b - Identification de la prestation

Des difficultés dans le choix d'une prestation de service se manifestent lorsque :

  • l'entreprise fait appel pour la première fois à un prestataire : dans ce cas elle n'a pas de référence en la matière, pas d'expérience passée avec des consultants, elle ne connaît pas le milieu du conseil, les divers métiers du conseil, les prestations ;

  • l'entreprise possède des référents mais fait face à une situation totalement différente du passé.

Bien évidemment, la lisibilité est claire pour les entreprises qui ont l'habitude de s'adresser au conseil, elles savent choisir entre tels ou tels "produits". C'est le cas des grandes entreprises qui rencontrent moins de difficultés que les petites à connaître les "produits" susceptibles de leur donner satisfaction (plus grande maturité dans l'achat de prestations de conseil).

Cependant pour le profane, quel type de prestation choisir ? Difficile de répondre à cette question car il pèse sur les prestations une incertitude très forte. En effet, le client est incapable de comparer les prestations de divers consultants. Cela provient des caractéristiques des prestations de conseil : elles sont "immatérielles" (du moins elles relèvent d'autres formes de matérialité que la matérialité relative à la production manufacturière (J. GADREY 1988 a)) et qualitatives. Dès lors, on ne peut choisir une prestation sur catalogue comme pour certains biens, parce qu'il n'est pas possible de se référer à des spécifications techniques. Ainsi les services ne pourront être comparés et évalués qu'après achat135 (J. DE BANDT 1998).

Il est donc très difficile de se faire une idée précise du "produit", d'autant plus que chaque prestation doit être adaptée aux besoins du client, chaque prestation est unique et spécifique (J. DE BANDT 1998).

En effet, selon le "savoir, vouloir, pouvoir" (SVP) de l'entreprise (Rapport du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie 1998), l'attitude et l'action du consultant vont changer136. En fait le "savoir, vouloir, pouvoir" de l'entreprise correspond à sa maturité.

Le savoir signifie que l'entreprise sait ou ne sait pas quels sont les enjeux du changement et ce qu'il implique.

Le vouloir signifie que l'entreprise veut ou non le changement (importance de la motivation de l'entreprise et de l'information pour préparer au changement).

Le pouvoir signifie qu'elle peut ou non assurer le changement compte tenu de contraintes (financières, de temps, contraintes de ses partenaires industriels et institutionnels, contraintes dues au personnel, etc.).

Sur le schéma suivant nous avons représenté "les dimensions de la spécificité de la mission", c'est-à-dire les éléments qui font que les missions ne seront jamais totalement identiques. En fait, un prestataire ne met jamais en place la même solution chez deux clients, même s'ils ont le même besoin, les mêmes objectifs..., parce que la solution doit être adaptée à l'organisation cliente. La solution est unique, parce que le client est unique et le prestataire doit s'adapter à sa problématique, donc à sa singularité.

message URL SCH008.jpg
Schéma : Les dimensions de la spécificité de la mission

Dès lors, les résultats obtenus dans différentes organisations clientes, pour une même mission, sont difficilement comparables et très subjectifs.

En fait cela révèle les lacunes du marché : il est incapable de fournir des informations sur la qualité comparée des "produits" (J. DE BANDT 1998). En conséquence, les prix ne permettent pas d'effectuer des comparaisons pertinentes, ils n'informent pas vraiment le client. Ceci explique que pour des prestations similaires (en apparence, par exemple même intitulé), il y ait des dispersions extrêmes de prix entre les cabinets.

Selon L. BERRY et D. YADAV (1996), il est très délicat de fixer le prix de l'intangible. En théorie, la clé pour arriver à une meilleure fixation des prix est de relier de manière claire le prix payé à la valeur reçue. L'entreprise veut toujours quelque chose qui vaille le montant payé, mais cela reste assez subjectif. Le cabinet de son côté cherche à montrer que son prix est en phase avec sa proposition de valeur. Mais la communication est difficile entre les deux parce qu'il n'existe pas de référentiel qui permette de faire une lecture comparative. En fait on peut relever trois types de difficulté :

  • des problèmes pour déchiffrer la valeur proposée par le consultant ;

  • une valeur attendue mais mal identifiée par le client ;

  • une incompréhension des prix pratiqués qui aggrave la communication137.

Le prix d'une mission n'est pas le seul critère de jugement d'une proposition d'un consultant, mais il est fondamental, malgré qu'il soit "(...) très souvent (...) difficile à comprendre et à déchiffrer" (J.-B. HUGOT 1993, p. 37). La fourchette des prix à la journée, selon un consultant indépendant interviewé dans la revue de la CICF de septembre 1998, varie de 4 500 à 20 000 F T.T.C. environ138. Ces écarts suscitent des interrogations pour les entreprises (ou les organisations) et peut-être des interprétations du type : le prix à la journée de 20 000 F correspond à un "produit-conseil" supérieur c'est-à-dire à un investissement pour le client très rentable, le prix à la journée de 4 500 F, à un "produit-conseil" inférieur c'est-à-dire qui n'aura pas d'effets spectaculaires chez le client139 (J. DE BANDT 1998). Dans le cadre des biens, il n'est pas rare de constater des écarts de prix très importants, par exemple pour une voiture. Mais ces écarts peuvent se justifier : par exemple la différence de prix entre deux voitures peut venir des options qu'intègre une voiture et pas l'autre. Par contre, dans le cadre des services, l'intangibilité du "produit" conduit à des interprétations souvent rapides et erronées de l'écart.

Toutes les sociétés de conseil ne révèlent pas leurs tarifs (prix de la journée), autrement dit la transparence n'est pas encore la règle dans ce milieu, et lorsqu'elles le font, les informations dévoilées ont une valeur relative car (J.-B. HUGOT 1993) :

  • il existe souvent un écart entre le tarif affiché et le tarif réellement pratiqué ;

  • le coût d'une intervention est également fonction d'autres paramètres : sa durée, le "mix" des qualifications (depuis le junior jusqu'au directeur associé), la capacité contributive du client... ;

  • c'est seulement le résultat qui permettra de juger du caractère onéreux, ou non, de la prestation.

En fait pour que le client puisse comparer les prestations et conclure au meilleur rapport qualité-prix, il lui faudrait disposer d'informations sur :

  • le détail des prix des prestations : prix direct c'est-à-dire prix de la journée et prix indirect c'est-à-dire les coûts liés à la formation, l'information, la capitalisation des connaissances, la mise au point de méthodologies... ;

  • les temps théoriquement nécessaire à la réalisation de la prestation ;

  • le nombre de jours facturés (qui intègre le travail du consultant en amont, non visible par le client) ;

  • les dimensions qualitatives de la prestation.

Là encore, ex ante, il est difficile d'accéder à ces informations.

Bien évidemment, la régulation par le marché est loin d'être optimale : comment choisir le produit correspondant au meilleur rapport qualité-prix (J. DE BANDT 1998) ? Mais toutefois on ne peut pas non plus dire que le marché est totalement déréglé au point qu'il puisse permettre qu'un cabinet pratique des prix exorbitants en comparaison de la valeur et des coûts, car le cabinet perdrait vite des clients.

Finalement il apparaît des difficultés conséquentes pour réaliser une bonne adéquation entre l'offre et la demande : d'une part, parce que les contours de la question ne sont pas forcément bien définis par le client (problème d'identification des besoins) ; d'autre part, même si la question est bien cadrée, il est délicat pour le client de cibler la prestation adéquate, celle qui lui permettra d'atteindre les meilleurs résultats, pour un coût convenable.

Notes
135.

Et encore... certains des effets des prestations sont tellement diffus qu'il est délicat de les apprécier et donc de comparer les prestations.

136.

Dans le rapport du Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie (1998), les auteurs parlent d'attitudes à "géométrie variable".

137.

En théorie on devrait pouvoir trouver des explications des prix en regardant les grands postes de dépenses des cabinets. Le nombre de jours facturés s'il est faible peut témoigner soit d'une sous-activité, soit d'un effort important dans la formation, la mise au point de méthodologie, la capitalisation des connaissances et dans le commercial. Les salaires élevés rétribuent théoriquement les véritables professionnels. Toutefois il est difficile de trouver dans les entreprises des indications quant à ces dépenses..., alors que cela seraient certainement utiles pour éclairer les entreprises clientes. Les comptes des sociétés sont rarement accessibles et, quand ils le sont, ils ne sont pas forcément parlants car s'y mêlent des éléments très variés (études, frais, sous-traitance, etc.) (J.-B. HUGOT 1993). Il faut toutefois être prudent car même des spécialistes sont méfiants vis-à-vis de certaines données : "Les taux de croissance d'effectifs et de CA affichés sont souvent aussi impressionnants que difficile à contrôler. (...) on ne peut pas augmenter indéfiniment les effectifs de 30 % par an ! " (J.-B. HUGOT 1993, p. 7).

138.

Le taux journalier est déterminé en fonction du coût salarial du consultant, des charges d'exploitation du cabinet et du temps directement facturable :

- le coût salarial du consultant est l'addition du salaire et des charges afférentes ;

- les autres charges d'exploitation sont les dépenses de R&D, le coût du management et du commercial, les frais induits par l'activité (secrétariat, communication, informatique, etc.) et les frais généraux (loyers, téléphone, etc.) ;

- le temps du consultant directement facturable est le nombre de jours de missions effectifs d'un consultant au cours d'une année.

A l'issue de la mission, le temps total consacré par les consultants à la résolution du problème posé (c'est le temps passé dans l'entreprise cliente et ailleurs -collecte de l'information extérieure, déplacements...-) exprimé en nombre de journées, est multiplié par le taux de rémunération journalier des intervenants (variable selon le "grade" de l'intervenant : consultant junior, senior, directeur, chef de mission, manager, associé...).

139.

Un prix trop faible peut signifier, soit que la pérennité du cabinet est en danger, soit que le cabinet n'investit pas pour son avenir (RD, marketing, formation, capitalisation, méthodologie, etc.), ce qui le condamne également.