2.2.3 – Evolutions comparées de la fiscalité des hydrocarbures et de l’endettement.

La fiscalité des hydrocarbures est l'expression directe de la rente qui revient à l'Etat algérien. Il nous est impossible d'affirmer si les montants de l'une et de l'autre correspondent ou non. L'utilisation de la fiscalité des hydrocarbures offre, cependant, l'avantage de dépasser les limites de l'approche par les termes de l'échange puisqu'il s'agit de recettes effectives au titre du monopole qu'exerce l'Etat sur le sous-sol. La fiscalité des hydrocarbures dépend du prix et de l'assiette fiscale.

Le tableau n° 37 donne l'évolution des recettes de l'Etat au titre de la fiscalité des hydrocarbures. On y remarque les pics habituels qui émergent avec les deux "chocs pétroliers". Sachant que la croissance des quantités exportées a été négligeable, cette évolution est fonction du seul prix jusqu'à 1981. A partir de cette année, on peut remarquer une baisse de la fiscalité alors que les recettes d'exportation d'hydrocarbures augmentent. Elle est due à un réaménagement de l'assiette fiscale.

L'évolution comparée de la fiscalité des hydrocarbures au PIB et à l'investissement est très contrastée du fait que la croissance de la première marque des paliers après les pics provoqués par les deux "chocs pétroliers", alors que les seconds connaissent une hausse continue. Il est évident que la hausse de la fiscalité a donné un véritable coup de fouet au PIB et à l'investissement. Globalement, la fiscalité des hydrocarbures a financé l'équivalent de 54 % du total de l'enveloppe du second plan quadriennal et 59 % de celui du premier quinquennal. A l'extérieur de ces moyennes, on peut remarquer des taux très importants pour 1974 (79 %) et 1981 (80 %).

Tableau n° 37 : Fiscalité des hydrocarbures en millions de dinars courants et en % du PIB et de l'investissement brut.
Années Fiscalité pétrolière
(1)
Investissement brut
(2)
(3) = 1/2 % Produit Intérieur brut
(4)
(5) = (1) / (4) %
1970 24.072,3
1971 24.922,2
1972 3.188 9.811,3 32,49 30.413,2 10,48
1973 4.416 12.417,5 35,56 34.593,1 12,77
1974 13.401,8 16.964,4 79 55.560,9 24,12
1975 13.461,6 23.975 56,15 61.573,9 21,86
1976 14.239,9 31.358 45,41 74.075,1 19,22
1977 18.019 38.433 46,88 87.240,5 20,65
1978 17.365,4 50.789,7 34,19 104.831,6 16,57
1979 26.516 50.374,6 52,64 128.222,6 20,68
1980 37.658 54.880,6 72,59 162.507,2 23,17
1981 50.954 63.044,9 80,82 191.468,5 26,61
1982 41.458 71.487,6 57,99 207.551,9 19,97
1983 37.711 80.319,6 46,95 233.752 16,13
1984 43.841 89.500 48,90 262.320 16,71
Source : Construction personnelle à partir des séries du Mémorandum Algérie 1987 de la Banque Mondiale.

Avec de tels chiffres, on est en droit de penser que le financement de l'accumulation est d'abord le fait de la rente des hydrocarbures. Cela nous éloigne du schéma traditionnel selon lequel l'accumulation est le fait d'un affrontement social. Etant un surplus produit ailleurs que dans la nation, la rente devient un moyen grâce auquel l'Etat - entrepreneur va pouvoir construire un large consensus pour soutenir son entreprise du développement. Nous reviendrons avec plus de détails sur ce point au cours de la troisième partie.

En s'ajoutant à la rente, la dette va renforcer ce consensus durant toute la période où l'Algérie bénéficiait de transferts nets positifs. Le renversement du signe de ces derniers est annonciateur d'une véritable rupture dans la logique de la rente - dette. Désormais une partie de la rente devra refluer vers les créanciers. C'est une véritable mise à l'épreuve de l’économie algérienne qui devra montrer quelles sont ses possibilités réelles à se passer du financement, assuré, jusque là, par la rente - dette.

Les chiffres du tableau n° 38 révèlent la logique de la rente - dette durant toute la période étudiée. Jusqu'à 1979, la rente et la dette se sont ajoutées l'une à l'autre pour financer une injection massive de capital. Nous avons préféré apprécier la participation de l'endettement à l'accumulation à l'aide des transferts nets au lieu des mobilisations ou des flux nets. Il nous semble que cela donne une meilleure image de la relation entre la rente - dette et l'investissement. Entre 1974 et 1979, elle a financé l'investissement dans une fourchette allant de 60 à 80 %.

A partir de 1980, le service de la dette absorbe une part substantielle de la rente pétrolière. Elle est équivalente à 47 % sur l'ensemble de la période du quinquennale. Les transferts nets absorbent l’équivalent de 12,5 % de la fiscalité pétrolière. Ces derniers ne sont pas encore de nature à gêner l'activité économique globale qu'on a préféré freiner à des fins d'ajustement.

La relative absence de l'Algérie des marchés financiers (cf. Chapitre I), donne l'illusion d'un endettement réussi puisque les transferts nets négatifs s'accompagnent d'une baisse du stock de la dette. La période suivante s'annonce avec un retournement des marchés des hydrocarbures et financier et d'une remontée rapide du stock de la dette. La baisse importante de la fiscalité et la hausse, encore plus importante, du service de la dette contraignent l'Algérie à des transferts de plus en plus lourds alors que sa solvabilité extérieure est mise à mal par la dégradation de ses termes de l'échange et de celle des ratios traditionnels du service de la dette.

Comme l'indique les chiffres du tableau n° 39, le service de la dette absorbe l’équivalent plus de 100% de la fiscalité à partir de 1987. Les seuls reflux nets de la rente vers les créanciers en absorbent 31 et 39 % pour 1990 et 1991, respectivement.

L’ampleur des transferts, conjuguée à la baisse de la fiscalité des hydrocarbures, signe la venue à terme d’un cycle d’endettement gagé sur la rente, alors que l’économie algérienne n’a pas été préparée à une telle éventualité. La « désaccumulation », qui fait son apparition dès 1986, s’installe durablement. Le PIB ne croît qu’à 0.5% en moyenne sur la période allant de 1985 à 1992 contre 5.6% en 1985. Le PIB hors hydrocarbures, administration et agriculture, qui est à nos yeux l’agrégat le plus pertinent enregistre un taux de croissance négatif de 2.4% sur la même période.287

Tableau n° 38 : Fiscalité des hydrocarbures et transferts nets en millions de dollars et en pourcentage du PIB et de l'investissement brut.
Années Fiscalité des hydr.
(1)
Serv. De la dette
(2)
Transf. Nets
(3)
(4) = (2) / (1) % (5) = (1) + (3) (6)=(3) / (1) % (7) = [(1)+(3)] / PIB % (8) = [(1)+(3) ] / Invest. %
1970 63,61 94,17
1971 110,61 245,91 22,35 1.471,5 107 21 67,3
1972 710,97 158,92 760,53
1973 1.115,43 233,70 391,11 20,23 1.506,54 35 17 48
1974 3.205,41 709,926 80,339 22,15 3.285,75 3 25 81
1975 3.408,86 456,506 1.050,205 13,39 4.459,07 31 29 73,6
1976 3.419,76 773,453 1.155,127 22,62 4.574,89 34 26 60,7
1977 4.345,07 1.027,842 1.833,140 23,66 6.178,21 42 29 66,7
1978 4.378,57 2.481,830 3.224,263 56,68 7.602,83 74 29 59,4
1979 6.881,91 2.622,755 1.117,602 37,97 7.999,51 16 24 61,2
1980 9.814,44 4.033 - 685 41,09 7.314,21 - 7 17 51,4
1981 11.805,84 3.815,2 1.147,4- 32,32 10.658,44 - 10 24 73
1982 9.028,31 4.565 - 1.946 50,56 7.082,31 - 22 16 45,5
1983 7.874,5 4.727 - 1.205 60,03 6.669,5 - 15 14 39,8
1984 8.798,11 5.125 - 950 58,25 7.848,11 - 11 16 43,7
Source : Construction personnelle à partir des mémorandum Algérie 1983 et 1987 de la Banque Mondiale, des tables de la dette (1990, 1991).
Tableau n° 39 : Service de la dette et transferts nets en millions de dollars et en % de la fiscalité des hydrocarbures.
Années Fiscalité des hydr.
(1)
Serv. De la dette
(2)
Transferts nets
(3)
(2) / (1) % (4)=(1)+(3) (3) / (1) %
1985 9.497 5.041 - 929 53 8.568 -10
1986 4.553 5.185 + 730 113.8 5.283 +16
1987 3.475 5.481 - 2.623 158 852 +0.4
1988 4.075 6.564 + 18 161 4.093 -76
1989 5.980 7.530 - 489 126 5.491 +0.4
1990 8.506 9.501 - 2.665 112 5.841 -8
1991 8.742 9.822 - 3.424 112 5.318 -31
1992 8.916 9.324 - 2.215 104.5 6.701 -39
1993 7.776 9.168 - 2.651 117.9 5.125 - 24.8
1994 5.476 5.364 83 97.9 5.559 +1.5
Source : Construction personnelle à partir des tables de la dette (1991, 1993 et 1996) et divers documents de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire.

Nous reviendrons plus longuement, dans la troisième partie, sur les facteurs internes qui ont conduit l’Algérie à un ajustement récessif. Contentons-nous de conclure, pour le moment, que ces résultats traduisent incontestablement le caractère inachevé de la construction industrielle algérienne et l’échec de la tentative d’auto-ajustement puisque le rééchelonnement n’a pu être évité.

Le rééchelonnement permet à l'Algérie, dès 1994, de redisposer d’une partie plus substantielle de sa rente, on ne sait encore pour combien de temps, tout en lui imposant un mode pour son utilisation. L’économie algérienne ne pourra plus pallier ses fortes distorsions dans l'utilisation des ressources par une injection répétitive de la rente comme ce fût le cas jusque là. Aussi, traverse-t-elle une phase très dure avec le risque d'un démantèlement ou d'une mise à l'arrêt progressive des pans essentiels de son industrie. Cette dernière est poussée brutalement dans un environnement dont elle ne maîtrise pas les règles de fonctionnement et sans que l'on ait pris le soin de l'assainir d'une situation passée où la rente des hydrocarbures se substituait à toutes les règles de gestion des ressources.

Cette section nous a permis de confirmer les résultats obtenus au terme de la première. Le rôle, joué par la fiscalité pétrolière, est resté très important jusqu'à la fin du premier quinquennal. La détérioration des termes de l’échange, faisant suite au "contre-choc" pétrolier, s'est traduite par une chute brutale de la fiscalité pétrolière au moment où le service de la dette et les paiements au titre des transferts au profit de l'étranger devenaient de plus en plus importants. Ce reflux d'une portion de la rente vers les créanciers marque une rupture dans la logique de la rente et de la dette. Elles ne constituent plus le complément de l'une à l'autre comme dans la décennie soixante-dix. La rente ne suffit plus pour financer le désendettement et l'accumulation conjointement, comme durant le plan quinquennal. La dette absorbe une partie de plus en plus conséquente de la rente sans que cela empêche la hausse de son stock du fait de la difficulté de leur substituer à toutes les deux une source de financement interne et permanente.

Les ajustements internes et externes, pratiqués dès le lendemain du "contre-choc" pétrolier, se sont avérés insuffisants. En inversant le signe des transferts nets, les deux rééchelonnements permettent à l'Algérie de redisposer d’une part plus importante de sa rente mais avec un mode d'emploi et pour un temps limité. La contrainte de générer des sources de financement, autres que la rente et la dette, est désormais bien réelle.

Notes
287.

Banque Mondiale : Rapport de sept. 1993, op. cité.