Conclusion de la partie.

La politique algérienne d’endettement repose implicitement sur la ferme croyance que le développement indépendant est d’abord lié à une large capacité de financement. L’aisance financière acquise grâce à la rente pétrolière et à l’élargissement de la solvabilité extérieure qui lui est conséquent permettent de contourner cette difficulté. Il est, en effet, difficile de concevoir, au vingtième siècle, un système productif indépendant en empruntant le cheminement classique du développement, en l’occurrence celui des vieux pays industrialisés. L’aisance financière est entrevue alors comme un préalable pour court-circuiter la phase dite du développement extensif.

En se donnant un schéma qui permet de passer directement à la phase intensive du développement, la doctrine algérienne, inspirée du modèle des industries industrialisantes, met en évidence les conditions de politique économique à réunir pour construire un système productif national. Ces conditions devraient libérer à terme le pays de sa dépendance vis à vis de la rente et la dette, celles-ci n’apportant dans l’esprit de la doctrine que le financement initial. C’est la condition même de l’apparition du système productif.

Le constat d’échec s’impose dès 1986. La crise financière qui éclate à cette date ne peut être appréhendée par celle du système productif. Cette présentation implique que ce dernier ait eu une existence et fonctionné en tant que tel. Elle révèle plutôt les faiblesses structurelles qui empêchent sa maturation. L’existence de celles-ci est attestée par l’incapacité de l’économie nationale à substituer un surplus hors hydrocarbures à la rente et la dette. Le statut de la rente, l’amélioration des termes de l’échange et le bas niveau des taux d’intérêt durant la décennie soixante-dix nous ont conduits plutôt à nous interroger sur les conditions intérieures de mise en valeur de la rente et la dette. C’est de ce mode de mise en valeur que nous semble dépendre principalement la formation et le durcissement de la contrainte extérieure.

Dans la doctrine de développement, l’articulation de l’une à l’autre n’était entrevue que sous l’angle de la complémentarité. La pratique du développement et ses résultats nous ont montré que cet aspect s’est progressivement effacé au profit d’une relation en forme de spirale. Le report des difficultés du système productif sur le secteur des hydrocarbures imposait à ce dernier de s’extravertir davantage. En plus du financement qu’il continue à apporter au reste de l’économie, le secteur des hydrocarbures doit faire face au service de la dette. La crise de 1986 peut s’interpréter comme le début d’une phase dépressive du cycle de la rente durant laquelle il est devenu de plus en plus difficile de faire face au problème du transfert tout en continuant à assurer le financement nécessaire à la constitution d’un système productif.

Le rééchelonnement n’est accepté par les autorités qu’en 1994. Ces dernières ont montré beaucoup de réticence à cet égard, compte tenu de la nature des réformes qu’impliquerait une telle éventualité. Elles ont préféré administrer une forte austérité à l’économie et la société afin d’échapper aux conditionnalités du Fonds Monétaire International. Les hésitations des pouvoirs publics et les changement d’attitude, au gré des équipes gouvernementales qui se sont succédées, ont eu pour effet de rendre encore plus difficile le redéploiement de l’industrie dans le cadre de l’ajustement structurel. L’échec de cette démarche a fait supporter à l’économie et la société le coût de l’ajustement sans bénéficier des fonds qu’aurait apportés l’ajustement adossé à un rééchelonnement classique.

Dans cette deuxième partie a été montré l’échec de la politique d’endettement articulée à la rente pétrolière. Nous tâcherons, dans la troisième et dernière partie, de mettre en évidence les facteurs internes à la base de cet échec, sachant que l’environnement extérieur n’a pu qu’aggraver ou au contraire alléger les contraintes structurelles ayant empêché la formation d’un système productif.