1.1 - Le rythme et le taux de l'investissement.

La période retenue pour l'étude est couverte par les deux plans quadriennaux (1970-1973 et 1974-1977), les deux années de pause (1978 et 1979) et le premier plan quinquennal (1980-1984). Elle est marquée par un grand effort d'investissement. Les deux "chocs pétroliers", intervenant en fin de 1973 et au début de 1979 respectivement, n'ont pas manqué d’influencer les politiques d'investissement et d’endettement.

Le tableau n° 30 met en évidence l'évolution du taux d'investissement.

Tableau n° 30 : Formation brute du capital (ABFF + S) en 106 dinars constants de 1974. (1)
1970 1971 1972 1973 1974-1973 1974 1975 1976 1977 1974-1977
1. PIB 42.388,6 39.037,1 48.960,7 50.602 180.988,4 55.560,9 58.866 64.357,7 68.265,6 247.048,2
2. PIB
hors hyd.
26.397,2 27.231 30.412,4 31.284,1 115.324,7 37.138,6 41.568,7 45.491,5 48.618,8 172.817,6
3. ABFF + S 11.208,3 11.022,3 12.872,9 16.046,8 51.150,5 22.075,2 23.956,6 24.730,1 29.049,4 99.811,3
3/ 1 % 26 28 26 32 28 40 41 38 43 40
3/2 % 42 40 42 51 44 59 58 54 60 58
Tableau n° 30 : Formation brute du capital (ABFF + S) en 106 dinars constants de 1974. (2)
1978 1979 1978-1979 1980 1981 1982 1983 1984 1980-1984
1. PIB 74.507 80.089,3 154.596,3 82.743 86.912,9 90.357,8 95.448,6 100.855,9 456.318,2
2. PIB
hors hyd.
53.311,3 58.537,4 111.848,7 62.955,1 68.703,4 72.151,7 76.246,3 81.533,4 361.589,9
3. ABFF + S 34.879,2 32.380,4 67.259,6 33.148,6 34.220,2 36.362,2 39.292,6 39.850,8 182.874
3/ 1 % 47 40 44 40 39 40 41 40 40
3/2 % 65 55 60 53 50 50 52 49 51
Source : Calculs effectués à partir des données du Mémorandum de la Banque Mondiale (Cf . Annexe n° B.2).

Il ressort des chiffres du tableau précédent que le taux d'investissement est remarquablement élevé sur toute la période. On peut noter, cependant, d'importantes différences entre les sous-périodes successives :

  • le taux d'investissement est de 28 % en moyenne pour toute la période du premier quadriennal (1970-1973). On peut noter pour la dernière année un bond significatif qui fait suite aux premières augmentations du prix du pétrole intervenues en 1972266. D'une moyenne de 27 % pour les trois premières années du plan, le taux d'investissement passe à 32 % en 1973 ;

  • ce taux est porté à 40 % en moyenne durant toute la période du second quadriennal (1974-1977), soit à 12 points de pourcentage de plus que la période antérieure. Il se stabilisera autour de cette même moyenne durant tout le plan quinquennal (1980-1984), après avoir marqué un pic de 47 % pour l'année 1978. Les deux années de pause (1978 et 1979) ont été consacrées au « reste à réaliser » en raison des difficultés d'absorption liées à un taux d'investissement aussi important.

Le taux d'investissement est nettement plus important si l'on ne tenait compte que du produit hors hydrocarbures. Il est respectivement de 44, 58, 60 et 51 % pour les différentes sous-périodes.

Ces chiffres témoignent de la présence d'un important surplus minier sans lequel une injection aussi massive de capital n'aurait pas été possible. L'écart entre les deux séries de taux reste très important durant toute la décennie soixante-dix. Il tend à se réduire à partir de 1980 sous l'effet conjugué d'une décélération du rythme de l'investissement et d'une rapide croissance du produit hors hydrocarbures, enregistrée entre 1974 et 1979.Le tableau n° 31 permet de mieux comprendre ces évolutions.

Tableau n° 31 : Evolution comparée des taux de croissance de l'investissement et du produit intérieur brut.
1970
1973
1974
1977
1970
1977
1978
1979
1980
1984
PIB 6,98 7,77 7,37 8,32 4,72
PIB hors hydrocarbures 7,17 11,65 9,39 9,73 6,85
ABFF + S 15,82 16 15,92 5,58 4,24
Source : Construit à partir du tableau précédent.

Tout en tenant compte de son faible niveau à l'année de base (1969), l'investissement affiche un taux de croissance très élevé durant la période couverte par les deux plans quadriennaux. En moyenne, l'investissement croît à un rythme supérieur d'un peu plus de deux fois au produit intérieur brut. C'est la période de sa mise en place. La tendance s'inverse durant les deux années de pause puisque le PIB croît à un rythme de 8,32 % contre 5,58 % pour l'investissement. L'écart est encore plus marqué si l'on considère le produit hors hydrocarbures qui croît à 9,73 % sur la même période. Ce qui signifie, sur le plan macro-économique, une certaine efficacité de l'outil de production mis en place durant la période précédente. Cette tendance semble être remise en cause durant la période du plan quinquennal où on peut constater que la décélération du rythme de l'investissement s'accompagne d'une réduction de presque deux fois du taux de croissance du PIB par rapport à son niveau moyen des deux années précédant le plan.

D'après la Banque Mondiale267, les résultats obtenus avant 1980 restent insuffisants comparés au taux d'investissement réalisé. Les difficultés de montée de production renvoient à l'utilisation incomplète des capacités installées dues elles-mêmes à une insuffisance des moyens de réalisation, au manque de main d'oeuvre qualifiée et à un mauvais approvisionnement en demi-produits, matières premières et pièces détachées. Le net essoufflement en fin de période intervient paradoxalement dans un contexte de réorientation de l'investissement ayant pour but une meilleure utilisation des ressources. Toujours selon la Banque Mondiale268, le coefficient marginal du capital, calculé sur une moyenne de cinq années, s'est anormalement élevé en passant de 4 en 1978 à 6 en 1980, 7 en 1981 et 8 en 1983. La période couverte par le premier plan quinquennal a été choisie, comme indiquée au premier chapitre, par les pouvoirs publics pour entreprendre le remboursement d'une partie de la dette extérieure. Cela n'a pas manqué de provoquer un tassement des importations et de souligner la contrainte qu'elles exerçaient encore sur le produit intérieur brut. Le remboursement net d'une partie de la dette vient compliquer les difficultés traditionnelles de constitution de l'appareil productif.

En donnant les taux d'importations et d'exportations, soit M/PIB et X/PIB, calculés sur la base des prix de l'année 1974, les chiffres du tableau n° 32 met en évidence la forte dépendance du produit intérieur brut vis à vis des importations et suggèrent de se questionner sur le financement de la croissance de ce dernier.

Tableau n° 32 : Taux d'exportation et d'importation calculés sur la base de prix constants (1974 = 100).
Années Importation / PIB en % Exportation / PIB en % Gap. de ressources en % du PIB
1969
1970
1971
1972
1973
1974
1975
1976
1977
1978
1979
1980
1981
1982
1983
1984
24,6
25,3
25,4
23,6
28,7
35,2
38,7
33,8
38,5
38
32,4
32,5
34,4
33,4
31,4
30,3
52,3
49,5
39,8
44
45
38,5
36,5
34,6
32,4
31,5
31,4
26,5
23,6
22,7
22,2
22
27,7
24,2
14,4
20,4
16,3
3,3
- 2,2
0,8
- 6,1
- 6,5
- 1,1
- 6
- 10,8
- 10,7
- 9,2
- 8,3
Source : Banque Mondiale, Mémorandum Algérie (Cf. Annexen°B.2).

L'évolution du taux d'importation dessine la même courbe que celle du taux de l'investissement : une phase ascendante dès l'année 1973 puis une décélération qui commence à partir de 1979. Aux prix de 1974, les importations de biens et services ont cru selon les taux de269 :

  • 12 % pour le premier plan quadriennal ;

  • 16,04 % pour le second plan quadriennal ;

  • 13,54 % pour l'ensemble des deux plans (1970-1977) ;

  • et 3,29 % seulement pour le plan quinquennal.

Ces taux se situent au voisinage de ceux de l'investissement lequel n'a été possible que grâce à une mobilisation accrue de ressources à partir de l'extérieur durant toute la décennie soixante-dix. Loin de traduire un signe de "réintroversion" soudaine, la contraction relative des importations durant le plan quinquennal résulte d'un "freinage" de l'activité pour mieux gérer ce qui existe et d'une réorientation de l'investissement principalement vers les infrastructures. Ce qui semblait relever d'un double souci consistant à résoudre progressivement les problèmes d'absorption de l'investissement tout en réduisant le stock de la dette.

L'examen de la série de taux d'exportation, calculés sur la base des prix de 1974, révèle que l'ouverture de l'économie algérienne est plutôt le fait des importations. Le taux d'exportation diminue continuellement. De 52,3 % en 1969, il n'est plus que de 22 % en 1984. Les exportations ont quasiment stagné sur toute la période270. Après une croissance d'à peine 1,14 % entre 1970 et 1974, leur niveau en 1984 reste sensiblement égal à celui de 1977, soit 22.127 millions de dinars.

L'évolution divergente des taux d'exportation et d'importation pose immanquablement le problème de financement du gap de ressources. Comment financer la capacité d'importation telle que réclamée par l'injection massive de capital dont il a été question ? Il s’agit d’un révélateur important de l’échec de la stratégie visant, par des investissements massifs hors hydrocarbures, à créer une capacité d’exportation nette de ce secteur, condition de préparation de l’après - pétrole. Qu'en est-il de la solvabilité réelle de l'Algérie vis à vis de l'endettement extérieur ? La question est d'une grande importance lorsqu'on sait que le caractère mono-exportateur de l'Algérie s'est progressivement renforcé. En 1984, la vente d'hydrocarbures procure 97 % des recettes d'exportation.

Notes
266.

Le prix officiel du brut léger africain est passé de 2 dollars le baril entre l'année 1971 à 2,80

dollars au quatrième trimestre de l'année suivante. En 1973, ce prix a été respectivement de 3,10 , 3,30, 3,85 et 5,90 pour les quatre trimestres. Cf. A. SID AHMED : Développement sans croissance, OPU Alger 1983, pp. 126 et 127.

267.

Banque Mondiale : Rapport d'octobre 1980, p. 14 et suivantes.

268.

Banque Mondiale : Mémorandum économique 1983, p. 1.

269.

Les taux ont été calculés à partir du document (1987) de la Banque Mondiale.

270.

Idem.