CONCLUSION GENERALE

Nous avons été amené à formuler plusieurs hypothèses sur la crise de l’hôpital:

En premier lieu, que la crise financière de l’hôpital n’est qu’une des formes apparentes d’une crise profonde du modèle hospitalier au niveau structurel: dans ses missions et au niveau de son personnel..

En second lieu que la crise du personnel hospitalier dynamisait la crise de l’hôpital et que le point de fuite de la crise ne pouvait pas être trouvé uniquement dans la modification de la gestion financière, mais aussi dans la modification du système de gestion des ressources humaines.

Ces hypothèses se sont naturellement articulées les unes aux autres pour s’intégrer logiquement à une problématique générale s’appuyant sur la démonstration que la gestion des ressources humaines est au coeur du processus de changement et de modernisation de l’hôpital. Le lien entre la recherche théorique et les étude ponctuelles sur la question nous a permis d’élaborer une problématique apte à améliorer la compréhension du modèle hospitalier et de son modèle de régulation.

Jusqu’à la fin des années 80, les modifications techniques et financières ont été dominantes dans la gestion de l’hôpital encore profondément marquée par la bureaucratie et le taylorisme. Pour répondre efficacement à la crise de l’hôpital, les directions des ressources humaines doivent remplir des fonctions techniques mais aussi et de plus en plus des fonctions sociales et utiliser de nouveaux outils de GRH qui ne se présentent pas seulement sur le seul aspect quantitatif mais aussi sur le plan qualitatif. Nous avons relevé le défi d’analyser les rapports logiques qui s’établissent entre les nouveaux outils stratégiques et participatifs de GRH et les modifications culturelles et identitaires dans le comportement des acteurs. Une approche réellement disciplinaire en terme d’outils et de modèles de gestion mais aussi ceux de l’analyse sociologique, juridique et de politiques publiques, nous a permis d’appréhender les facteurs d’inertie et montré que ceux-ci étaient d’ordre technique mais aussi culturel.

Les outils de GRH sont souvent complexes et difficiles à élaborer et à mettre en place. Les acteurs freinant le changement, n’étant pas forcément ceux à qui l’on serait tenté de penser en premier lieu: les organisations syndicales, mais avant tout les dépositaires de la gestion traditionnelle tels que la tutelle hospitalière et une partie importante du corps des cadres de directions hospitaliers. Ceux-ci s’inscrivent avant tout dans une logique d’avance de carrière qui privilégie les positions carriéristes et la recherche d’avantages corporatistes aux dépens de l’innovation managériale et des objectifs sociaux pour tous les acteurs de l’organisation.

L’état doit encore modifier sa politique publique en matière de santé pour se montrer plus stratégique et participatif. L’enjeu est de mettre en place des schémas et des procédures pour réduire les dysfonctionnements et les blocages entre la tutelle hospitalière et les administrés: les hôpitaux. Le scénario optimum serait d’aboutir à la création d’un nouveau système de régulation de l’hôpital par les pouvoirs publics et la tutelle hospitalière. Nous avons démontré que ce système de régulation ne sera efficace que s’il existe à l’hôpital des capacités techniques et culturelles suffisantes pour permettre aux acteurs de jouer les rôles qui leur sont proposés.

Ce nouveau système de régulation des relations tutelle-hôpitaux ne sera efficient que s’il accompagne le changement du mode de gestion de l’hôpital. Le développement d’une activité administrative n’est pas seulement une réponse à une demande sociale, mais correspond aussi à l’acquisition d’une capacité collective se matérialisant concrètement par un construit culturel et un certain niveau d’organisation et de gestion.

Les politiques publiques doivent contribuer à construire un tissu collectif porteur, en donnant confiance aux acteurs et en les orientant vers des comportements plus ouverts et plus innovants qui leurs permettent de surmonter, dans leurs rapports de travail, les réflexes naturels de défense et d’inertie. Il existe à l’hôpital des processus complexes de blocage et de subordination. Les acteurs hospitaliers en même temps qu’ils s’insurgent contre les défauts et les conséquences du système existant, sont attachés de manière passionnelle aux défauts du système qu’ils fustigent et dont ils souffrent.

L’Etat pourrait tenter de redonner confiance aux intéressés en réanimant les mécanismes de la concertation et de la motivation. La réforme hospitalière de 1991 a commencé par l’étape adéquate en réformant d’abord la planification sanitaire.

La première contradiction relationnelle entre la tutelle et les hôpitaux reposait sur l’opposition séculaire entre le besoin d’intégration et de planification de l’Etat et les velléités d’autonomie et d’initiatives des établissements. La demande de fonctionnement des hôpitaux en complémentarité, de la part de la tutelle continue à s’accroître alors que les revendications d’autonomie des acteurs et groupes hospitaliers se développent. A l’évidence, le point d’efficience se situe vers une complémentarité renforcée avec plus d’autonomie dans la gestion quotidienne des établissements hospitaliers. La nouvelle planification hospitalière de 1991 avec le SROSS (schéma régional d’organisation sanitaire et sociale) et les projets d’établissements, complétés par les ordonnances de 1996 qui créent les agences régionales de l’hospitalisation, peuvent potentiellement permettre ces deux développements en harmonie.

Cependant les obstacles au changement sont encore nombreux et les contradictions s’accentuent à l’hôpital, entre les exigences des acteurs hospitaliers dans leurs conditions de vie et de travail, la qualité des soins des patients, et la nécessité pour satisfaire ces demandes de rationaliser les comportements. Les contrats d’objectifs associés aux projets d’établissements, doivent permettre de dépasser une partie de ces contradictions.

Les contrats d’objectifs peuvent apparaître comme les cadres juridiques et techniques, permettant de mettre en place une démarche stratégique et participative qui doit aider à instaurer une gestion managériale concertée. Avec les deux concepts, contrats d’objectifs et projets d’établissements, les étapes successives passent par une définition des objectifs, une responsabilisation des acteurs, une définition claire des rôles de ceux-ci et la mise en place d’outils de pilotage et d’évaluation.

Ainsi, un contrat d’objectifs entre un service soignant et l’agence nationale d’hospitalisation passe tout d’abord par la mise en place d’un comité de pilotage spécifique à ce contrat, qui conduira les négociations entre le médecin conseil régional et l’équipe médicale du service sur la base de critères médicaux et en s’appuyant sur des indicateurs quantitatifs et qualitatifs. Les objectifs du service doivent s’intégrer au sein du tissu médical environnant tant public que privé et fonctionner en terme de réseau de soins. C’est à dire en s’appuyant sur un partenariat étroit ville-hôpital, avec une coordination entre les médecins de ville et les médecins hospitaliers. Une meilleure utilisation des indications médicales des patients doit éviter les hospitalisations inutiles. La coordination et la coopération doit aussi s’étendre entre l’hôpital et les organismes de contrôle et de financement. Cela suppose une approche médico-administrative globale et des règles du jeu communes entre les partenaires: l’Etat, l’Assurance maladie, le secteur libéral et les établissements ou fédérations d’établissements hospitaliers publics et privés.

Ce processus exige la mise en place de procédures de gestion de projets et d’évaluation, telles que:

Cette démarche doit être accompagnée par une démarche de qualité globale au sein du service.

Parallèlement, les DRH hospitalières doivent intégrer dans leur fonctionnement quotidien ces outils de gestion par projets avec de nouveaux outils tels que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. La formation continue doit apparaître comme un véritable investissement et être intégrée pleinement à une politique de gestion des ressources humaines, managériale et anticipative.

Pendant ces vingt dernières années, les formes de regroupements hospitaliers n’ont pas connu de développements sensibles. Les structures hospitalières actuelles comportent de nombreux facteurs s’opposant à une dynamique de complémentarité: fort cloisonnement interne entre les unités, conception « indépendantiste » de nombreuses directions considérant leur hôpital comme « une citadelle assiégée ». Plusieurs médecins privilégient encore une pratique médicale individuelle en s’appuyant sur l’indépendance que leur procure leur statut professionnel. Parallèlement, les systèmes d’information et de communication à l’hôpital n’arrivent pas à trouver un niveau opérationnel satisfaisant.

Il serait souhaitable de revenir à plus de simplicité et de pragmatisme pour mobiliser les énergies du personnel, simplifier les procédures et donner la priorité aux malades et à la qualité des soins. L’organisation en réseau, qui tient plus du marché que de la hiérarchie, répond à une partie de ces exigences en préservant la capacité d’initiative des acteurs. Ce type d’organisation donne la priorité à la dynamique organisationnelle sur la forme structurelle. Le concept de solidarité et de performance commune l’emporte sur la performance individuelle.

Pour qu’une organisation de mise en réseau des hôpitaux et des cliniques soit opérationnelle, cela suppose que la logique de subordination des groupes les uns par rapport aux autres disparaissent. La mise en réseau des hôpitaux publics et la restructuration du secteur privé et public en groupements de coopération sanitaire (GCS), privilégie une conception du soin tournée vers l’environnement et non pas centrée sur les jeux de relation de pouvoir au sein de l’hôpital. ou entre les hôpitaux entre-eux.

Cette évolution culturelle doit aller de pair avec une mutation de la gestion et des structures de l’hôpital. Cela suppose une modification des organigrammes des équipes de direction et de l’encadrement, qui ne doivent plus fonctionner hiérarchiquement mais par rapport à la contribution de ses membres à des missions bien définies dans le cadre de la stratégie de l’établissement. Ce management horizontal fait émerger de nouveaux comportements, de nouveaux concepts et outils de gestion.

L’objectif principal du directeur d’hôpital doit être de mobiliser stratégiquement l’équipe de cadres qui l’entoure et les unités de base de l’établissement. Diriger c’est d’abord formuler des orientations compréhensibles par tous. Cette conception conduit à revoir l’organisation interne, les organigrammes et la répartition des fonctions. Dans ce contexte, les objectifs et les responsabilités de gestion sont diffusés à un grand nombre d’acteurs: aux gestionnaires, et à l’encadrement, aux médecins chefs de service, aux cadres infirmiers, qui sont appelés à agir conjointement.

M. CREMADEZ et F. GRATEAU146, à partir d’une synthèse des tendances du management, retiennent l’hypothèse selon laquelle le secteur des organisations prestataires de services de santé sont un terrain favorable au développement des structures de réseau.

Le rapport offre - demande dans le domaine de la santé est marqué par la caractéristique selon laquelle la demande de soins est fortement dépendante de l’offre des structures hospitalières et des innovations médicales. L’hôpital se situe au coeur des filières de soins mettant en jeu pour la prise en charge d’un patient, de multiples intervenants internes et plusieurs acteurs externes à l’hôpital. Alors que l’hôpital public subit de fortes pressions de limitations budgétaires de ses dépenses et que les cliniques du secteur privé doivent faire face à une concurrence croissante, la nécessité d’une restructuration de l’offre de soins dans la complémentarité, public-privé, menée conjointement à une évolution du mode de gestion des ressources humaines, apparaît inéluctable. L’animation des politiques sociales au sein des établissements hospitaliers est un enjeu, pas seulement de paix sociale, mais aussi et surtout d’efficience dans la gestion.

La période dans laquelle nous sommes rentrée depuis les années 90, semble présenter des éléments favorables à l’application de ce schéma. Au terme de cette recherche, nous souhaiterions être parvenus à faire partager notre conviction que la résorption de la crise hospitalière et de son personnel passe par un nouveau modèle de l’hôpital et un nouveau modèle social de son environnement administratif dont la gestion des ressources humaines est le principal vecteur.

Notes
146.

Michel CREMANDEZ, F. GRATEAU, « Le management stratégique hospitalier », Interéditions, 1992.

Michel CREMANDEZ, « Les clés de l’évolution du monde hospitalier »,Gestions hospitalières, No 266,mai 1987.