a - Des formes de concentration spécifiques82 : internationalisation et diversification des activités

L'internationalisation83 du conseil est à rapprocher du comportement des clients. Les grandes firmes industrielles ou financières qui ont développé leurs activités dans un cadre international (cela étant facilité par l'ouverture des frontières) attendent du conseil une assistance sur ces nouveaux marchés. Autrement dit, les cabinets de conseil doivent être capables de prendre en charge les nouvelles problématiques telles que l'internationalisation de leur client (J.-P. DETRIE 1989). Par conséquent, ils n'ont pas d'autres choix que d'internationaliser également leurs activités84.

Mais le conseil en management n'est pas un "produit" qui s'exporte. A la différence d'autres services comme l'informatique, qui s'appuient sur des produits finis matérialisables qui, après traduction éventuelle, sont utilisables dans n'importe quel pays, les prestations de conseil en management dépendent beaucoup de la culture du monde des affaires d'un pays. Au-delà de quelques techniques d'application générale, une étude d'organisation, de stratégie ou d'amélioration de la qualité ne peut pas être effectuée de la même façon en France, aux États-Unis ou au Japon. Dans ces différents pays, l'approche des problèmes de gestion présente en effet des différences sensibles. C'est pourquoi seuls des consultants "du pays", baignant dans les affaires de leur propre pays, sont en général efficaces (A. LEGENDRE 1987).

L'internationalisation peut se faire de différentes façons : création d'une antenne (filiale ou simple correspondant), association plus ou moins informelle avec un cabinet local d'organisation85, acquisition d'une entreprise locale86 (assez rarement pour les cabinets français), développement d'un réseau international87 88 (notamment pour les cabinets anglo-saxons qui dès les années 60 ont développé un tel réseau en Europe et en Asie)89.

La diversification des activités des cabinets est la conséquence de la concurrence. En effet, parce qu'une concurrence forte règne sur le marché du conseil (n'importe qui peut entrer, l'exercice de cette profession n'est pas soumis à l'obtention d'un diplôme, ni à l'autorité d'un ordre)90, parce qu'il est difficile d'obtenir des économies d'échelle et plus facile d'accroître les économies de gamme91, les entreprises de services vont chercher à diversifier leurs activités dans des domaines variés tels que l'informatique, la stratégie, l'audit, la communication... Il y a en permanence remodelage des frontières de l'entreprise (A. BARCET, J. BONAMY 1985)92. Cependant, il ne faut pas négliger le rôle de l'informatique dans ce mouvement de diversification par les possibilités d'accumulation et de traitement de l'information qu'il autorise.

Dans le cadre du conseil en management en France, la diversification passe davantage par des alliances avec d'autres entreprises de conseil spécialisées dans un domaine différent, que par des fusions ; en effet, les alliances permettent d'atténuer les contraintes de la fusion (problèmes de cultures et de métiers différents), tout en assurant la diversification.

D'une manière générale, il s'agit de créer des "complexes de services"93 94 pour assurer à terme la gestion du système productif (A. BARCET et J. BONAMY 1985, J. GADREY 1989). En effet, en intervenant en équipes multidisciplinaires, les cabinets ont permis de dépasser les cloisonnements traditionnels entre fonctions et services des grandes entreprises, qui sont souvent le frein principal aux changements.

Finalement les stratégies d'internationalisation ou de diversification visent à accroître la sphère d'influence des cabinets. Globalement, les exemples de croissance purement interne sont peu nombreux à côté des exemples de croissance mixte à forte composante externe parmi lesquels on trouve les fusions95, le partenariat, les rachats de petits cabinets ou de grandes firmes96. Dans certains cas les firmes acquises peuvent conserver une très large autonomie opérationnelle ou stratégique, dans d'autres, elles sont soumises à des règles strictes d'alignement. Ces stratégies entraînent également un décloisonnement des différents marchés du conseil et des professions, et conduisent à la formation, lente et progressive, d'un marché mondial du conseil constitué de firmes multinationales de services répondant à toutes les demandes des entreprises et diffusant de partout des normes de gestion (C. SAUVIAT 1991).

Notes
82.

Elles touchent essentiellement les plus grandes entreprises du conseil.

83.

L'internationalisation apparaît dès la fin du 19ème siècle avec les "Big Eight" qui vont s'implanter aux États-Unis : par exemple, au milieu des années 30, Price Waterhouse possède déjà 57 filiales de par le monde.

84.

"Le volume d'honoraires réalisé à l'exportation est passé de 4 % en 1993 à 15 % en 1997. Par ailleurs, 60 % des cabinets membres de Syntec font partie d'un groupe ; 38 % sont internationaux ; 37 % sont français, mais possèdent des implantations à l'étranger ; 25 % seulement sont français et n'exercent leur activité qu'au sein de l'Hexagone" (Le Monde Initiatives Emploi 9/12/1998, p. IV).

85.

C'est le souci d'accompagner leurs clients sur les marchés internationaux qui a conduit différentes entreprises (française Bossard Consultants, anglaise P-E Inbucon, allemande Kienbaum and Partners, néerlandaise Berenschot, italienne Orga, danoise Finco) à créer The European Independents, un réseau de partenaires.

86.

CEGOS a racheté Fielden House au Royaume-Uni, Bossard Consultants a fusionné avec la société suédoise de conseil en stratégie Siar.

87.

Le développement d'un réseau international est beaucoup plus difficile pour les cabinets français d'organisation qui sont d'une taille beaucoup plus modeste que leurs homologues anglo-saxons ; les coûts de mise en place d'un tel réseau sont très élevés surtout pour des cabinets dont l'essentiel du capital est contrôlé en général par le dirigeant fondateur (C. SAUVIAT 1991).

88.

Les réseaux internationaux de sociétés de conseil sont capables de regrouper des cabinets nationaux dans chaque pays partageant des approches, des techniques et une culture commune pour communiquer facilement et réaliser de façon efficace des interventions couvrant plusieurs pays.

89.

Voir notamment T. COULET (1997) qui explique que malgré la difficulté et parfois l'impossibilité d'exportation d'un service, des formes originales d'échanges se développent par le déplacement du consommateur ou du producteur, par l'implantation même de celui-ci sur le marché qu'il vise ou encore par la constitution de réseaux de partenariats avec des partenaires locaux. L'auteur identifie ces nouvelles formes d'engagement international, discute également de l'impact des NTIC (Nouvelles Technologies d'Information et de Communication) sur l'échange international de services et montre que se développent des activités s'apparentant dans certains cas davantage à une production supra-nationale qu'un échange international.

90.

Voici des données concernant les créations d'entreprises dans le secteur du "conseil pour les affaires et la gestion" (code APE 74.1 G) de 1987 à 1996 en France :

Source: INSEE Résultats, 1998.

Plus précisément une étude du Ministère de l'Industrie de 1992 réalisée par le cabinet ALGOE et le CEDES (Centre d'échange et d'information sur les activités de service) sur les cabinets de "petite taille" montre que depuis le début des années 90, la création nette de cabinets conseil en France est de l'ordre de 10 à 15 % par an, que la jeunesse des cabinets est frappante : 35 à 40 % des entreprises ont été créées il y a moins de trois ans et 14 % seulement ont plus de 10 ans (cf. ALGOE Management - CEDES 1993 b).

91.

Il est difficile dans le cas des activités de services de parler d'économies d'échelle. Les économies d'échelle, synonymes d'amélioration de la productivité, se développent par la spécialisation des tâches et la division du travail. Cela conduit à la concentration du marché et à l'apparition de grandes firmes qui produisent à un coût moyen unitaire plus faible que les firmes de petites tailles. Pour ce qui est des activités de services, en particulier celles à fort contenu d'informations, les économies d'échelle sont difficiles à évaluer : d'une part, il est difficile de distinguer le processus de production du "produit" qui est la prestation : prestation, production et utilisation se recoupent ; d'autre part, le conseil est tellement lié à la personne que même en stockant le savoir-faire dans l'outil informatique, les économies d'échelle restent difficiles à évaluer (C. SAUVIAT 1991).

92.

Quelles que soient les formes de la diversification, il s'agit toujours de créer une chaîne de valeur et non pas de s'approprier des chaînes de production (A. BRESSAND, K. NICOLAIDIS 1988).

93.

A ne pas confondre avec les "services complexes", c'est-à-dire qui renferment des informations élaborées, approfondies et diversifiées (J.-C. DELAUNAY 1989). Cependant les "complexes de services" ont plus de facilités à produire des "services complexes" surtout à l'aide de l'informatique.

94.

Il se constitue des "supermarchés de services aux entreprises" ou des "one stop shop" (appellation donnée par M. SCHILLER lors d'une communication à la Management Consultants' 1987 World Conference à Paris), ou des "polyclinique du conseil" (J. GADREY 1989), ou encore des "professional «mega-service» firms" (United Nations 1993).

95.

Les fusions qui illustrent le plus ces politiques de concentration sont celles qui ont eu lieu parmi les "Big Eight" : en 1989, Ernst & Whinney et Arthur Young fusionnent pour créer une nouvelle firme dénommée Ernst & Young ; la même année c'est Touche Ross qui fusionne avec Deloitte Haskins & Sells pour former Deloitte Touche Tohmatsu. Plus tard, Coopers & Lybrand va fusionner avec Price Waterhouse et donner PricewaterhouseCoopers. On ne parle plus des "Big Eight" mais des "Big five".

96.

"Cap Gemini se renforce aux États-Unis en rachetant Beechwood pour 1,2 milliard de francs. (...) L'intérêt de cette acquisition est double. (...) Elle offre à Cap Gemini une expertise dans les logiciels de gestion des réseaux téléphoniques qui pourra être étendue en Europe. En retour, Cap Gemini pourra proposer aux grands clients de Beechwood son offre de service dans la gestion de clientèle et la facturation" (E. RENAULT 1999, p. 26).