3.1.2 - Les limites du financement sur le surplus minier.

La rente est d'abord une mauvaise chose avant d'être une bonne chose comme l'écrivait H.ELSENHANS248. La disponibilité d'une importante rente peut s'accompagner d'une série de dysfonctionnements qui sont liés aussi bien aux fluctuations de son volume et de son pouvoir d'achat qu'à sa propre nature en tant que revenu. Nous nous limiterons ici à livrer certains d'entre eux.

Le premier problème est lié à la non – reproductibilité des produits du sous-sol. Les recettes qu'on en tire ne peuvent assurer, par conséquent, qu'un financement durant une période plus ou moins longue à l'issue de laquelle des activités de remplacement doivent prendre le relais.

Leur exploitation, tournée essentiellement vers l'exportation, nécessite préalablement un financement et se pose donc le problème de l'arbitrage entre l'investissement dans le secteur de rente et celui qui sera consacré au reste de l'économie. La dynamique de l'accumulation doit se traduire par une réintroversion de l'investissement au fur et à mesure que les projets lancés et financés sur la rente viendraient à maturité. Autrement dit, le financement sur le produit du travail se substituera à la rente. Les problèmes liés à la maîtrise des projets lancés et aux paiements extérieurs peuvent faire que les délais de maturation deviennent très longs et les difficultés qui leur sont liées soient reportées sur le secteur de rente qui deviendra à son tour une enclave articulée essentiellement sur l'extérieur.

Un autre problème, lié cette fois-ci au marché mondial, consiste à maintenir un pouvoir d'achat aux exportations des ressources naturelles qui soit en adéquation avec le programme d'investissement retenu et dont la réalisation dépend quasiment de la capacité d'importation des biens d'équipement. Le niveau et le pouvoir d'achat des exportations dépendent de l'offre et la demande qui se confrontent sur les marchés internationaux et sur lesquelles un petit pays n'a aucune influence. Cet aspect du financement de l'accumulation sur les ressources naturelles est particulièrement important quand le rapport des exportations au produit intérieur brut est élevé. J. BHAGWATI a déjà montré qu'une forte dégradation des termes de l'échange, dans ce cas, peut se traduire par ce qu'il appelle une "croissance appauvrissante"249. En effet, l'effet des termes de l'échange est tellement important du fait de la forte proportion des exportations dans le produit intérieur brut qu'il ne peut être compensé par une croissance de celui-ci.

Par ricochet, la montée et le poids de l'endettement deviennent très sensibles aux recettes et au pouvoir d'achat des exportations surtout si le pays est extrêmement spécialisé, comme c'est le cas de l'Algérie. La dette est directement articulée au prix d’un seul produit non reproductible. Le coût de la dette, calculé sur la base des termes de l'échange, peut hausser très rapidement. Le pays entre alors dans le cercle infernal de l'endettement et peut voir sa dette s'autonomiser de son projet de développement.

Les répercussions des exportations des ressources naturelles sur les finances publiques sont particulièrement importantes quand c'est l'Etat qui conduit le développement. Les rentrées fiscales au titre de l'activité d'extraction et d'exportation dépendent des prix internationaux. L'épargne publique dont on connaît l'importance et le rôle dans les pays en voie de développement devient alors fonction de ces prix. En période de leur hausse, l'Etat se trouve conforté dans ses fonctions d'entrepreneur du développement et de redistributeur. En période de basse conjoncture, "l'effet cliquet" conduit l'Etat à s'endetter et/ou à utiliser la création monétaire pour financer le déficit de son budget. Dans le cas contraire, il devra renoncer à certains projets et à soutenir le pouvoir d'achat de la population et risque par conséquent de s'exposer à l'impopularité.

Pour toutes ces raisons, le maintien d'un équilibre250 dans le financement de l'accumulation sur les ressources naturelles et les autres sources est de rigueur si l'on veut éviter les effets pervers que peuvent provoquer de fortes fluctuations à la baisse dans les recettes d'exportation.

Une lecture rapide des principaux textes doctrinaux et relatifs à la conduite du développement nous permettra de saisir comment était appréhendé le rôle des hydrocarbures dans l'accumulation en Algérie.

Notes
248.

H. ELSENHANS : "Le Monde arabe et l'Europe dans la nouvelle division internationale" in

actes du colloque organisé à LOUVAIN-LA-NEUVE, CERMAC du 2 au 4 déc. 1982, p. 46.

249.

J. BHAGWATI : "La croissance appauvrissante : note géométrique", in B. Lassurdie Duchene :

"Echange international et croissance", Economica, paris 1972, p. 294.

250.

G. CORM : la chute des prix du pétrole et ses incidences sur le développement des pays

exportateurs. P.G.A n° 409, Avril 1986, p. 33.