Section 3 - De la transaction à la production en commun sur le marché du conseil : problèmes et solutions

Par rapport à tout ce qui a été dit jusque-là (section 1 et section 2), on peut faire trois hypothèses.

La première hypothèse met l'accent sur le rôle de l'environnement dans la dynamique économique et dans les mutations sur les différents marchés. Comme on a pu le voir, la complexité et l'instabilité de l'environnement impliquent des savoirs de plus en plus complexes pour le rendre intelligible. Par conséquent, la production de biens ou de services apparaît du même coup complexe et incertaine. Dès lors, c'est la conception de cette production qui va devenir cruciale et centrale dans la problématique économique : il faut réfléchir à ce que l'on cherche à produire, et donc aux objectifs (quoi ? pourquoi ?), à la manière dont on va "entamer" et conduire cette conception (comment ? les moyens de la conception ?), mais également la réflexion doit intégrer les relations à mobiliser (qui ?).

La deuxième hypothèse met en avant le rôle fondamental des conseils. Leur force tient à leur capacité à réduire la complexité de l'environnement. Les conseils apparaissent alors comme des intermédiaires (services d'intermédiation) entre l'environnement et les entreprises (ou les organisations). Mais, en plus de cela, les conseils vont aider au changement dans la mesure où ils vont apporter un supplément d'intelligence dans l'entreprise (services d'intellection) : ils interviennent donc dans le processus de transformation et de modernisation du système productif. Les conseils ont donc une place privilégiée dans la mesure où ils aident les entreprises à concevoir les systèmes de production, la production, les marchés... Reste que, même si la rencontre de l'offre et de la demande de conseils semble très importante pour l'avenir des entreprises, elle n'est pas systématique. Elle est très importante parce qu'elle joue un rôle majeur dans le transfert et l'intégration des nouvelles connaissances et des nouveaux savoir-faire dans le système productif (base de la dynamique du système productif). Mais elle n'est pas systématique du fait de l'indétermination du produit et du différé d'évaluation qui rendent les clients potentiels frileux dans leurs recours au conseil. Aussi, des problèmes dans la construction du marché apparaissent, d'où des questions de transaction de marché, des questions d'échange.

La troisième hypothèse découle des précédentes : le contexte est tel que la fonction de conception devient primordiale, c'est-à-dire qu'il faut imaginer des processus qui vont permettre aux entreprises (ou aux organisations) de s'adapter en permanence aux transformations de l'environnement (cf. hypothèse 1) ; cette fonction de conception s'incarne dans les activités de conseil (cf. hypothèse 2). Cela dit, si le rôle des conseils est fondamental, il est logique de se pencher sur la coproduction, c'est-à-dire sur les caractéristiques de la production dans le conseil. Autrement dit, il ne faut pas occulter le client qui va aider les offreurs (les conseils) à orienter les changements dans un sens précis ; ils participent alors à la fonction de conception. Dans ces conditions de production (coproduction, coconstruction), le résultat de la conception (la solution) est multidimensionnel car plusieurs types d'acteurs interviennent : la production se fait en commun. Dès lors, il appartiendra aux conseils de coordonner les relations entre ces différents acteurs pour tendre vers la solution qui leur semble la meilleure ; elle n'est donc pas préconçue, ni unique et ni optimale.

Avec ces différentes hypothèses, on se rend compte finalement que la question n'est pas seulement celle de la transaction131. Il y a bien d'une part un problème de construction de marché et donc des interrogations quant à l'émergence des transactions, mais il y a aussi d'autre part un problème de coproduction et donc des interrogations quant à la production en commun. Autrement dit, en choisissant ici de nous intéresser aux interactions entre les consultants et les clients, nous choisissons aussi de rentrer, d'un côté, dans les problèmes de constitution de marché, de rencontre de l'offre et de la demande, de mise en contact et, d'un autre côté, dans les problèmes de coordination de la production, c'est-à-dire dans les problèmes de coproduction, de cognition, de savoir, de connaissances, de mise en relation de savoirs... C'est donc à l'ensemble de ces problèmes que nous décidons de réfléchir.

Aussi, après la présentation des logiques d'acteurs et la photographie du marché du conseil apportées dans la section précédente, il s'agit maintenant de dépasser ce stade où les actions des uns et des autres sont bien distinguées, et nous intéresser aux interactions entre les consultants et les clients sur ce marché. Il s'agit donc de questionner la rencontre132 de ces individus.

Dès lors, cette section s'articulera de la façon suivante : nous montrerons, dans le cadre d'activités immatérielles, que les individus peuvent rencontrer des difficultés pour rentrer en contact (problème de construction de marché), de même qu'ils peuvent avoir des problèmes pour produire en commun (problème de coordination) (A-) ; nous montrerons également que des solutions existent (même si elles sont loin d'être optimales) : elles visent à limiter les problèmes précédents et conduisent donc à une meilleure adéquation entre l'offre et la demande (B-).

Notes
131.

S'interroger sur la rencontre du client et du prestataire, c'est réfléchir à l'"avant rencontre" (c'est-à-dire à ce qui pousse les individus à entrer en contact) et à l'"après" (c'est-à-dire à la production en commun).

132.

Nous avions volontairement laissé de côté le terme "rencontre" dans la définition du marché proposée en début de première partie. Il constitue maintenant le coeur de notre troisième section.