C - Les gains de productivité sur le facteur travail à l’hôpital public sont dégressifs.

Si l’on admet que tout ce qui est productif de biens ou de services peut avoir une productivité, l’hôpital rentre dans le champ d’application possible de ce concept. Le terme de productivité est très peu employé au sein de l’hôpital public. Il faut souligner le rejet que manifeste le corps médical, le personnel infirmier et les syndicats, envers lui.

Au niveau des textes, ce terme a été employé une première fois en 196756 dans des textes relatifs à l’attribution d’une prime de service au personnel. Nous retrouvons ponctuellement ce concept, mais toujours de manière implicite ou indirecte au niveau des conséquences d’une décision sur les gains de productivité qu’elle engendre.

Il faut tenir compte du particularisme des acteurs, des médecins notamment et de l’originalité de la prestation, le soin. A l’hôpital, la recherche de gains de productivité ne peut se réduire à une équation tendant à maximiser le nombre de malades traités avec des moyens minimum et en particulier avec un personnel minimum. Il s’agit plutôt de concilier plusieurs facteurs tels que, l’intérêt du malade qui repose sur la qualité des soins et l’intérêt de l’organisme payeur qui demande à l’hôpital d’assurer la qualité maximale de soins aux moindres coûts.

Après les évolutions spectaculaires des technologies médicales et biomédicales de ces dernières décennies qui ont entraîné simultanément des gains de productivité et une nette amélioration de la qualité du soin, la croissance de la productivité à l’hôpital s’est infléchie.

La substitution du capital au travail dans le domaine du soin trouve rapidement ses limites. La présence du temps médical ou soignant passé auprès du malade connaît un seuil que l’on ne peut franchir. Il en va différemment, dans les services administratifs ou médico-techniques hospitaliers, où l’introduction du facteur capital continue sa progression sous la forme de processus d’informatisation et de généralisation de la bureautique. Cependant, cette évolution informatique n’est pas nécessairement source d’économie en personnel. Parallèlement, à l’informatisation des services administratifs et soignants, la production de données statistiques s’est considérablement développée. Les rapports d’activité, les rapports sociaux annuels ont vu leur volume s’accroître. De même, la mise en place à l’hôpital de systèmes d’information tel que le projet médical de système d’information (PMSI) démultiplie les exigences en moyens informatiques mais aussi en temps agent.

Si l’installation d’une télésurveillance de chaufferie ou la mise en place d’un processus d’automation et d’informatisation dans le domaine technique ou industriel entraîne des économies nettes de personnel, une informatisation n’a pas les mêmes conséquences dans le domaine administratif et médical.

Les services techniques et logistiques hospitaliers comme les unités de chaufferie ou de blanchisserie de gros hôpitaux qui ont un fonctionnement comparable à celui d’unités de production industrielles peuvent escompter que le processus d’automation s’accompagne d’élévation de la productivité du travail par substitution du capital au travail. Cette même substitution est très difficile dans le domaine médical. Une nouvelle technologie, une nouvelle thérapeutique n’est pas forcément synonyme de diminution de personnel. Souvent le temps passé auprès du patient par l’infirmière pour l’essentiel de ses actes ou par le médecin pour son protocole a atteint un niveau incompressible.

La réduction du coût du facteur travail à l’hôpital est difficile.

Des économies ont été faîtes dans certaines spécialités par la baisse de la qualification du facteur travail. Nous pouvons citer l’exemple en géronto-psychiatrie du remplacement des infirmiers psychiatriques par des aides-soignants de qualification inférieure. Mais cet exemple infirme l’évolution de ces vingt dernières années. Nous pouvons observer, depuis l’après-guerre, la médicalisation et la qualification croissante des hôpitaux publics. Les médecins avec les infirmiers, sont parmi le personnel hospitalier, les catégories de personnel qui ont le plus augmenté.

Sur les dix dernières années, le facteur travail a cru quantitativement et qualitativement par élévation de la qualification.

En décembre 1993 l’hôpital public et privé emploient 906 620 personnes en équivalent temps plein. 51 380 sont des médecins en activité et 855 240 sont des non médicaux parmi lesquels plus d’un quart sont des infirmiers ( 245 540).

Cette évolution entre 1983 et 1993 peut être représentée par trois tableaux57:

Tableau : Nombre de médecins (1) pour 100 lits occupés (2).
1983 1993
Public 10,1 19,9
Privé lucratif 19,3 * 28,4
Privé lucratif PSPH 9,6 * 14,5
Privé non lucratif non PSPH 12,0 * 13,6
(1) non compris les internes : les praticiens hospitalo-universitaires sont comptés pour 1/2 (fonction enseignement non prise en compte ici ).
(2) en soins aigus, lutte contre les maladies mentales et soins de suite et de réadaptation.
* en 1985, chiffres redressés.
Tableau : Nombre de personnels soignants (1) pour 100 lits occupés (2).
1983 1993
Public 66,5 89,8
Privé lucratif 48,6 * 64,3
Privé lucratif PSPH 54,7 * 75,2
Privé non lucratif non PSPH 47,0 * 48,1
(1) infirmiers spécialisés ou non, encadrement des services médicaux, sages femmes, aides-soignants.
(2) ensemble des lits d'hospitalisation complète ou d'hébergement.
* en 1985, chiffres redressés.
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Dans tous les secteurs, la croissance des personnels médicaux est plus rapide que celle des entrées. La médicalisation des soins s’est renforcée: de 1983 à 1993, la croissance des effectifs médecins, en équivalent temps plein, a atteint 50 % dans le public et dépassé 36 % dans le privé conventionné. Nous pouvons constater le même phénomène plus atténué pour le personnel soignant non médecin qui progresse dans la même période de 9,6 % à l’hôpital public. Le poids des médecins s’est fortement accru dans le public entre 1983 et 1993, tout en restant inférieur au ratio observé dans le secteur privé lucratif qui dispose d’un médecin pour quatre lits occupés. Cependant en valeur absolue, l’hôpital public rassemble près de 60 % (non compris les internes) de l’ensemble des médecins exerçant en milieu hospitalier.

En 1993, l’hôpital public représente, en équivalent temps plein, 74,7 % des personnels employés en milieu hospitalier, dont près de 76 % pour les infirmiers et 82 % pour les personnels médicotechniques.

Le secteur public se différencie du secteur privé par son pourcentage relativement plus élevé de personnel soignant non médecin. On ne compte que 1,2 infirmier par médecin dans le secteur privé lucratif pour 4,1 infirmiers par médecin dans le public.

En dix ans, la part du personnel infirmier a augmenté dans les deux secteurs, public et privé, et parmi le personnel soignant les catégories les plus qualifiées sont en augmentation relative.

Des gains en productivité sur le facteur travail peuvent être entraînés par des modification de procédures et de pratiques en terme d’organisation et de gestion.

Des économies de personnel peuvent être réalisées en modifiant les horaires et les roulements des équipes à partir d’études de postes. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine, les études de métiers, de profils de postes, de tâches, sont très peu développées à l’hôpital public.

Le Ministère du travail et des affaires sociales 58 constate à travers tous les diagnostics posés aujourd’hui sur le fonctionnement de l’hôpital, l’absence d’une réelle discussion interne sur la répartition des ressources humaines comme sur l’organisation du travail. Le Ministère constate aussi que sur les contrats signés ces deux dernières années entre l’état et les établissements pour le développement d’une politique d’amélioration de l’organisation et des conditions de travail, peu d’établissement ont ambitionné d’aménager le temps de travail, les relations de travail ou la répartition des moyens au regard des besoins. L’ensemble des acteurs de cette politique pointent cette difficulté et soulignent qu’elle est liée principalement à la faible implication du corps médical sur ces sujets.

Dans les services soignants, il y a peu d’évaluation critique de protocoles de diagnostics et de thérapeutiques. Par exemple, un audit59 réalisé dans un service de gastro-entérologie conclut, à partir de l’examen de 200 dossiers, à l’inutilité de 42 % des hospitalisations, de 97 % des examens biologiques complémentaires, 87 % des examens radiologiques et 74 % des examens isotopiques.

Notes
56.

Arrêté du 24 mars 1967, 242, J. O. 5 - 4 - 67, Ministère de la Santé publique

57.

Daniel FOULON, SESI, Bureau des statistiques des établissements d’hospitalisation, Numéro ISSN d’informations, No68, décembre 1995.

58.

cf circulaire du 27 décembre 1995,Ministère du Travail et des Affaires sociales, DH/AF No 95-51.

59.

Professeur BERAUD, communication, deuxième journée de l’AFMHA, LYON décembre 1981.