le résultat des différences naturelles de production et des lois de mise en valeur du capital. Les produits agricoles sont vendus à des prix supérieurs au prix général de production. La différence correspond à un pompage de surplus sur les autres sphères de la production. ‘"Ce que la société, considérée comme consommateur paie en trop pour les produits du sol, ce qui représente une perte pour la réalisation de son temps de travail dans la production agricole, constitue actuellement un gain pour une partie de la société : les propriétaires fonciers"’ 201. Autrement dit, comme le précise K. MARX, la détermination du prix des produits agricoles par le marché ‘"engendre une fausse valeur sociale"’ 202 qui n'a pas lieu d'être dans une société qui affecterait consciemment ses ressources et qui n'accepterait pas, par conséquent, de payer les produits agricoles plus cher qu'ils n'en ont coûté203.

En conclusion à ce point, nous pouvons avancer que les lois de population et des rendements décroissants ne peuvent déterminer à elles seules la rente différentielle. La genèse de la rente différentielle est liée aux lois de mise en valeur du capital dans le sol et le sous-sol qui présentent des différences naturelles.

Notes
198.

K. MARX : Ouvrage op. cité, p. 588.

199.

K. MARX : Ouvrage op. cité, p. 590

200.

K. MARX : Ouvrage op. cité, p. 587.

201.

K. MARX : Ouvrage op. cité, p. 604 et 605.

202.

K. MARX : Ouvrage op. cité, p. 604.

203.

K. MARX : Ouvrage op. cité, p. 604.