L'indice des termes nets de l'échange peut donner lieu à un calcul des gains et pertes à l'échange qu'occasionne le commerce avec le reste du monde. Les résultats de ce calcul ne sauraient, cependant, être confondus avec le surplus dont nous voulons saisir l'importance. Ce mode de calcul reste tributaire du choix de l'année de base et donc des prix de cette même année qui serviront à apprécier les gains et les pertes. Sur une longue période, l'indice des termes nets de l'échange s'avère utile pour donner une idée sur les transferts positifs ou négatifs de pouvoir d'achat du reste du monde vers un pays donné et inversement.
Dans le cas de l'Algérie, devenue progressivement quasi mono-exportateur d'hydrocarbures, l'indice des termes nets de l'échange s'est graduellement réduit au seul prix relatif international des hydrocarbures. Il exprime de fait l'évolution du rapport de force qui s'est engagé entre l'Algérie et ses partenaires pour le partage de la rente. Du point de vue de l'analyse théorique, du moins celle qui s'appuie sur la valeur - travail, la rente est un transfert au titre du monopole sur la propriété foncière. Dans le cas présent, elle est le fait d'un pompage de surplus par l'industrie pétrolière internationale sur les autres secteurs dont l'activité se déploie dans le monde entier. Rien ne permet d'établir l'origine nationale de ce surplus.
Amélioration et dégradation des termes de l'échange pour l'Algérie, titulaire d'une partie de ce surplus dans les deux cas, expriment simplement le mode de partage de la rente. Dans le cas d'une dégradation, il ne peut s'agir que d'un manque à gagner.
Les limites de l'analyse par les termes de l'échange, étant mises en évidence pour le cas qui nous intéresse, il n'est pas inutile d'étudier leur évolution. L'analyse de cette évolution peut être d'un apport précieux pour comprendre la stratégie algérienne de mobilisation de ressources pour financer son accumulation.
Les chiffres du tableau n° 36 doivent être interprétés en tenant compte des réserves suivantes :
l'indice des termes de l'échange ne s'intéresse qu'à l'évolution du pouvoir d'achat unitaire par rapport à une année de base durant laquelle l'échange est supposé avoir été réalisé à la parité. En posant cette hypothèse, on estime arbitrairement que le prix réel des exportations est "juste" ;
le mode de calcul ignore les conditions de productivité et partant de coûts dans le pays et chez ses partenaires commerciaux. Ces derniers n'étant pas constants, le transfert de richesse réelle, dans un sens ou un autre, que l'indice des termes nets de l'échange est supposé révéler relève de l'arbitraire. La nature de ce transfert ne peut être assimilée à celle de celui qui résulterait des mécanismes mis en évidence par la théorie de la valeur - travail. Aussi, les interprétations en termes d'exploitation, se fondant sur ce mode de calcul, sont-elles irrecevables. Une amélioration des termes nets de l'échange peut s'accompagner d'un transfert négatif de valeur (du pays vers l'extérieur) et inversement pour une dégradation ;
dans le cas de l'Algérie, il aurait été souhaitable de disposer d'une série de coûts moyens afin de les comparer au prix retenu implicitement à l'année de base. Cela aurait permis de dégager en prix monétaires la rente dans un premier temps et de calculer son pouvoir d'achat dans un second temps. D'après une série publiée par Pétrolium Intelligency Weekly et utilisée par M. MEKIDECHE283, le coût moyen du pétrole algérien se situait à 0,650 dollars sur toute la période 1968-1975. A. AYOUB retient un coût moyen de 1 dollar pour le 34° arabian light durant les années 1973 et 1974284. La période que nous retenons étant longue et ayant vu la production de l'Algérie se diversifier et se réorienter vers d'autres produits que le seul brut, ces chiffres ne présentent pas d'intérêt sauf à montrer l'ampleur du premier "choc pétrolier" sur les recettes.
Le tableau n° 36 conserve, cependant, l'intérêt d'indiquer les grandes tendances concernant la mobilisation de la rente des hydrocarbures. Le choix de la base sur la moyenne 1970-1972 a été opéré dans le but de montrer quelles ont été les incidences, à court terme, du relèvement brutal du pouvoir d'achat des hydrocarbures sur la politique concernant l'accumulation et son financement dont les effets ne pourront être appréciés qu'à long terme. Rien n'empêche, par ailleurs, de changer de base, à l'intérieur de la série choisie, pour essayer de comprendre la logique des différentes situations qui auraient prévalu. Sur la période allant de 1970 à 1984, on peut observer :
Années |
Exportations d'hydrocarb.en prix de 70-72 (1) |
Indice des termes nets de l'échange 70-72 = base 100 (2) |
Effets des termes nets de l'échange (3) |
PIB en prix de 1970-1972 (4) |
5 = (3) / (4) % |
1970 |
3.280 |
100 |
- |
26.259,43 |
- |
1971 | |||||
1972 | |||||
1973 | 3.997,5 | 141 | 1.638,98 | 30.613,36 | 5,35 |
1974 | 3.806,02 | 318 | 8.297,08 | 33.878,6 | 24,49 |
1975 | 3.882,9 | 256 | 6.057,32 | 35.798,78 | 16,92 |
1976 | 4.147,3 | 274 | 7.021,63 | 39.193,17 | 18,37 |
1977 | 4.167 | 285 | 7.708,95 | 41.543,10 | 18,56 |
1978 | 4.436,5 | 257 | 6.953,31 | 45.381,65 | 15,32 |
1979 | 4.896,9 | 317 | 10.626,27 | 49.127,43 | 21,63 |
1980 | 4.296,67 | 448 | 14.942 | 50.311,83 | 29,70 |
1981 | 3.999,94 | 524 | 16.959 | 52.746,14 | 32,15 |
1982 | 3.889,2 | 515 | 16.140,18 | 54.475,56 | 29,63 |
1983 | 3.893,9 | 512 | 16.042,87 | 57.574,38 | 27,86 |
1984 | 4.201 | 512 | 16.556,52 | 60.722,22 | 27,27 |
Source : Construction personnelle à partir des données du Mémorandum Algérie 1987 de la Banque Mondiale. |
Remarques sur la construction du tableau n° 36 :
L'indice des termes nets de l'échange a été calculé uniquement pour les hydrocarbures. Il l'a été sur la base de l'indice du prix unitaire tel que donné par la banque mondiale dans la série qu'elle a publiée dans le mémorandum Algérie 1987. Pour obtenir la série sur la base moyenne de 1970-1972, nous avons simplement déflaté la série par l'indice moyen des trois années retenues comme base.
L'effet des termes nets de l'échange est obtenu en faisant le produit des exportations d'hydrocarbures en prix constants de 1970-1972 par la différence entre l'indice des termes nets de l'échange de l'année correspondante et celui de l'année de base. Pour 1973 par exemple, on fait le produit de : 3.997,5 x (141 - 100) = 1.638,98. On peut calculer l'effet des termes nets de l'échange année sur année. Ainsi on aura une idée plus objective sur l'effet des termes nets de l'échange sachant que l'évolution des coûts, dans le court terme, est négligeable.
La dernière colonne rapporte l'effet des termes nets de l'échange au PIB, évalué en prix constants de 1970-1972. Les résultats n'ont de signification que par rapport aux limites du mode de leur calcul qui ont été précisées dans le texte.
l'augmentation du prix des hydrocarbures, remarquable dès 1973, fait porter leur indice unitaire de pouvoir d'achat à 318 en 1974. Vient ensuite une forte baisse jusqu'à 1978. Ce n'est qu'en 1979, date du second "choc pétrolier" que l'indice retrouvera son niveau de 1974. En prenant comme base cette année, on peut estimer la détérioration du pouvoir d'achat des hydrocarbures à 16 % en moyenne annuelle. Elle résulte de l'inflation sur les produits importés et la baisse du cours du dollar qui, en se conjuguant, ont plus que compensé la hausse de 1974 ;
après son rétablissement en 1979, l'indice des termes nets de l'échange s'élève à 524, son niveau le plus haut, en 1981 avant de marquer un palier à 512 pour les deux dernières années. Même en prenant comme base l'année 1974 ou celle de 1979, comme on a l'habitude de le faire dans les statistiques officielles, l'amélioration des termes nets de l'échange reste substantielle. L'indice serait alors de 141, 165, 162 et 161 pour 1980, 1981, 1982 et pour chacune des deux années 1983 et 1984 respectivement. La hausse de concert du prix des hydrocarbures et du cours du dollar en est la raison ;
les colonnes 3 et 4 du tableau n° 36 donnent une lecture directe de l'effet des termes de l'échange que l'on peut apprécier par rapport au PIB. Rappelons que l'analyse de ce rapport reste sujette au choix de l'année de base. Pour l'année 1974, par exemple, cet effet est de 24,49 % du PIB, soit de 46 % de l'investissement brut mesuré par les mêmes prix que le PIB. Ce rapport baisse ensuite en raison de la hausse du PIB et de la dégradation des termes nets de l'échange sur la base de l'année 1974. En étalonnant la série sur cette dernière année, on pourrait constater l'apparition d'un effet négatif des termes de l'échange sur le PIB durant toute la période de leur dégradation (1975-1978). Cela voudrait-il dire que l'Algérie ait subi une ponction sur son PIB au titre du transfert de pouvoir d'achat au profit de l'étranger ou simplement qu'elle avait été obligée à renoncer à une partie de la rente sur les hydrocarbures ?
Les résultats, certes discutables, que nous avons obtenus nous laisse réfléchir à ce qui a poussé les pouvoirs publics à entreprendre hardiment une politique d'endettement dès le lendemain du premier "choc pétrolier". On peut supposer qu'ils estimaient que le pouvoir d'achat des hydrocarbures, même entamé entre 1975 et 1978, restait suffisamment haut pour asseoir une solvabilité extérieure et que dans un moyen terme la venue à maturité du système productif desserrerait la contrainte exercée par les importations. Dans ce cas les hydrocarbures serviraient à financer une accumulation capable d'un auto - entretien relatif dans un proche avenir grâce à une libération d'un surplus hors hydrocarbures plus important ; ce qui semble converger avec les principes doctrinaux de départ. Il devenait impérieux pour les pouvoirs publics, forts de cette croyance, de mobiliser des moyens de paiements extérieurs pour éviter la menace que leur pénurie engendrerait sur les ambitieux programmes, déjà en voie de réalisation.
A cela est venue s'ajouter la certitude d'un relèvement prochain du prix réel des hydrocarbures. Ainsi, au fonds monétaire arabe, faisait-on l'hypothèse d'une croissance moyenne de ce prix de 5 % entre 1981 et 1985 et de 10 % en 1985 et 1990. Ce qui le porterait sur la base de 27 dollars en 1979 à 39 en 1985 et à 63 en 1990286. Avec de telles prévisions, réalisées en partie, on postulait au moins une constance des termes de l'échange.
L'évolution constatée et anticipée des termes de l'échange a permis aux pouvoirs publics algériens d'y adosser une politique d'endettement. Une partie de la dette, contractée au lendemain du premier "choc pétrolier", a été remboursée grâce aux recettes du second. Faire des prévisions sur les termes de l'échange pour y adapter une stratégie d'endettement suppose que l'on anticipe correctement le taux d'inflation chez ses partenaires, les variations des taux de change entre les monnaies des recettes et des paiements. Pour être complet, il faut ajouter celles des taux d'intérêts sur les marchés internationaux.
L'ensemble des paramètres dont il est question sont exogènes au débiteur. L'impossibilité de les influencer astreint objectivement le débiteur à la prudence. On ne peut savoir à l'avance qu'elle sera la charge réelle de la dette, au moment du remboursement, même si le taux nominal, au moment de l'engagement, est fixe. La charge réelle de la dette se réduit, dans le cas de l'Algérie, à la quantité d'hydrocarbures qu'il faut exporter.
De l'amélioration des termes nets de l'échange ou du moins de son anticipation, les pouvoirs publics entendaient profiter de la dévalorisation qu'elle exercerait sur la dette pour mobiliser, à l'extérieur, d'importants moyens pour financer un programme ambitieux. Cela est d'autant plus vrai que l'inflation chez les partenaires et la hausse des liquidités internationales, durant la décennie soixante-dix, ont été deux conditions permissives à l'endettement.
M. MEKIDECHE : Le secteur des hydrocarbures, OPU Alger 1983, p. 234.
A. AYOUB : Le marché - OPEP du pétrole brut et ses conséquences sur les relations entre pays
producteurs, in Revue d'économie politique, mars /avril 1975, p. 267.
Pour le mode de calcul, on peut se rendre utilement aux ouvrages de : a)P. Guillaumont, op.cité
et b) R. SANDRETTO, Rémunérations et répartition des revenus, Hachette, 1994.
Dr. A. SADEQ : Scénarios concernant l'évolution des surplus de l'OPEP (1980-1990), cité par
A. SID AHMED, op. cité, p. 197 et suivantes.