2 - L'offre de conseils

Les modèles de production présentés sont le reflet de l'évolution de l'environnement. Dès lors, suivant les caractéristiques de ce dernier, la demande des entreprises va fluctuer. Actuellement, les entreprises recherchent des techniques, des outils, des méthodes de travail... qui leur permettent de s'adapter rapidement aux changements. De leur côté, les offreurs (les prestataires) vont chercher à s'ajuster à la demande, voire même susciter la demande ; l'offre se déclinera alors de différentes façons selon les besoins des entreprises.

Plus précisément, l'offre peut être globale, c'est-à-dire adressée à l'ensemble du système productif, ou "locale", c'est-à-dire qu'elle n'intervient que sur un processus spécifique de la "chaîne économique" (cf. le schéma d'A. BARCET (1998) ci-dessous) ; elle peut avoir simplement un rôle de régulation dans l'entreprise ou être plus complexe et initier le changement.

C'est de toutes ces facettes de l'offre que nous allons discuter à présent.

Si on s'intéresse à la chaîne économique globale avec tous ses processus (de conception, de production, de vente et d'utilisation), on remarque que pendant longtemps les services aux entreprises se sont développés autour de la séquence "production-vente". Pendant toute la période du fordisme, les services étaient nécessaires à l'accompagnement de la production, et notamment à la commercialisation, à l'exportation du fait du développement de la concurrence et de l'internationalisation.

Actuellement les services ne se développent pas seulement dans le processus de production et dans le processus de vente, mais également en amont pour favoriser les activités autour de la conception et de la mise au point de nouveaux biens et services, et en aval dans le processus d'utilisation.

Par rapport à ce dernier processus, il semblerait qu'il devienne un champ possible de rentabilisation du système65 : la valeur n'est plus simplement contenue dans le produit matériel, elle se réalise aussi lors de l'utilisation. En effet, quand les coûts engendrés par l'apprentissage nécessaire de produits complexes se révèlent supérieurs au prix d'achat lui-même, on est conduit à considérer l'ensemble des ‘"coûts liés au bon fonctionnement des produits pendant leur période d'utilisation"’ (O. GIARINI, W. R. STAHEL 1990, p. 47). En ce sens, la rentabilité peut provenir de la vente d'un objet, mais également de son utilisation (par exemple le Minitel et des services auxquels il permet d'accéder). Des services se développent donc autour d'innovations de procédés66.

N'oublions pas tous les services communs (services de réseaux, de financement, d'assurance...) qui permettent à l'ensemble des processus d'évoluer dans de bonnes conditions et évitent les ruptures dans la "chaîne économique globale".

Le schéma ci-après représente la "chaîne économique globale" et les différents services qui y sont rattachés, certains sont spécifiques à une étape de la "chaîne économique", d'autres sont communs à toutes les étapes.

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Schéma : Les services dans la chaîne économique globale
[Note: Source : A. BARCET 1998, p. 43.]

Chacun de ces services aux entreprises a une fonction bien déterminée ; dans une vision systématique, on peut schématiser ces fonctions à partir de trois rôles (A. BARCET, J. BONAMY 1997).

D'abord les services aux entreprises peuvent avoir un rôle régulateur à l'intérieur du système (qui est donc l'organisation ou l'entreprise). Ils vont donc chercher à maintenir le système dans une situation donnée. En fait, c'est la complexité et l'incertitude de l'environnement, associées à la vulnérabilité des entreprises qui vont contribuer au développement de tous ces services "régulateurs"67. Le service va alors permettre de corriger le fonctionnement du système et d'anticiper ou de limiter ses coûts de fonctionnement (par exemple : les services d'entretien, de maintenance, de nettoyage, de sécurité, de prévention, etc.). Cette fonction peut être réalisée en interne ou être attribuée à des prestataires autonomes qui vont pallier le manque de compétences nécessaires à la bonne marche de l'entreprise ; il peut s'agir également d'une logique d'économies de coûts d'où des vagues d'externalisation.

Ensuite, le second rôle des services aux entreprises est celui d'intermédiation. Il s'agit de mettre en relation au moins deux systèmes68 (par exemple, il s'agit de relier sphère de production et sphère de consommation). Celui qui va accomplir la fonction va créer une valeur ajoutée en permettant de rendre compatible des intérêts, des positions, des attentes sensiblement différentes. En fait, c'est la complexité de l'environnement qui va amener les organisations à s'entourer de services d'intermédiation afin de rendre cet environnement plus intelligible et donc de faire des choix stratégiques. Ainsi, par cette fonction, le service offre une grille de lecture simplifiée du réel. Ces services d'intermédiation sont alors vecteur d'information et de contact privilégiés entre la firme et son environnement. On peut supposer que cette fonction-là va se développer de manière soutenue étant donné l'ouverture relative de tous les systèmes aujourd'hui, notamment en termes informationnels. Le concept de réseau apparaît dans ce cas comme une des formes particulières de développement de ce type de fonction.

Enfin, le troisième rôle est qualifié de fonction d'intellection dans le sens d'un apport d'intelligence à un ou des systèmes donnés. Plus précisément cette fonction ‘"(...) correspond à la nécessité permanente de modifier la dynamique même du système à la fois pour lui permettre de s'adapter en permanence aux transformations de son environnement, à la nécessité d'influer sur cet environnement en apportant une nouveauté"’ (A. BARCET et J. BONAMY 1997, p. 9). Cette fonction permet donc la dynamique de l'innovation, ce qui se traduit par une croissance importante de cette fonction dans la période actuelle du fait du rôle majeur de l'innovation dans le jeu de la concurrence et dans la pérennité de l'entreprise. Cette fonction est indispensable pour lutter contre la loi d'entropie (c'est-à-dire pour lutter contre la dégradation du système). Elle n'implique pas nécessairement des flux permanents de service, mais les services vont intervenir à des moments forts de la vie du système : conception, crises, mutation. C'est au travers de cette fonction que les services interviennent dans le processus de transformation et de modernisation du système productif (A. BARCET, J. BONAMY 1991 b)69.

Il est possible de relier les diverses vagues de développement des services à ces différentes fonctions :

Pour terminer, nous rejoignons A. BARCET, J. BONAMY (1997, p. 10) lorsqu'ils disent ‘"(...) les fonctions des services aux entreprises sont diverses, l'enjeu actuel est bien à la fois d'articuler différents systèmes entre eux, de créer de nouvelles synergies entre ces systèmes et de maîtriser et s'approprier de nouvelles connaissances"’.

Notes
65.

Le processus d'utilisation n'occupe traditionnellement qu'une place mineure dans la pensée économique (A. LAURENT 1997) : "il est conçu comme étant instantané, privé, individuel, hors du champ de la rentabilisation -les préférences sont données-. La raison essentielle de cette exclusion (...) semble tenir au caractère non monétaire du processus d'utilisation" (J. BONAMY, A. VALEYRE 1994, p. 22).

66.

Pour illustrer on peut parler des autoroutes de l'information (innovations de procédés) : l'émergence et la monétarisation du processus d'utilisation dépendront de la nature et de la qualité des services auxquels ces autoroutes donneront lieu.

67.

Ces services "régulateurs" cherchent à maintenir l'entreprise ou l'organisation dans une situation donnée, ce qui peut apparaître plutôt simples dans un environnement peu perturbé. Cela dit, la dimension prévention devient cruciale (A. BARCET et J. BONAMY 1997) quand l'environnement devient instable et complexe. A. BARCET et J. BONAMY (1998) parlent d'"économie de la panne" pour souligner le fait que la dépense de service ne rapporte pas immédiatement un plus, mais elle empêche l'apparition de coûts dans le futur.

68.

Cette fonction d'intermédiation a sans doute historiquement été développée en premier par la fonction de commerce, qui, non seulement met à la disposition d'un client un objet, mais qui a aussi un rôle de sélection de ces objets et par là d'anticipation des désirs et des besoins d'un client et de les faire connaître aux producteurs. C'est sans doute ensuite dans le domaine financier que cette fonction d'intermédiation s'est développée et ceci sous des formes multiples. Cette fonction connaît aujourd'hui un développement considérable, particulièrement dans le domaine de l'information et des connaissances. Le développement des nouvelles technologies de l'information renforce évidemment la nécessité et l'efficacité de cette fonction.

69.

La problématique de la minimisation des coûts de la réalisation de cette fonction est sans doute présente, néanmoins le coût de la fonction est souvent sans commune mesure avec les résultats que l'on peut espérer. La question centrale n'est pas tant celle du coût, que de la difficulté plus générale de l'acte véritablement créateur qui apporte de nouvelles connaissances utiles et de la difficulté de s'approprier ces nouvelles connaissances de manière à réaliser une véritable dynamique du système.

70.

Pour bien distinguer services d'intermédiation et services d'intellection, voici des exemples : les études et le transport sont des services d'intermédiation, le conseil en management et la logistique sont des services d'intellection.