2.1 – Comment mesurer le surplus pétrolier ?

Une littérature non négligeable a été consacrée à la notion du surplus des pays de l'OPEP suite au premier boom pétrolier. Telle qu'utilisée, cette notion prend plusieurs significations selon les conceptions et l'objet à analyser.

Chez K. MARX, le surplus renvoie à la plus value qui en est la forme spécifique dans le mode capitaliste de production. Les catégories de distribution, mises en évidence par K. MARX, rendent compte de son partage entre les capitalistes et les propriétaires fonciers. Les lois de valorisation du capital feront en sorte que chacun des deux prétendants devienne titulaire d'une fraction bien déterminée de ce surplus.

Seule la fraction constituée par la rente nous intéresse ici. Elle correspond pour une part à la différence entre le prix régulateur qui est égal aux frais de production du dernier terrain augmentés du profit normal et le prix de production individuel274. A la rente différentielle, telle que définie, il faut ajouter une seconde part : la rente absolue. Elle est égale à ‘"l'excédent de la valeur des marchandises sur leur prix de production"’ 275 du fait de l'imparfaite péréquation du taux de profit, résultant elle-même du monopole qu'exerce la propriété foncière sur le sol et le sous-sol.

Nous savons, depuis le chapitre précédent, que ce substrat théorique est le point de départ de J.M. CHEVALIER. Le surplus pétrolier est défini comme la différence entre le coût total moyen, soit l’ensemble des frais supportés de l’extraction à la distribution, et le prix de valorisation.276

Tout comme le souligne l'auteur, lui-même, cette définition pose des problèmes quant à sa stricte application277. En effet, pour déterminer la rente, il faut disposer, pour chaque année, des coûts moyens de production aux différents stades (extraction, transport, raffinage et distribution), des prélèvements fiscaux et d'un profit moyen. Une fois la rente totale obtenue, en retranchant du prix la somme de ses éléments, il faut examiner comment s'effectue le partage entre les différents partenaires (Etats et différentes sociétés). L'exercice est d'autant plus difficile qu'un pays producteur donné, en l'occurrence l'Algérie, participe à différents stades de la chaîne qui va de l'extraction à la distribution.

La définition de D. RICARDO qui ramène le surplus à la seule rente différentielle278 pose malheureusement les mêmes problèmes d'applicabilité.

Enfin, une troisième définition consiste à considérer le surplus pétrolier comme un excédent de la balance commerciale279. Le but d'une telle approche est surtout de montrer les difficultés d'absorption de cet excédent et son recyclage par l'économie d'endettement. L'Algérie n'étant pas dans ce cas et notre but étant la recherche de causalité entre la rente et la dette, nous écartons purement et simplement cette définition.

Au total, nous ne pouvons retenir aucune des trois définitions du surplus. Les deux premières posent des difficultés statistiques insurmontables, du moins en ce qui concerne l'Algérie. Il faut pouvoir, en effet, constituer des séries assez longues qui contiennent tous les éléments nécessaires au calcul et au partage de la rente. La troisième s'écarte purement et simplement de notre objet d'étude.

Une voie indirecte peut, cependant, être tentée. Elle consiste à mesurer la part du surplus appropriée en utilisant une approche fondée sur l’évolution des termes de l’échange et la fiscalité des hydrocarbures.

Notes
274.

K. MARX : Le Capital, Livre 3 édition sociale, p. 587.

275.

K. MARX, op. cité, p. 689.

276.

J.M. CHEVALIER : op. cité, p. 232

277.

Idem. p. 233.

278.

D. RICARDO : Des principes de l'économie politique et de l'impôt. Ed. Flammarion, Paris 1977.On peut lire à la page 99 : "S'il n'y a pas de surplus, il n'y aura pas de rente".

279.

Cf sur ce point ; A. SID AHMED, Développement sans croissance, OPU 1983, p. 125.