1 § Délocalisation des soins et création de pôles techniques.

Pendant les dernières décennies les conditions d’hospitalisation ont été révolutionnées par l’introduction de nouvelles technologies et de nouvelles thérapeutiques. Celles-ci ont permis le développement des soins sans hébergement. Elles sont à l’origine de nouvelles formes de concurrence entre les différents modes d’organisation des soins. Les nouvelles technologies et thérapeutiques peuvent être mises en oeuvre à l’hôpital par la création de pôles techniques ou dans des structures ambulatoires. L’utilisation plus intensive de ces nouvelles thérapeutiques s’est traduite par le développement des hospitalisations programmées, à durée limité, à partir de protocoles médicaux. Certaines technologies et thérapeutiques permettent une délocalisation des soins à domicile avec parfois aussi un suivi à distance.

La réduction importante de la durée moyenne du séjour hospitalier pendant les années soixante-dix et quatre-vingt dans toutes les disciplines et spécialités médicales hospitalières a contribué à l’accroissement de l’efficacité globale et à des gains de productivité. Les nouvelles conditions d’hospitalisation et notamment les processus plus courts d’hospitalisation avec des entrées et des sorties plus fréquentes ont contraint les personnels hospitaliers à modifier leurs comportements. L’adaptation a été rendue d’autant plus difficile qu’aux années soixante sans contrainte budgétaire, succédait une période de rigueur et d’austérité budgétaire.

S’agissant de la psychiatrie, le rapport du Docteur MASSE9, commandité par le Ministère de la Santé, a contribué à orienter cette discipline vers la décentralisation et la coopération avec les autres spécialités générales, sous forme de ponts entre le médical, le sanitaire et le social. La politique de santé mentale maintient son cap: l’ouverture de la psychiatrie sur la cité, en intégrant en amont la prévention des pathologies et en aval, la réinsertion sociale des malades, compte tenu de tous les obstacles engendrés par la nécessité de redéployer les moyens dans un contexte de crise économique. Les points d’ancrage sont les suivant:

  • le service intrahospitalier est jugé pléthorique (trop de lits d’hospitalisation classique)

  • les solutions alternatives hospitalières sont encore trop peu développées:
    • soins à domicile,

    • soins prodigués au coeur de la cité.

  • l’hôpital doit être plus ouvert, la structure « néo-asilaire » est amenée à disparaître.

  • nécessité de nouer des liens étroits entre la psychiatrie et les services médico-chirurgicaux; en priorité au niveau des enfants et des urgences.

  • nécessité de collaboration entre la pédiatrie, l’obstétrique et la psychiatrie infanto-juvénile.

  • accentuation de l’articulation gériatrie, maison de retraite et psychiatrie de secteur pour les personnes âgées.

  • renforcement des articulations entre les différents établissements médico-sociaux.

Ailleurs pour certaines pathologies lourdes, des pôles techniques se constituent en cumulant les avantages des dynamiques industrielles et professionnelles. Il s’agit d’une évolution des pôles professionnels vers ce que T. GAUDIN10 appelle le « traitement industriel de la maladie ». Cette évolution vers des plateaux techniques importants tels que les plateaux d’imagerie, les laboratoires de biologie moléculaire, les hôpitaux de cardiologie, n’est pas sans conséquence sur le protocole de prise en charge du malade et de la maladie et sur l’organisation du travail.

Actuellement, le modèle dominant de l’hôpital demeure toujours très hospitalo-centriste. Le rapport du Docteur François PEIGNE11 et celui d’Edouard COUTY et de Didier TABUTEAU12 montrent que l’hôpital n’est pas encore assez ouvert vers l’extérieur, sur la médecine libérale, les activités ambulatoires, les services sociaux, la population et le tissu industriel et économique environnant. Les différentes structures de soins extra-hospitalières sont encore insuffisamment développées; c’est le cas de l’hospitalisation à domicile, l’hôpital de jour, l’hospitalisation de nuit, l’hospitalisation à temps partiel, l’appartement thérapeutique, le centre médico-psychologique.

La coopération inter-établissement est insuffisante. Elle se traduit par de doubles emplois au sein de l’activité hospitalière publique. Deux hôpitaux voisins peuvent avoir des cuisines ou des blanchisseries travaillant en sous-capacité alors qu’un regroupement sur un site suffirait à leurs besoins. Les syndicats inter-hospitaliers regroupant certaines activités hospitalières sont encore trop peu nombreux. La planification issue de la loi hospitalière de 1970 ne favorise pas la complémentarité entre établissements publics et établissements privés ayant passé une convention de service public. L’élaboration de cette première planification sanitaire reposait sur un objectif d’organisation de l’hospitalier après une période de forte croissance et de développement de l’équipement et des moyens humains. Il faudra attendre la loi hospitalière de 1991 pour qu’une planification plus participative, globale et stratégique, associe le sort du secteur public et du secteur privé lié par convention au service public dans un cadre privilégiant la complémentarité aux dépends de la logique concurrentielle. Aujourd’hui, on observe, bien que dans des proportions encore faibles, au développement de l’ambulatoire. Les nouvelles techniques de diagnostics et les nouvelles thérapeutiques permettent de soigner les maladies plus vite et dans de meilleures conditions. Bien qu’encore limité, le soin à domicile se développe et les plateaux techniques se renforcent. Les premières conséquences de ces évolutions au niveau des capacités d’hospitalisation sont la diminution globale des lits avec une reconversion partielle en lits de soins de suite ou de longue durée pour les personnes âgées où des besoins importants sont encore insuffisamment couverts.

L’hôpital de demain verra se continuer le renforcement des plateaux techniques avec une médecine de spécialités. Dans SANTE 201013, le groupe «Prospective du système de santé » présidé par Raymond SOULIE (Commissariat général du plan) définit trois scénarios-type dans les dix années à venir:

  • un scénario tendanciel,

  • un scénario « soins techniques »,

  • un scénario « santé organisée ».

Il apparaît dans ces trois représentations de l’hôpital de demain, que les tendances actuelles vont se confirmer: les plateaux techniques vont se développer parallèlement aux pratiques de soins ambulatoires et à domicile.

Dans le scénario « soins techniques », les nouvelles techniques et thérapeutiques pourront donner progressivement la pleine mesure de leurs potentialités. La médecine d’experts se développe considérablement. L’informatique aide à la diffusion et à la mise en oeuvre de protocoles cliniques de prévention, d’exploration et de traitement. Les médecins se regroupent en réseaux de spécialistes organisés autour de la prise en charge d’un système fonctionnel ou d’un organe (clinique de l’appareil respiratoire, du coeur, etc...)

Les innovations techniques sont rapidement intégrées et deviennent thérapeutiques. Dans les hôpitaux, la fonction hébergement décline, le nombre de lits diminue; la médecine de spécialité devient prépondérante alors que les soins ambulatoires et à domicile se développent ainsi que les techniques de suppléances légères.

Dans le scénario tendanciel, l’Etat n’intervient pratiquement pas et la concurrence entre les hôpitaux publics et les cliniques privées est vive. Alors que dans le scénario « santé organisée », l’Etat définit des objectifs de santé, organise et mène des actions sanitaires et sociales. Les acteurs agissent en concertation et en coordination à partir d’une carte sanitaire qui décline l’évolution structurelle des structures sanitaires et hospitalières en fixant des objectifs sur 5 ans.

Notes
9.

Gérard MASSE, Rapport MASSE sur la politique en santé mentale, Ministère de la santé et de l’action humanitaire - 18 juin 1992.

10.

T. GAUDIN, « 2100, récit du prochain siècle », Payot, 1991

11.

Docteur F. PEIGNE: « Notre système hospitalier et son devenir. Les huit volets d’une politique hospitalière », ENSP,1991. 

12.

E.COUTY et D.TABUTEAU: « Hôpitaux et cliniques: les réformes hospitalières », Berger-Levrault, 1991.

13.

« Santé 2010; Santé, maladies et technologies », Commissariat du Plan, la Documentation Française, Paris, 1993