3.2.2 - L'articulation de la dette à la rente dans la doctrine algérienne.

Bien avant le 24 février 1971, date de leur nationalisation partielle, les hydrocarbures jouaient un rôle important dans l'économie algérienne. Ils participaient à hauteur de 20 % à la production intérieure brute, part qui est restée stable de 1963 à 1973 environ256. La fiscalité pétrolière intervenait, dans la même période, pour 35 à 45 % dans la part du fonds d'accumulation financé sur l'épargne des administrations257.

Les textes fondamentaux affichent, à la fois, circonspection et confiance quant aux rôles que doivent jouer la rente et la dette avec cependant une idée maîtresse qui consiste à leur substituer, dans le long terme, un financement sur le produit hors hydrocarbures. La différence d'attitude, dans le court et moyen termes, est probablement dictée par les fluctuations de la conjoncture internationale.

Le lancement du premier plan quadriennal, une année avant la nationalisation partielle des hydrocarbures et quatre années avant le premier boom pétrolier, retenait des proportions de base qui restaient relativement maîtrisables au regard de celles qui seront inscrites au second plan. Il précise la nature de la contribution financière des hydrocarbures. ‘"Le poids relatif de cette ressource (les hydrocarbures) parmi les grands secteurs d'accumulation pourrait même diminuer légèrement"’ 258 en fin de période.

Quant au problème de la dette extérieure, le rapport général du premier plan affiche beaucoup de prudence même s'il reconnaît, par ailleurs, que les hydrocarbures permettent un élargissement de la solvabilité extérieure du pays. La recherche de crédits extérieurs doit être déterminée par ‘"les capacités de remboursement à moyen et long termes ainsi que les perspectives d'évolution de la balance des paiements"’ 259 ‘"Ces crédits extérieurs doivent être orientés vers le financement des projets les plus rentables et les plus générateurs de moyens de paiement, directement ou indirectement"’ 260.

Malgré son ambiguïté, cette dernière phrase, remise dans le contexte de l'époque, laisse entendre que les crédits extérieurs auront un rôle négligeable et concernent des secteurs d'exportation autres que les hydrocarbures. La prudence affichée jusqu'à la veille du premier choc pétrolier semble avoir cédé la place à une confiance dans la nouvelle conjoncture. ‘"Les crédits extérieurs joints aux actions de consolidation et d'amélioration des termes de l'échange du commerce extérieur durant la période, doivent permettre une bonne couverture des besoins d'importation du plan par nos exportations"’ 261. L'amélioration des termes de l'échange et le maintien d'un rapport entre les réserves et la production des hydrocarbures devront, au- delà du plan, ‘"améliorer davantage les capacités de financement extérieur pour assurer la couverture des biens et services nécessaires à la poursuite du développement économique et social dans cette étape de forte croissance et de grande ouverture sur les marchés extérieurs"’ 262.

Le climat, provoqué par le premier choc pétrolier et renforcé par la cohésion des pays arabes autour du conflit du Moyen-Orient, est à l'optimisme quant à la stabilité, voire l'amélioration du marché des hydrocarbures. La forte croyance que la réalisation du schéma de développement choisi n'était plus qu'une question d'ordre financier a poussé les pouvoirs publics à des programmes de plus en plus ambitieux. Rappelons que les exportations en termes courants se sont élevées à 5.353 millions de dollars en 1974, soit à 5 fois plus que leur niveau de 1970 (voir premier chapitre de la présente partie). Dès l'année 1975, l'Algérie commençait à marquer une forte présence sur les marchés financiers internationaux pour mobiliser les fonds nécessaires à la réalisation de ses programmes.

La mise en place rapide de l'industrialisation et l'environnement extérieur favorable incitaient le planificateur algérien à croire qu'à moyen terme il pourrait disposer de deux sources d'accumulation : la rente et le surplus hors hydrocarbures. La substitution progressive de la première par le second pourrait même accréditer l’idée qu'après une brève période de "démarrage et de maturation", l'Algérie s'accommoderait, le cas échéant, d'un retournement de conjoncture sur le marché des hydrocarbures. Dans le pire des cas, la rente servirait à rembourser une partie de la dette sachant que le secteur des hydrocarbures aurait été déchargé du poids du financement du reste de l'économie.

Forte de cette logique, pendant la période du second plan, l'Algérie mobilise des emprunts d'un montant de 7.086,5 millions de dollars, soit 18 fois plus qu'elle ne l'a fait durant les quatre années du premier plan (voir premier chapitre de la présente partie).

La charte nationale (1976), qui intervient dans un contexte marqué par une dégradation des termes de l'échange et un important déficit commercial, ne manque pas de souligner les dangers d'un financement de l'accumulation par l'endettement et la dette par conséquent263. ‘"Si l'exportation des matières premières constitue la valorisation d'une richesse naturelle, l'exportation des produits agricoles riches et produits industriels valorise directement le fruit du travail et de l'intelligence de l'homme, qui sont par essence inépuisables. C'est en ce sens que la modernisation de l'agriculture et de l'industrie prépare l'avenir, en faisant du travail de l'homme la base de la croissance et de la prospérité économique’". On peut lire à la même page que ‘"la diversification des exportations aura pour objectif de rendre l'économie algérienne moins sensible aux fluctuations de la conjoncture internationale"’ 264.

Au terme de cette section, nous pouvons avancer que le planificateur algérien anticipait explicitement le remboursement de la dette sur la rente des hydrocarbures. Le caractère mono-exportateur soutient largement cette assertion. Le reste de l'économie devait croître à l'ombre de la rente, laquelle, en lui évitant les ponctions au titre du service de la dette, lui permettra de conserver la totalité des fruits de sa productivité. En préférant articuler sa dette à ses termes de l'échange, c’est à dire au pouvoir d'achat de la rente265, l'Algérie entendait profiter d'un rapport de force favorable sur le marché des hydrocarbures pour faire parvenir son économie à son stade de maturité. La confiance absolue dans les "effets industrialisants" attendus écartait les risques qui sont naturellement liés à l'endettement.

Notes
256.

M. ECREMENT, op. cité, p. 52.

257.

M. ECREMENT, op. cité, p. 52.

258.

R.A.D.P : Rapport général du plan quadriennal 1970-1973, p. 131. On peut lire dans la même

page : "Le fait le plus marquant sera le résultat financier des entreprises du secteur public hors

pétrole dont la part dans le fonds d'accumulation central devra très sensiblement augmenter en

passant de 9 % pour la période triennale à 16 % pendant le plan quadriennal".

259.

Idem, p. 132.

260.

Idem.

261.

R.A.D.P : Rapport général du plan (1974-1977), p. 211.

262.

Idem

263.

F.L.N : Charte Nationale (1976), p. 126.

264.

F.L.N, op. cité, p. 211.

265.

Le caractère mono-exportateur de plus en plus prononcé fait que l'indice des termes de l'échange se confond presque avec celui du prix réel des hydrocarbures.