1.3.3 - Evolution de la structure des prix relatifs.

Le boom de 1974, remarquable, comme l’indiquent les chiffres du tableau n° 43, par l'appréciation des termes de l'échange dont l'indice est passé de 51,1 % en 1973 à 100 l'année suivante, ne semble pas avoir eu des répercussions à la hausse sur le prix relatif du produit "construction et services", que ce prix soit exprimé en termes d'importations ou en termes de "traded" (agriculture et industrie manufacturière).

En effet, le prix du secteur de la construction et des services, exprimé en termes d'importations est resté jusqu'à 1982 en dessous de son niveau de 1974. La tendance s'inverse à partir de 1982. On aboutit sensiblement à la même conclusion si l'on rapport l'indice du prix "construction et services" à celui des "traded".

Les prix des produits agricoles ont évolué plus rapidement que tous les autres, exception faite de ceux des hydrocarbures. Ce qui aurait dû normalement améliorer sa part dans la valeur ajoutée totale. Il n'y a pas de différence notable dans les évolutions respectives des prix de l'industrie manufacturière et ceux du secteur de la construction et des services jusqu'à 1979, date à partir de laquelle on peut noter une appréciation des seconds par rapport aux premiers.

L'étude des prix relatifs des "traded" ne permet pas, à l'évidence, de retrouver la séquence du modèle du "dutch disease" selon laquelle la hausse des revenus pétroliers, assimilable dans notre cas à une amélioration exogène des termes de l'échange, provoquerait une contraction des "traded" au profit des "non traded" suite à la hausse du taux de change réel lequel est donné, rappelons-le, par le rapport du prix des seconds à celui des premiers.

Sans avoir de calculs précis, nous pouvons avoir des indications sur l'évolution du taux de change réel grâce aux données des tableau n° 43 et 4

Tableau n° 43 : Evolution indiciaire des prix (1970 - 1984)
1970 1973 1974 1975 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984
1. Hydrocarbures 20,1 33,4 100 90 120,1 115,5 155,6 258,7 324,9 322,5 323,6 324,6
2. Agriculture 75,4 87,8 100 116,7 143,7 166,5 184 206,3 219,9 238,5 258,8 278,8
3. Industrie manufacturière 86,9 94,8 100 108,9 120 133,2 141,6 156,3 166,3 175,2 193,4 207,3
4. (2 + 3) 81,7 92,1 100 112,9 120,1 146,7 158,8 176,9 189,2 199,8 216,8 232,8
5. Construction 85,7 97,2 100 101,6 119,2 133,8 140,5 149,5 156,8 167,2 184,9 198,4
6. Services 86,7 92,2 100 103,4 130,4 133,2 141,6 185,8 210,1 224,4 253,8 273
7. (5 + 6) 100 102,7 125,6 133,5 141,1 169,9 186,1 197,6 221,2 236,6
8. Importations 65,4 75,3 100 115,8 138,2 148 162 183,6 197,4 199,3 201,1 201,7
9. Exportations 25,3 38,5 100 96,3 120 113,7 158,8 254,7 322 313 308,7 310,2
10. Taux de l'échange 38,7 51,1 100 83,2 86,8 76,8 98 138,7 163 157 153 154
11. Total valeur ajoutée 55,4 66,2 100 100,2 124,9 133,8 140,5 195,8 221,4 226,9 241,8 254,2
Source: construit à partir des données de la Banque Mondiale, Mémorandum
Tableau n° 44 : Différentiel d'inflation entre l'Algérie et le reste du monde.
1974 - 1979 1979 - 1984
1. Industrie manufacturières + agriculture 9,72 7,9
2. Construction + services 7,12 10,8
3. Valeur ajoutée 7,03 12,6
4. Importations 10,1 4,48
5. (1 - 4) - 0,38 3,42
6. (2 - 4) - 2,98 6,32
7. (3 - 4) - 3,07 8,12
Source : Construit à partir du tableau n°43

Les données du tableau n° 44 permettent de comparer l'inflation domestique à celle du reste du monde en rapprochant le taux de croissance des prix du secteur de la construction et des services à ceux des importations ou à ceux de l'industrie manufacturière et l'agriculture. Remarquons que la différence entre l'évolution des prix internationaux, donnés par les importations, et celle des "traded" n'est que de 0,38 points.

L'évolution des chiffres permet de dégager deux périodes. La première, allant de 1974 à 1979 qui se caractérise par un différentiel négatif. L'inflation domestique est moins forte que celle des partenaires commerciaux ; alors que la seconde (1979-1984) est marquée par une inversion brutale de la tendance. Le différentiel mesuré par la différence entre le rythme de croissance des prix du secteur de la construction et des services et celui des importations passe de - 2,98 points durant la période à 6,32 durant la seconde.

Les tendances qu'expriment nos chiffres recoupent tout à fait les résultats de l'étude de A. GELB et P. COMWAY311 selon qui le taux de change réel effectif s'est déprécié, sur la base de 1970-1972, de 4 % entre 1974 et 1978. Les deux auteurs notent en revanche une appréciation, sur la même base, de 4 % entre 1979 et 1981, de 14 % en 1982-1983 et de 23 % en 1984.

A l'évidence, il n'y a pas de relation systématique entre l'évolution des termes de l'échange et celle du taux de change réel ; sinon comment s'expliquerait-on cette différence dans le comportement de ce dernier au lendemain des deux "booms" pétroliers. Le taux de change est censé réagir par une appréciation ou une dépréciation, selon le cas, à l'évolution des termes de l'échange pour satisfaire à la contrainte de l'équilibre de la balance courante.

Le taux de change nominal n'est pas sensible à l'évolution des termes de l'échange du fait même de la méthode de cotation du dinar. Sa valeur externe est calculée quotidiennement sur la base d'un panier de 14 monnaies. Chacune d'elles est représentée exclusivement par son poids dans les dépenses extérieures. La valeur du dinar est alors une donnée exogène 312 puisqu'elle est censée révéler fidèlement les évolutions entre les différentes monnaies composant le "panier dinar". Par ailleurs, les termes de l'échange ne sont pas pris en charge par la méthode de cotation puisque les recettes y sont exclues.

De ce fait, la valeur du dinar ne peut donc ni refléter les différences de productivité entre l'Algérie et ses partenaires commerciaux ni jouer un rôle allocatif de ressources et d'instrument de rééquilibre de la balance courante.

L'inflation domestique, qu'elle soit due à une hausse des coûts ou à celle de la demande, est le second élément qui influence le taux de change réel.

Durant la première période, l'Algérie a pu maintenir à son avantage un différentiel d'inflation négatif vis à vis de ses partenaires commerciaux malgré une tendance à l'alourdissement de la croissance et à la faiblesse de la productivité du travail ( cf. section II du présent chapitre). C'est un résultat obtenu conjointement par la politique de répression qui consistait à empêcher un ajustement des prix sur les coûts et à rationner le marché des biens et services, d'une part, et de l'important niveau d'inflation chez les partenaires commerciaux d'autre part. La tendance "naturelle" à la thésaurisation a été, par ailleurs, renforcée par la stabilité des prix. A. GELB note que les algériens ont manifesté durant cette période une large propension à détenir des encaisses. Selon l'auteur l'élasticité - revenu de la demande de monnaie (M1) s'est maintenue à un niveau de 2 durant la période allant de 1967 à 1980313. La seconde période s'annonce avec d'importants changements à la fois dans la politique économique globale et dans l'environnement international. Les données du tablean°44 indiquent que le différentiel de prix entre le secteur "construction et services" et les « traded » (importations) est passé de - 2,98 en 1974-1979 à 6,32 en 1979-1984. Les surplus du second "boom", associés à une décélération de l'investissement, ont desserré la pression exercée jusque là sur la consommation. Aux prix constants 1974, la propension à consommer est passée de 60 % de la première à 70 % durant la seconde. Cette dernière période est marquée par les programmes anti - pénurie, le relâchement du rationnement et un certain libéralisme.

Sur le plan international, on peut noter la mise en oeuvre de politiques désinflationnistes. Le taux de croissance des prix des importations baisse de 10,1% durant la première période à 4,48% seulement durant la seconde. On ne peut oublier de souligner la forte appréciation du dollar face aux monnaies des principaux fournisseurs de l'Algérie. Le dollar compose le "panier dinar" à hauteur de 40 %. Aussi son appréciation entraîne-t-elle mécaniquement celle du dinar face aux mêmes monnaies. Le taux d'appréciation moyen du dinar contre le Franc français, le Dutch Mark et la Lire italienne, monnaies des principaux fournisseurs de l'Algérie, a été de 9,4, 27 et 10 % ,respectivement, sur la période allant de 1979 à 1983 (cf. tableau n° 45 ).

Dépréciation et appréciation du taux de change réel auraient dû ,selon le modèle du "dutch disease", conduire à une amélioration de la balance courante, les services facteurs non compris, dans le premier cas et à sa détérioration dans le second. Aussi, terminerons-nous cette section en montrant quelles ont été les limites du taux de change à jouer ce rôle d'ajustement.

Tableau n° 45 : Taux d'appréciation dinar (1979-1983).
Taux d'appréciation sur 1979-1983 Taux d'appréciation moyen annuel
1. Franc français 43,3 9,4
2. Livre sterling 12,4 3
3. D. Mark 11,2 2,7
4. Franc suisse 0,9 0,2
5. Franc belge 38,3 8,4
6. Florin hollandais 13,7 3,3
7. Lire italienne 46,2 10
8. Pesetas espagnole 70,7 14,3
Source : R. ABDOUN, Economie générale du taux de change, éléments d'analyse macro-économique in les Cahiers de la réforme n° 5, Avril 1988, p. 184.
Notes
311.

A. GELB et P. COMWAY : Algéria : Windfalls in a socialist economy, doc. Banque Mondiale, 1986, p.19

312.

R. ABDOUN : Economie générale du taux de change, éléments d'analyse macro-économique in les Cahiers de la réforme n° 5, avril 1988, p. 161.

313.

D'après A. GELB, les prix auraient dû s'accroître de 40 % entre 1974 et 1978 si ce n'était le rationnement. Document op. cité, p. 30.