1 - D'abord aux États-Unis...

C'est principalement aux États-Unis, à la fin du 19ème siècle, que l'activité de conseil en management (pour la dénomination actuelle) ou d'ingénieur-conseil13 (pour la dénomination de l'époque) se développe, notamment sous l'influence du taylorisme.

Dans ce modèle-là, il s'agit d'assurer une production de masse à moindre coût. Pour ce faire, chaque élément constituant de l'entreprise (matières premières, main d'oeuvre, produits en cours de fabrication...) doit être transformé en un système rigoureux, établi sur des bases "scientifiques" et orienté vers l'efficacité maximum14. On parle alors de rationalisation du travail15. Chaque constituant est donc articulé aux autres à l'aide d'outils de gestion : instruments de mesure (règles à calcul ou chronomètres), instructions écrites (définitions de tâche), dispositions financières (tarifs, primes) et diverses autres procédures (sélection des nouveaux embauchés, éducation ouvrière, réunions de service...). Il s'agit donc d'agencer l'organisation de telle façon qu'elle atteigne une efficacité maximale16 : ce sera le rôle de l'ingénieur qui, selon F. W. TAYLOR, doit avoir une position centrale et dominante par rapport à l'ensemble de l'usine, ce qui ne va pas sans poser de multiples problèmes17 18. L'ingénieur va donc veiller à réaliser une ‘"adaptation consciente, réfléchie, exacte et efficace des moyens aux fins poursuivies"’ (A. SILEM et J.-M. ALBERTINI 1995, p. 477)19.

Les idées de F. W. TAYLOR vont se diffuser par la publicité faite à son travail (ouvrages) et par la publicité effectuée par les entreprises appliquant ses principes. Dès lors, la création d'entreprises de conseil va être stimulée et sera vecteur de diffusion des principes tayloriens. L'apparition des premières entreprises de conseil, de même que les premières associations professionnelles vont alors marquer le début de la professionnalisation de la gestion (C. SAUVIAT 1991). En 1881, Arthur D. LITTLE crée sa société, en 1899 l'American Association of Industrial Management émerge, puis en 1911 va apparaître la Society for the Promotion of the Science of Management à l'initiative de F. GILBRETH qui deviendra la Taylor Society puis la Society for the Advancement of Management. En 1914, Edwin BOOZ va offrir à Chicago des "business research services". De même, James O. McKINSEY va fonder son entreprise en 192620.

Dans le début de l'histoire du conseil en management, la plus grande partie des prestations se concentraient sur des méthodes d'amélioration du travail dans les usines. Mais cette activité ne va pas connaître un grand succès jusqu'à la seconde guerre mondiale. C'est la guerre qui va donner un nouvel élan à la profession : le contexte impliquait le recours à de nombreux travailleurs dans les usines, qui pour la plupart étaient non formés... ; on a alors fait appel aux consultants pour résoudre les goulots d'étranglement et pour former les travailleurs. Après la guerre, les demandes pour le conseil en management se multiplient, conséquence de l'accélération du changement technique, de l'internationalisation de l'économie, de l'augmentation de la complexité (dans les firmes et dans leur environnement)... Les "vieilles" entreprises de conseil ont eu à cette époque une croissance phénoménale et de nouvelles firmes pénètrent sur le marché.

Finalement, ce n'est que lentement que les points de vue vont converger sur le thème de l'intérêt commun des patrons et des ouvriers à faire croître la productivité. Aux États-Unis, il aura fallu attendre plus de cinquante ans (c'est-à-dire de la fin du 19ème jusqu'à la seconde guerre mondiale), pour que l'activité de management soit reconnue.

Notes
13.

M. VILLETTE (1988) considère F. W. TAYLOR comme l'inventeur de cette profession.

14.

Voir F. W. TAYLOR (1911). The Principles of Scientific Management. New York : Harper & Brother.

15.

Voir notamment P. LORINO (1989), chapitre 2 intitulé "L'entreprise-machine".

16.

Il s'agit donc d'un modèle d'allocation qui a une mission "métrologique" (P. LORINO 1995) : mesurer intrants et extrants, fournir une image fidèle du rendement de la machine.

17.

Les parties prenantes s'affrontent : d'un côté les ingénieurs tayloriens et de l'autre les patrons traditionnels, contremaîtres et ouvriers professionnels, qui perdent de leur autorité, de leur faculté d'organiser l'atelier à leur façon, de répartir le travail, de régler son rythme.

18.

De 1880 à 1920, la profession d'ingénieur passe aux États-Unis, de 7 000 à 136 000 membres.

19.

Travail standardisé et autorité hiérarchique affirmée étaient les caractéristiques de l'entreprise industrielle à la fin du 19ème siècle. Le comportement des entreprises n'était alors pensé qu'à l'aide du modèle néoclassique et l'entreprise était comparée à un "(...) automate uniforme mû par une seule logique : la maximisation des profits, c'est-à-dire l'utilisation optimale des machines et des hommes pour en tirer le meilleur bénéfice" (P. CABIN 1996, p. 34). L'ingénieur pouvait repérer les conditions de la maximisation du profit à l'aide de nombreux outils de gestion.

20.

Le conseil en management se développe également en Europe : Bluck Consultants est fondée en Belgique en 1917, Lyndall Urwick en Angleterre en 1920, Orga SRL en Italie en 1925, Gherzi Management Consultants en Suisse en 1929...