2.3 - Quelles perspectives ?

Peut-on affirmer que l'Algérie réunit aujourd'hui les conditions d'une sortie de la phase de stabilisation et corrélativement celles de la relance de la croissance économique ? Les indicateurs macro-financiers semblent tous converger vers cela. Excédents budgétaire et commercial, absorption du surplus monétaire, stabilisation du taux de change et réduction notable de l'inflation sont autant de "performances". La fragilité de ces résultats est, cependant, à souligner quand on sait quel a été le rôle du prix du pétrole dans leur obtention. Sa bonne tenue en 1995 et 1996 a directement influencé la balance des paiements, le budget de l'Etat et la masse monétaire via ce dernier.

Même en supposant que ces performances ont quelques chances de durer, on ne peut s'empêcher de se poser une foule de questions quant au devenir de la société algérienne dans le moyen terme. Celle qui nous concerne directement est liée à la réunion des conditions d'un non retour à l'économie d'endettement. Quelles sont les chances de l'industrie algérienne sachant qu'elle doit opérer sous la contrainte de la concurrence étrangère ? Enfin, quels sont les moyens et la volonté de l'Etat pour soutenir la relance de la croissance économique tout en mettant fin au processus de bipolarisation sociale qui alimente dangereusement les fractures sociales présentes ?

A partir du mois d'avril 1998, soit à la fin de l’EFF, l'Algérie doit renouer avec un service de la dette en hausse. Selon la Banque d’Algérie, le ratio de ce dernier passerait de 33.1% en1997 à 37.8 en 1999, première année complète de la reprise des paiements au titre du service de la dette. Ce taux devrait décroître à 33.5% en l'an 2000446. Le programme du gouvernement, publié une année avant seulement, est moins optimiste puisqu’il retient un ratio du service de la dette de 54% pour l’an 2000447. La différence notable entre les deux évaluations tient à celle des prix et des quantités retenues pour les exportations d’hydrocarbures. C’est dire toute la difficulté qui entoure tout travail de prévision sur les recette d’exportation d’hydrocarbures. Rappelons que la méthode, dite progressive, qui a été retenue pour le remboursement de la dette rééchelonnée, aura pour effet, toute chose égale par ailleurs, de hausser le service de la dette. On ne peut s’empêcher de faire la relation entre le développement que connaît, actuellement, le secteur des hydrocarbures et des échéances très prochaines. L’actuelle déprime du marché, faisant suite à la crise financière asiatique, au relèvement du plafond de production de l’O.P.E.P et la reprise des exportations de l’Iraq, donne toute la mesure de ces incertitudes.

La menace qui se profile dans le très moyen terme impose de mobiliser des financements sains pour relancer la machine économique. Le secteur productif pourra-t-il faire face à cette menace compte tenu de sa situation actuelle ? Sa restructuration n'est pas achevée. Son endettement, le vieillissement de ses équipements et la faiblesse de son encadrement sont autant d 'handicaps qui l'empêchent de recevoir des investissements nouveaux et d'affronter la concurrence étrangère. A ces conditions très peu attractives, il faut ajouter celle de la rémunération de l'épargne, nettement plus avantageuse, dans le commerce, les services et l'économie informelle en général.

Les dispositions prises pour encourager l'investissement privé national et étranger ne semblent pas avoir eu les retombées attendues. Selon l'estimation du gouvernement, 3.500 intentions d'investissement ont été enregistrées durant les années 1995 et 1996448 dont 2.075 pour la dernière année selon l'agence de la promotion de l'investissement (APSI449. La caractéristique essentielle des projets inscrits est leur petite taille. Le volume de l'emploi envisagé par ces derniers en 1996 est de 27.000 seulement, soit 6 postes de travail en moyenne par projet. Ce qui explique d'ailleurs l'importante part des fonds propres dans le financement (57 %).

L'appel à l'investissement étranger ne semble pas avoir donné les résultats espérés non plus. Sa particularité repose sur le fait qu'il n'entraîne pas, du moins à court et moyen terme, d'endettement. Il permet par conséquent de préserver les réserves officielles et d'atténuer la pression du service de la dette. Le nombre de projets recueillis par l'APSI durant la période (1994-1996) est de 89450. Les statistiques ne permettent pas de quantifier l'état des réalisations pour l'ensemble des projets inscrits. Exception faite du secteur des hydrocarbures, le seul projet d'envergure dont nous avons connaissance est celui qui concerne la participation du groupe coréen DAEWOO dans le complexe mécanique de ROUIBA. Signé en 1997, il porte sur un montant de près de 1 milliard de dollars.

La restructuration n'étant pas achevée, on comprend le peu d'engouement affiché par le capital étranger pour s'engager dans des accords de partenariat. A cela, il faut ajouter un climat social peu attirant, comparé aux conditions générales qu'offrent d'autres pays, notamment ceux de l'Asie et de l'Europe de l'Est.

Rien n'indique à moyen terme la possibilité d'une inflexion à la baisse de la courbe du chômage. Comment peut-on espérer une prise en charge de ce problème à grande échelle quand on sait que l'un des principaux effets de l'ajustement a été de stériliser la rente pétrolière dans un contexte où le budget de l'Etat en dépend encore largement ? D'ici l'an 2000, la rente pétrolière continuera à apporter à l'Etat 50 % de ses recettes. Près d'un cinquième des recettes budgétaires totales seront consacrées au seul service de la dette publique. Celle-ci est estimée par le Gouvernement à 2.000 milliards de dinars en 1997. Il sera difficile à l'Etat de développer une action économique et sociale pour favoriser la relance. Les dépenses d'équipement ne s'élèveront qu'à 7 % du PIB contre 15 % en 1985451.

Les effets du chômage sont atténués par les réflexes de solidarité familiale et l'existence d'une large économie informelle. La progression de la libéralisation aura inévitablement pour effet de réduire cet espace et de modifier les réflexes traditionnels. Touchant une population très jeune, le chômage représente une menace très sérieuse pour l'avenir. Dans le système de représentation de cette population, le chômage résulte d'un partage inter temporel inégal de la rente pétrolière. Son lourd endettement est le fait de la mauvaise utilisation de la rente par les aînés. Les conflits de génération glissent de plus en plus vers des oppositions politico-idéologiques. En pénalisant cette tranche de la population, l'ajustement structurel creuse davantage la fracture sociale.

On pourra retenir les points suivants au terme de cette section :

Notes
446.

Banque d’Algérie : Situation financière et perspectives à moyen terme de la république algérienne, juil. 1997. P ; 31.

447.

Programme du gouvernement, op. cité, (Cf ; annexes du rapport).

448.

Programme du gouvernement, juil. 1997, p. 50.

449.

APSI, cité par ECOTECHNICS, op. cité, p. 23.

450.

Idem.

451.

Services du Chef du gouvernement, op. cité (Cf ; annexes du document).