2.2.1 - Le fardeau de l'inflation et sa répartition.

L'ajustement des prix est un élément essentiel dans la phase de stabilisation. Le but est de retrouver l'équilibre entre l'offre et la demande par une contraction de cette dernière. L'efficacité d'un tel mécanisme suppose un blocage, au moins partiel, des salaires pour éviter de tomber dans une spirale entre la hausse des salaires et celle des prix. Nous nous intéressons dans ce qui suit à la seule évolution des prix à la consommation qui sont donnés par le tableau n° 66.

Tableau n° 66 : Evolution de l'IPC en variation annuelle (1990-1997).
1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997
1er trim
1. En moyenne annuelle 17,9 25,9 31,7 20,5 29,5 29,8 18,7 10,2
2. En glissement annuel (dec./ dec.) 46,9 40,1 29,8 18,9 50,8 19,8 15,7
Source :
1) CNP, tableaux de bord de l'économie, sept. 1996,
2) CNES, rapport op. cité ;
3) Enquête semestrielle de l'ONS, 1er trimestre 1997.

La variation des prix d'une année sur l'autre porte sans aucun doute l'empreinte combinée de la dévaluation du dinar et de la libération du système des prix intérieurs. Ces derniers ont été progressivement libérés après les réformes de 1989. En proportion de tous les prix, le régime des prix réglementés ne couvrent plus que 60 % en 1990, 30 % en 1991 et 16 % seulement en 1994 contre 90 % avant 1989433. Leur poids est actuellement négligeable. Par ailleurs, l'Etat n'apporte actuellement son soutien direct qu'au lait et à la farine.

Cette tendance est bien montrée par la variation des prix en glissement annuel qui exprime mieux les phénomènes d'accélération et de décélération. En 1990 par exemple, la hausse est due essentiellement à la libération des prix et accessoirement au glissement du dinar. Les pics de 1991 et 1994 s'expliquent en revanche par l'effet combiné de la dévaluation et de la libéralisation des prix.

Sur toute la période, l'indice marque une nette tendance à la baisse qui signifie à la fois une stabilisation du taux de change en fin de période et un quasi-achèvement du processus de libération des prix intérieurs. En moyenne annuelle, l'indice passe de 29,8 % en 1995 à 18,7 en 1996. En glissement annuel, la décélération est très nette. De 50,8 en 1994, taux le plus élevé, l'indice passe à 19,8 % en 1995 et à 15 % en 1996. Selon l'office national des statistiques, les prix à la consommation n'ont cru que de 10,2 % durant le premier trimestre de 1997 par rapport au même trimestre de l'année précédente. Ce qui augure d'une clôture de l'année avec une inflation des prix à la consommation à un chiffre. Selon les prévisions en la matière, ce taux devrait baisser à 9,7 % à la fin de 1997434.

Les variations moyennes des prix n'indiquent pas cependant comment se répartit le fardeau de l'inflation entre les différentes catégories de la population. L'augmentation des prix n'étant pas uniforme pour tous les biens et les services, ces dernières ressentiront le poids de l'inflation en fonction de leurs structures de consommation respectives. Par ailleurs, on sait que l'inflation appauvrit les titulaires de revenus fixes et des revenus salariaux principalement. Les salariés ne peuvent ajuster leur revenu à cause de leur position sociale. Les revenus des indépendants peuvent, quant à eux, s'ajuster voire se surajuster. Un transfert de valeur des premiers vers les seconds apparaît alors dans ce dernier cas.

Selon les chiffres du Conseil national de la planification (CNP), l'inflation a touché bien plus fortement les premières strates de revenus. La répartition inégalitaire de l'inflation relève de la différence de structure de la consommation pour chaque strate et du délai d'ajustement des prix pour chaque groupe de produits. A revenus inchangés, la baisse du pouvoir d'achat est plus forte à mesure que l'on s'oriente vers les premières strates de revenu.

En 1994, le deuxième décile a eu à supporter un taux d'inflation sur son panier de 38,8 % dont 49,1 % sur son seul poste alimentation et boissons non alcoolisées (cf. annexe n° I). Ces taux sont respectivement de 52,9 % et 64,4 % si l'on raisonne en glissement annuel (cf. annexe n° J). Le neuvième décile fait face à une inflation moins importante puisque ces taux ne sont que de 30,3 % et 41 % dans le premier cas et de 40,9 % et 49,8 % dans le second. En ne raisonnant que sur l'indice général, c'est à dire sur tout le panier, le deuxième décile a eu à supporter un différentiel d'inflation par rapport au neuvième de 8,5 points en moyenne et de 22,6 points en glissement annuel.

Cet écart s'explique par le poids du poste alimentation dans l'indice général et sa structure particulière pour chaque strate de revenu d'une part et la lenteur d'ajustement des prix des autres biens et services d'autre part. Le poste alimentation expliquait la hausse des prix à la consommation à raison de 75 % en 1991 et 67% en 1994. Cette tendance à la baisse s'accentue jusqu'à 1996. Le poste alimentation n'explique plus la hausse des prix à la consommation qu'à la hauteur de son propre poids dans l'indice général, soit 44 %. Cela signifie que les prix des autres biens et services se sont ajustés à la hausse plus rapidement que ceux des biens alimentaires en fin de période. Il en résulte une répartition de moins en moins inégale de l'inflation entre les différentes strates. En moyenne annuelle, ce différentiel d'inflation n'est plus que de 2,1 points entre le deuxième et le neuvième décile.

Pour avoir une idée sur la répartition du poids réel de l'inflation, il faut rapprocher ces résultats des revenus distribués. Le manque de statistiques nous impose de nous contenter de données très générales.

Selon le Fonds Monétaire International, les revenus salariaux ont perdu près du tiers de leur pouvoir d'achat entre 1993 et 1996435. Les données du CNES et du CNP sont malheureusement insuffisantes et contradictoires.

Pour le CNES, la hausse des revenus salariaux a été de 23,5 % en 1995 et de 14,5 % seulement en 1996. En rapprochant ces deux chiffres de ceux de l'inflation pour les mêmes années, soient 29,5 % et 18,7 % respectivement, on conclut à une perte de pouvoir d'achat de 6 % et de 4,2 % 436.

Selon le CNP, les revenus salariaux ont augmenté de 16,7 % en 1996. La perte de pouvoir d'achat ne serait plus que de 2,2 % dans ce cas. Ce sont des salaires de l'agriculture qui ont été le plus pénalisés puisqu'ils n'ont haussé que de 15 % seulement contre 16 % pour les salaires non agricoles et 17,8 % pour ceux de l'administration. Toujours selon la même source, le revenu des indépendants aurait augmenté pour la même année de 23,6 %, soit à un taux supérieur à celui de l'inflation. Cette hausse se répartit à raison de 33,3 % pour l'agriculture, 30 % pour les affaires immobilières et seulement 17,5 % pour les autres (industrie et commerce)437.

Selon ECOTECHNICS, le salaire moyen dans l'industrie qu'il tient comme un bon indicateur n'a augmenté que de 5,2 % de 1995 à 1996. Même en tenant compte

d'une hypothèse de 3 % d'augmentation du volume de l'emploi pour le rapprocher des autres résultats, on aboutit à une perte de pouvoir d'achat bien plus importante.438

Enfin, l'évaluation du gouvernement, plus optimiste que les autres, reconnaît une hausse des prix à la consommation de 15,8 % au lieu de 16,7 %. La masse salariale aurait augmenté de 19,3 % compte tenu d'une augmentation de 3 % du volume de l'emploi. Le pouvoir d'achat moyen se serait donc amélioré de 0,5 % contre une détérioration de - 6,1 % en 1995 selon la même source439.

Aux difficultés créées par les divergences statistiques entre les différentes sources, vient s'ajouter pour nous celle de l'impossibilité d'imputer les effets des prélèvements et des transferts sur les revenus salariaux.

Pour amortir la baisse du pouvoir d'achat sur les salaires les plus bas, il a été décidé au courant de l'année 1996 :

  • un abattement fiscal sur le revenu global (IRG) au profit des salaires bruts ne dépassant pas 15.000 dinars ;

  • une hausse des allocations familiales de 300 à 600 dinars au profit des salaires n'excédant pas 15.000 dinars ;

  • une suspension, au profit de la même catégorie de salariés, de la mesure qui consisterait à opérer d'autorité des ponctions sur les salaires pour venir en aide aux travailleurs des B.T.P qui n'avaient pas perçu leurs salaires durant une année. Le mécontentement provoqué par cette mesure a contraint le gouvernement de transformer les prélèvements en emprunt obligataire, donc remboursables à terme. Par ailleurs, cet emprunt a été limité aux salariés dépassant 15.000 dinars avant de donner lieu dès juillet 1996 à un relèvement exceptionnel, pour une durée de 6 mois, de l'impôt sur le revenu global de cette catégorie de salariés.

  • une augmentation des salaires de 10% a été obtenue à l’occasion de la tripartite au printemps 1997. Elle sera suivie de deux autres de 5% chacune. Elles deviendront effectives en janvier et septembre 1998 respectivement.

Au vu des prévisions sur l'inflation des prix à la consommation qui doit baisser en dessous de la barre des 10 % et ces augmentations de salaire, il est probable qu’à très moyen terme, le problème se posera davantage en termes de chômage et de préservation de l'emploi que de perte de pouvoir d'achat.

Notes
433.

A. HARCHAOUI : La réforme du système des prix et des subventions in Présidence de l'Etat, doc. op. cité, p. 62.

434.

F.M.I, doc. op. cité.

435.

F.M.I : Mémorandum, op. cité, p. 28 (voire annexes du document).

436.

CNES : Rapport sur la conjoncture du second semestre 1996, p. 53.

437.

CNP : Document op. cité (voir annexe du document).

438.

ECOTECHNICS : Document op. cité, p. 28.

439.

Services du Chef du Gouvernement, doc. op. cité, (voir annexe du document).