F - Une direction “administrative” hospitalière conçue sur le modèle de la bureaucratie étatique.

Pour qu’une organisation fonctionne de manière satisfaisante, il faut que ses membres acceptent de contribuer à assurer la réalisation de ses objectifs. En tant que membre d’une organisation, aucun agent ne peut privilégier ses intérêts personnels à ceux de l’organisation. Les agents ne peuvent atteindre leurs objectifs propres que dans la mesure où ces derniers sont intégrés à ceux de l’organisation. L’agent ne participera et se mobilisera pour les objectifs de son organisation, que s’il y retire un intérêt personnel. C’est dire l’importance des projets d’établissement qui fédèrent les énergies et les objectifs individuels et collectifs.

Rien dans la loi hospitalière de 1970, n’a orienté le fonctionnement de l’hôpital public dans une dynamique de projet, tant au niveau des services administratifs que des services médicaux. Actuellement, l’avancement propre à la carrière de chaque fonctionnaire semble administrativement se désolidariser des objectifs de la collectivité et de la productivité de l’organisation, en reposant essentiellement sur l’ancienneté et les mérites. C’est ainsi que le statut du personnel hospitalier prévoit le passage d’un échelon à un autre d’après des grilles élaborées à partir de durées préalablement définies; la note ne faisant que corréler ces durées en plus ou en moins par rapport à la note moyenne du grade.

L’intéressement à la réussite des projets de services n’est qu’ébauché dans la loi hospitalière de 1991 et sans conséquence sur les salaires des agents. Les éventuelles réalisations d’objectifs au niveau d’un service ne permettent pas actuellement le partage des économies ou des gains obtenus collectivement entre les agents du même service. L’effet de retour individuel n’est pas inscrit dans les textes.

La généralisation du projet d’établissement à l’hôpital public pourrait contribuer à sortir l’hôpital de la crise afin qu’il s’engage sur de nouvelles voies. Pour cela, la démarche projet doit conduire et favoriser une mutation culturelle parmi les acteurs hospitaliers:

Il serait souhaitable de développer le sentiment d’appartenance du personnel à l’hôpital. Actuellement, les agents hospitaliers ressentent plus des appartenances professionnelles qu’un enracinement au niveau de l’institution;

Les dysfonctionnements actuels à l’hôpital public ne sont pas seulement techniques et financiers, ils sont aussi culturels. Pourtant, lorsque l’on est à l’écoute des acteurs hospitaliers on se rend compte qu’il y a un paradoxe entre leur désir de connaître le sens historique et actuel de l’établissement ou du service où ils exercent, son identité, et l’affaiblissement de leur sentiment d’appartenance à l’institution.

Simone TIMAR49 s’est interrogée sur les liens entre les sentiments d’appartenance des acteurs à l’institution hospitalière, leurs motivations et le degré d’imprégnation de la culture hospitalière. Les exemples étudiés, à l’hôpital, en clinique mais aussi dans l’entreprise, démontrent tous que « là où une culture stimulante fait défaut, le système social d’action est comme un corps sans âme ». Pour imprégner positivement une culture hospitalière, trois principes sont particulièrement importants:

Un système de valeurs bien structurées qui forme le fond de la culture, présuppose une attitude de confiance et doit assurer la cohérence nécessaire entre les projets individuels et les objectifs institutionnels. Les sous-cultures divergentes doivent pouvoir fonctionner sans que leur objectifs contreviennent à l’orientation globale.

Le développement des pratiques thérapeutiques et des actes techniques fait oublier que la maladie n’est qu’un élément d’un projet de santé. La conception actuelle de la santé qui ne retient que la non maladie n’est pas étrangère à cette évolution individuelle des agents. Il a fallu attendre un texte daté du 23 octobre 199550 pour que soit officiellement intégré de manière stratégique une notion différente de la maladie et de la santé guidant la nature des missions de la DDASS et de la DRASS dans le domaine de la santé et de son environnement.

Les interventions de la DDASS et de la DRASS peuvent s’inscrire désormais dans une stratégie globale de santé publique. Dans son rapport « la santé en France » le haut comité de la santé publique décrit les éléments et les grands axes de la politique de santé publique. La maladie s’intègre désormais à l’intérieur de l’environnement social et physique, et les soins ne sont qu’une des réponses à une demande individuelle dont les objectifs sont la santé mais aussi le bien être physique et social des personnes.

A partir de ce schéma général, une nouvelle politique devient possible avec des actions qui pourront se situer en référence à ce cadre.

Les intervenants et acteurs de la santé peuvent ainsi mieux dialoguer, mieux se comprendre et trouvent une finalité collective à leurs actions individuelles. Une modélisation permet aussi de mieux identifier les points forts et les points faibles des actions mutuelles et d’aider au diagnostic et à la conduite des actions. Elle peut servir de support à une meilleure identification des missions respectives des différents acteurs.

La santé publique, définie à l’intérieur d’une stratégie globale par un modèle simple, permet d’améliorer les actions de communication entre les acteurs de la santé et les usagers. La démarche santé-publique dans son environnement peut-être représentée ainsi:

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Figure : Représentation de la démarche de santé publique appliquée au domaine "santé-environnement".
[Note: Sources: circulaire DGS/VS, No 95688 du 23 octobre 1995.]

Ce schéma peut être commenté de la manière suivante:

Les milieux de vie de l’homme sont en interaction permanente avec lui et ces interactions peuvent avoir des effets positifs ou négatifs et à effets différés. La santé de la population résulte d’un ensemble complexe de déterminants individuels, génétiques ou comportementaux tels que l’environnement social et physique. Elle peut être décrite au travers des indicateurs de mortalité, de morbidité et de bien-être.

L’action de santé publique va résulter de décisions qui vont avoir pour objectifs, en intervenant sur les milieux ou les personnes, d’assurer un réel effet préventif mais aussi curatif en tentant de juguler les nouveaux cas de maladies.

La prise de décision intègre la gestion globale des risques. Les principales phases sont l’identification des problèmes et la détermination des objectifs et des contraintes sur le plan de la santé publique mais aussi juridiques, politiques, économiques et financiers. Les principaux objectifs de santé publique sont la réduction de la mortalité et de la morbidité ainsi que la protection du patrimoine naturel dans la mesure où l’état de santé de l’homme dépend directement du maintien des équilibres dynamiques qui régissent son environnement. Parmi ces principaux objectifs, nous trouvons aussi l’élaboration de solutions alternatives.

La prise de décision et l’action nécessitent:

En se spécialisant dans une fonction de plus en plus spécialisée sans être relié à l’ensemble du processus soin - santé - maladie, le soignant peut éprouver des difficultés d’identification. Dans ce contexte, la motivation des acteurs a tendance à décroître. Les approches participatives responsabilisantes sont pratiquement inexistantes actuellement à l’hôpital public. Il existe encore peu d’indicateurs de performance opérationnels qui aideraient à déterminer des objectifs clés et à situer les acteurs dans un processus global.

La démarche projet pourrait devenir à l’hôpital, le cadre institutionnel favorisant des améliorations dans l’organisation, notamment dans le renforcement du sentiment d’appartenance à l’organisation et la détermination d’un ensemble de valeurs collectives.

Chaque agent pourrait trouver un sens à son activité individuelle au sein des valeurs et des objectifs collectifs. Le projet d’établissement est supposé intégrer les activités, les pratiques et les compétences de chacun avec les effets sur la santé des patients. Comprendre les pratiques dans l’activité hospitalière, c’est mettre en valeur la santé, définir les objectifs à atteindre, prévenir, faire un diagnostic, soigner le malade. La démarche projet dans ce cadre permet de situer la santé dans les actes quotidiens.

Le processus de valorisation des activités hospitalières suppose en préalable un effort de compréhension, de dialogue et de communication entre l’ensemble des acteurs hospitaliers soignants, administratifs et partenaires extérieurs. L’élaboration et le suivi d’un projet d’établissement à l’hôpital requiert une évolution culturelle des acteurs dans leur globalité.

Les rapports de travail de type tayloriens qui subsistent à l’hôpital sont un frein au changement. La gestion actuelle à l’hôpital public repose encore trop sur des caractéristiques bureaucratiques qui présentent certes certains avantages mais aussi des limites et des contraintes au changement.

Les principales caractéristiques de cette organisation sont la spécialisation des tâches et la pluralité des ordres et de l’autorité. A l’hôpital public, la responsabilité de direction est conjointement partagée par des directeurs à compétence spécifique et complémentaire (services économiques, finances et comptabilité, personnel...) et chaque filière d’exécution reçoit des directives pouvant provenir de plusieurs supérieurs hiérarchique différents.

Cette structure hiérarchique présente des avantages comme la stabilité de l’organisation et la difficulté de remettre en cause la hiérarchie. Mais, il y a aussi de nombreux inconvénients tels que le cloisonnement des différents services qui ne communiquent que verticalement ou la rigidité de la structure au niveau de l’encadrement. Les possibilités de promotion, comme par exemple le passage du grade d’adjoint des cadre à celui de chef de bureau, sont souvent dépendants autant de la compétence professionnelle que du dévouement et des relations personnelles avec le supérieur hiérarchique; cela peut devenir un facteur de démotivation important au sein d’une équipe.

Il existe des risques de saturation dans le fonctionnement de la direction générale et des difficultés à localiser les responsabilités de chacun. Quand toute décision remonte à la direction générale même s’il s’agit de problèmes mineurs, cela créé le risque que le directeur général devienne totalement inefficace. Dans ce contexte, la priorité va vers les décisions à court terme en l’absence d’organe de réflexion capable d’élaborer un projet à moyen terme.

D’une manière générale, le circuit de l’information est lent à l’hôpital. les décisions doivent suivre systématiquement les différents niveaux hiérarchiques avec peu de possibilités de communication directe entre les intéressés. Il n’est pas rare dans un hôpital public que deux services tels que le personnel et les services économiques par exemple soient administrativement complètement cloisonnés et sans aucun échange institutionnels entre eux autre que le circuit vertical.

Dans une structure classique organisée sur un organigramme bureaucratique de ce type:

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L’agent a qui va vouloir communiquer avec l’agent b’ devra utiliser la voie hiérarchique, c’est à dire son directeur A, le directeur général, puis le directeur B des finances. Ce processus institutionnel est très long et l’agent peut être tenté d’utiliser une communication informelle directe et horizontale avec son collègue b’(liaison 1). Des directeurs peuvent aussi contacter directement un agent d’encadrement d’une autre direction en « court-circuitant » le responsable (liaison 2).

Actuellement, l’hôpital public « vit » son organisation plus qu’il ne la maîtrise et la dirige. Cette situation entraîne à la fois de nombreux dysfonctionnements et des circuits parallèles et informels.

Le plus souvent les structures moyennes ne disposent pas d’organigrammes officiels et les gros hôpitaux, tels que les centres hospitaliers régionaux fonctionnent avec un organigramme vertical. Dans les petites et moyennes structures, le directeur retient mentalement les liaisons essentielles de son organisation et le rôle de ses adjoints, qu’il considère souvent plus comme des subordonnés que des collaborateurs. Ces derniers ont une connaissance très imprécise de leurs fonctions qui dépendent généralement de l’état de leur rapport personnel avec le directeur d’établissement.

Cette fluctuation dans les délégations de pouvoir et cette absence d’organisation précise peuvent s’avérer être un frein au bon fonctionnement de l’établissement. Cette situation facilite la création de structures informelles s’appuyant sur des réseaux de communication privilégiés qui se juxtaposent voire se substituent à la structure officielle. Cette coexistence de structures peut aboutir à des conséquences imprévues. Michel CROZIER51 s’est attaché à analyser, à travers de grandes organisations publiques ou privées, les dysfonctionnements qui pouvaient résulter de cette situation:

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Ce type de direction peut aboutir à des phénomènes atypiques qui risquent de scléroser l’organisation. Nous pouvons citer « le principe de Peter » et « la loi de Parkinson » qui s’appliquent opportunément aux directions administratives hospitalières.

Pour PARKINSON52, ‘« tout travail tend à se dilater pour remplir tout le temps disponible »’. La première conséquence est que tout directeur préfère multiplier le nombre de ses subordonnés plutôt que celui de ses adjoints ou « concurrents potentiels » et cela sans référence directe au volume d’activité.

Parkinson cite en exemple la marine britannique qui entre 1914 et 1918 connaît une diminution de 67 % du nombre de ses bateaux avec une augmentation simultanée du nombre des fonctionnaires de l’amirauté de 78 %.

Dans la fonction hospitalière, nous pouvons souvent relever que les directeurs d’établissement arrivés à l’ancienneté et dépourvus d’études initiales, ont tendance à privilégier le recrutement d’adjoints des cadres sans formation universitaire plutôt que de jeunes adjoints directeurs issus de l’université et de l’Ecole nationale de la santé publique.

Dans le même ordre d’idée, PETER53 a remarqué que les individus sont élevés par promotion hiérarchique jusqu’au poste où ils sont incompétents et cessent ensuite d’être promus. Le principe est formulé ainsi ‘« dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence. Avec le temps, chaque poste tend à être occupé par un incompétent »’.

Le processus d’avancement de carrière des directeurs d’hôpitaux qui repose essentiellement sur l’ancienneté peut aboutir à cette dynamique de l’incompétence.

Dans une entreprise privée classique, la direction est nommée par le Conseil d’administration. Chaque fonction principale (production, finance, commercial) est dirigée par un membre de l’équipe de direction. A l’hôpital public, la représentation est radicalement différente. Le corps médical, qui assure l’activité essentielle - l’équivalent de la fonction de production - n’est pas représenté dans l’équipe de direction. Cette organisation et représentation des organes dirigeants s’inscrit dans une logique bureaucratique et administrative. La mission principale de la “direction administrative” est de faire appliquer les règles et la législation qui ont été négociées et édictées au niveau central. En matière de gestion du personnel, la direction joue le rôle de relais entre le Ministère de la Santé, qui édicte et fixe les règlements, les statuts, les rémunérations, et les instances locales. La séparation entre médecins, représentants de la fonction de production et les administratifs, responsables du financier, ne facilite pas le contrôle et la maîtrise des masses budgétaires. Compte tenu des masses financières concernées et des difficultés croissantes pour juguler leur progression, les autorités centrales se sont rendues compte de la nécessité d’imposer une plus grande rigueur budgétaire et de plus responsabiliser les acteurs hospitaliers. Des moyens et des techniques de régulation se sont développés tels que le budget global et les taux directeurs. Mais les résultats sont insuffisants, et il apparaît maintenant nécessaire de compléter le système par la mise en place d’outils de gestion interne aux établissements, comme le contrôle de gestion s’appuyant sur des coûts de fonctionnement fiables et exigeant un suivi par les responsables des services.

L’approche traditionnelle, selon laquelle l’hôpital n’a pas de direction proprement dite mais une “administration” ou une direction “administrative” dont le rôle essentiel est d’administrer résiste mal aux nouvelles missions de l’hôpital et à l’évolution économique et financière de l’environnement. On ne peut plus soutenir, aujourd’hui, que le rôle des directeurs hospitaliers se résume à vérifier la conformité du fonctionnement de l’établissement avec les règles qui le régissent. Après la mise en place de l’instrument de régulation budgétaire imposé par le Ministère de la Santé, les responsables hospitaliers se trouvent de plus en plus soumis à une demande de savoir-faire gestionnaire pour laquelle dans l’ensemble ils sont mal préparés.

Notes
49.

Simone TIMAR, « Imbroglio dans les équipes soignantes hospitalières », TSA éditions - octobre 1993.

50.

circulaire DGS/VS No 95688 du 23 octobre 1995 relative au cadre de référence des missions des DDASS et DDRASS dans le domaine de la santé et de l’environnement.

51.

Michel CROZIER, « L’entreprise à l’écoute », Inter-Editions, 1989..

52.

C.H. PARKINSON, « 1=2 ou les règles d’or de Parkinson », Robert Laffont, 1983.

53.

L.J. PETER et R. HULL, « Le principe de Peter », Editions Stocks, 1970.