2.3.2 - Changer de cap.

C'est paradoxalement à la même équipe, celle-là même qui a dispensé un discours élogieux et glorifiant sur le projet national, que l'on doit un bilan extrêmement sévère de cette politique, destiné à justifier la nécessité d’un changement de cap. Les partisans du changement soulignent le caractère extensif et par conséquent coûteux de la croissance économique obtenue durant la période allant de 1967 à 1979.

Leur argumentation consiste à dire que l'endettement récurrent des entreprises publiques a entretenu l'accroissement de l'endettement extérieur. Selon A. BRAHIMI, la dette des entreprises publiques s'élevait, au 31 décembre 1979, à prés de 170 milliards de dinars, soit plus de 2 fois le PIB 338. A cette même date, seuls 19 milliards, dont 10 avancés par l'Etat au titre de l'assainissement, ont été remboursés sur une dette initiale de 198 milliards 339. Le même auteur estime alors le service du service de la dette extérieure à 36 % 340. Ce chiffre est notablement supérieur à ceux fournis par les autorités algériennes et les organisations internationales (moins de 25 %).

L'endettement cumulatif des entreprises publiques a pour cause les surcoûts liés à l'investissement de départ et d'exploitation, les choix industriels et le mode de gestion. Le souci d'intégration "micro-économique" des complexes industriels a favorisé leur juxtaposition au détriment des relations plus larges, intra et intersectorielles, avec pour conséquence une sous - utilisation de leurs capacités de production.

Tous ces aspects ont été largement soulignés par les études critiques sur l'industrialisation de l'Algérie. C'est plutôt le choix de l'alternative qui est important à discuter. Avec de telles critiques, on est en droit d'attendre de ceux qui se désignent comme "réformateurs" un coup d'arrêt à l'utilisation extensive de la rente et d'organiser le passage à une phase de rationalisation en consolidant le système productif grâce à la mise en place des pans essentiels, toujours manquants, et une restructuration physique de l'existant à même de favoriser une meilleure intégration du tout.

Avec les perspectives aussi peu rationnelles de gestion des ressources, le plan VALHYD est annulé car il présente le risque d'entraîner le pays vers un épuisement de ses ressources connues, à un endettement contraignant et de priver les générations futures d'une ressource tout en leur transmettant le poids de l'endettement. Toujours selon A. BRAHIMI qui utilise un coefficient de surcoût pour l'Algérie allant de 2,4 à 2,85, le coût du projet ne serait pas de 33,4 milliards de Dollars comme prévu mais de 80. La dette qui lui est liée est de 43,5 au lieu de 17,5 et le bénéfice de 8 au lieu d 39,7 sur lequel il faut prélever les charges d'intérêt341. D'autres études ont souligné avec cependant moins d'exagération le caractère peu avantageux du plan VALHYD.

A notre avis, le problème n'était pas celui des moyens au lendemain du second "choc pétrolier", mais celui d'une stratégie de redéploiement qu'il fallait imaginer sachant que le système productif était devenu plus complexe et par conséquent sa gestion peu compatible avec l'ancien mode d'organisation. A propos de calcul, le total des recettes au titre des exportations d'hydrocarbures s'est élevé à 329.463 millions de dinars durant la période de 1979-1984, soit à une moyenne annuelle de 54.910,5. Cela nous donne une différence de 30.740,5 avec la recette de 1978 qui n'est que de 24.170. Sachant que les quantités exportées n'ont pas changé, on peut estimer le gain de recettes, dû à la seule amélioration du prix du pétrole, à 184.443 millions de dinars sur la période 1979-1984, soit, en dollars, à près de 37 milliards. Ce chiffre excède de 10 milliards environ le total des recettes d'hydrocarbures au titre de la période 1970-1978 (cf. Tableau n° 35, Partie II, Chapitre 3, Section 2).

Le désendettement de quelque 4 milliards de dollars durant cette période est sans commune mesure avec les effets financiers du second "choc pétrolier". Il ne peut relever par conséquent d'un effort particulier en relation avec les nouvelles orientations de politique économique.

Les insuffisances du Plan VALHYD sont évidentes. L'est moins en revanche la prétendue rationalité qu'annonçaient les réformateurs. A l'évidence, il est plus coûteux d'arrêter la construction d'un système productif devenu aussi dense et complexe que de parachever sa construction. La réorientation des investissements, principal acte de la nouvelle équipe, a condamné à la dépendance le système productif. Les mesures de restructuration, décidées au début de la décennie 80, n'ont allégé les entreprises ni de leur endettement, ni de leur tutelle plurielle et étouffante et encore moins de la gestion administrée de leurs ressources dont elles continuaient à subir les effets négatifs. La rente pétrolière dont le volume a nettement augmenté, comme souligné plus haut, n'a pas créé les emplois logiquement attendus. Bien au contraire, un contexte permissif à son appropriation privée a été créé. Les mécanismes de cette appropriation feront l'objet de la prochaine section.

Au terme de cette section, nous pouvons retenir les points suivants :

Notes
338.

A. BRAHIMI, op. cité, p. 163.

339.

Idem.

340.

Idem, p. 149.

341.

A. BRAHIMI, op. cité, p. 119.