Conclusion Partie 1

L'objectif de cette première partie était double : il s'agissait d'une part, de planter le décor c'est-à-dire de préciser autant que possible les contours du conseil en management, et d'autre part, de décrire le fonctionnement du marché.

Les deux premières sections permettaient de glisser de l'activité aux acteurs du conseil en management, et surtout de souligner les conditions d'émergence et de structuration d'un véritable marché qui a ses propres caractéristiques, ses propres règles. Il s'agit en fait d'un marché tout à fait singulier de par son ouverture (pénétration du marché aisée) : les investissements matériels sont négligeables et il n'y a pas de barrières à l'entrée (aucun diplôme n'est exigé), ni à l'exercice, à l'inverse de professions réglementées du type experts-comptables ou avocats régies par un ordre. Par conséquent, on pourrait imaginer qu'il y ait sur ce marché "non réglementé" des comportements très hétérogènes parmi les offreurs ou un faible professionnalisme..., et pourtant on observe une certaine discipline.

Cette phase d'"imprégnation" terminée, il s'agissait ensuite de rompre avec une perspective dichotomique (d'un côté les clients, de l'autre les prestataires) pour souligner la dynamique inhérente à ce marché, résultat des interactions entre offreurs et demandeurs. Parce que la situation est ambiguë (quel problème, quelle prestation, quel cabinet ?), parce que la question comme la réponse au problème du client sont multidimensionnelles (d'où une indétermination du "produit" et un contrôle délicat du travail du prestataire), parce que des facteurs exogènes non pris en compte au départ peuvent apparaître (J. DE BANDT 1998)..., des problèmes de constitution du marché et de coordination de la production (coproduction) se manifestent.

Fort heureusement ces problèmes, doutes, incertitudes ne sont pas sans solution. Pour faciliter les transactions (et donc la constitution du marché), le client peut choisir un cabinet membre d'une organisation professionnelle, consulter des prescripteurs, des annuaires, des revues spécialisées qui donnent des informations générales sur les cabinets... ; le prestataire peut s'entourer de certifications, qualifications, présenter des expériences réussies... Autrement dit, il s'agit d'être attentif à divers flux "non monétaires"180 qui traversent le marché et diffusent des informations plutôt qualitatives (sur les prestations, les cabinets, les consultants..., par l'intermédiaire de prescripteurs, de confrères, d'acteurs publics, d'associations et d'organismes divers...) mais aussi incertaines et parfois subjectives. Ces flux visent à rassurer les parties prenantes et donc à apporter plus de confiance dans les transactions. Ils concernent la mise en relation des offreurs et des demandeurs mais ne font pas totalement disparaître les incertitudes pour la suite (processus de prestation). Ensuite, pour faciliter la production en commun et éviter les déceptions futures, il est bien d'engager une véritable relation de partenariat pour être en accord sur la vision du changement, pour connaître la démarche envisagée, l'équipe, le programme de travail, pour convenir du coût... ; il est également judicieux de tirer des leçons d'une expérience, d'une mission (apprendre à s'adapter J. DE BANDT (1998)), c'est un apprentissage qui pourra éviter de commettre des erreurs dans le futur. Cependant, il faut être réaliste, ces solutions ne sont que partielles, elles ne suppriment pas toutes les incertitudes et il sera toujours délicat pour le client d'engager un prestataire (manque de transparence au niveau des prestations, des cabinets, de leur professionnalisme, etc.), d'aller vers le cabinet le plus à même de répondre aux besoins, de définir et d'évaluer les résultats étant donné l'intangibilité des "produits-conseil".

Aussi, même si le consultant pèse d'un poids important dans la modernisation de l'économie, il souffre d'une mauvaise image auprès du public et des petites entreprises, due à la fois à la méconnaissance de sa contribution, à des problèmes de transparence et de lisibilité dans ses prestations et à des expériences malheureuses du fait de sociétés peu sérieuses, d'où des problèmes pour faire se rencontrer l'offre et la demande.

Dans de telles conditions, beaucoup prônent une organisation du marché, c'est-à-dire pensent qu'il serait bien de réglementer la profession pour éviter toutes les fâcheuses dérives et surtout pour protéger l'entreprise cliente181. Autrement dit en cadrant, en réglementant plus précisément cette forme de production en commun, les transactions seraient stimulées.

Mais cette régulation est-elle réaliste ? Comment l'État pourrait-il être un "bon régulateur" sur ce terrain aussi mouvant par nécessité182 ? Ne risque-t-on pas, du fait de la réglementation, une paralysie de la créativité ?

Toutefois, ne pas réglementer la profession ne veut pas dire qu'il faut se croiser les bras et ne rien faire pour améliorer sa lisibilité. Nombreux sont ceux qui s'affairent à cette tâche : par exemple, l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce) et l'OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Économique) qui prônent l'"auto-discipline" des marchés, la mise en place de normes, de certifications, de qualifications pour éclairer sur les éléments de choix des prestataires. En fait les signaux de ces institutions sont clairs : ils appellent à une structuration nationale et internationale183 à laquelle les consultants sont libres d'adhérer. Il est clair que ces normes et certifications ont de facto la force d'une réglementation (ne pas être certifié condamne le cabinet à ne pas apparaître sur le marché "en pleine lumière") mais préservent la souplesse d'accès au métier car il n'y a pas d'interdiction d'installation, ni d'exercice.

En prenant du recul par rapport à tout ce qui a été vu dans cette première partie, on s'aperçoit qu'on se retrouve en face d'un marché vaste, jeune, mouvant et très hétérogène et surtout non réglementé qui crée doucement les contours de son professionnalisme. Autrement dit, le conseil en management devient une profession avec tout ce que cela implique de rigueur, d'exigence de qualité et de structuration de l'offre, dans une compétition internationale renforcée (A. LEGENDRE 1987). C'est finalement un marché "auto-discipliné" dont il est question ici sur lequel émerge les instruments de la confiance (cf. les solutions présentées).

On s'aperçoit également que la réalité économique, et notamment les conditions de développement du marché du conseil en management, ne peuvent être appréhendées qu'au travers d'approches dynamiques systémiques prenant en compte les actions et réactions d'acteurs.

Ces aspects soulignent le caractère spécifique du marché du conseil en management dans lequel une logique d'ensemble s'affirme à partir de comportements s'inscrivant chacun dans des logiques micro-économiques spécifiques, dans lequel aussi des actions plus ou moins compatibles s'articulent.

Cette réalité décrite tout au long de cette première partie, il s'agit maintenant de la reconstruire, de l'éclairer afin de lui donner un sens précis. Pour ce faire, nous allons questionner les théories qui s'intéressent aux problèmes de la constitution du marché et de la coordination de la production (deuxième partie), pour donner une signification à des choses qui jusque-là étaient simplement décrites, c'est-à-dire pour expliquer comment fonctionne le marché du conseil en management.

Notes
180.

Il y a également des flux "monétaires" qui transmettent des informations certaines mais qui ne veulent pas dire grand chose ; par exemple, la proposition de prix pour une mission est précise mais difficile à déchiffrer.

181.

Beaucoup franchissent les "barrières du conseil", c'est-à-dire qu'ils pratiquent initialement un autre métier et s'ouvrent au conseil en management pour en tirer parti, mais parfois ne respectent pas vraiment un code de déontologie et finalement nuisent à l'image de la profession. Les situations de ce genre disparaîtraient peu à peu si le référentiel normatif de son professionnalisme s'élaborait.

182.

Cette profession est par nature mobile (comme le sont les besoins des clients) : des transfuges développent dans la structure qu'ils créent des savoir-faire qu'ils ne pouvaient pas exprimer dans leur structure de départ ; des cadres d'entreprises, des chercheurs, des enseignants mettent sur leur marché leur technicité pointue dans tel ou tel domaine... L'offre se vivifie de cette manière et ce foisonnement est absolument nécessaire à la vitalité du secteur.

183.

Dans le même ordre d'idée, on peut citer d'autres initiatives supranationales :

- la première visait à la constitution d'un marché intérieur européen : même si le traité de Rome de 1957 cherchait à favoriser les échanges, il n'a pas permis de lever toutes les barrières et de nombreux obstacles de nature technique ou réglementaire ont continué de subsister, entravant le droit à la liberté de prestations et d'établissements, dans les services, au sein des différents marchés nationaux et empêchant leur intégration (C. SAUVIAT 1991). C'est pour lever ces obstacles que la Commission des Communautés Européennes a publié en 1985 un "Livre Blanc" dans le but de faciliter la constitution d'un véritable marché intérieur européen. En 1988, un système général de reconnaissance mutuelle des diplômes professionnels nationaux, à usage des professions libérales, est mis en place ;

- une deuxième illustration de la mise en place d'une forme de coordination du métier au niveau européen : la Fédération Européenne des Associations de Conseil en Organisation (FEACO) créée en 1960 qui regroupe 15 pays d'Europe. Le but premier de cette fédération est d'aider à promouvoir et à développer la profession de conseil en management en Europe, en offrant un support aux membres des associations nationales dans les secteurs où un voix collective est plus forte que la somme des membres individuels. Outre la représentation de la profession, ses autres activités visent à : (1) encourager l'établissement de contacts entre les associations membres et leurs adhérents par le biais de parrainages ; (2) veiller à l'image du secteur industriel par la promotion de standards professionnels communs dans les domaines de l'éthique et de la qualité ; (3) maintenir des relations étroites avec la Commission Européenne et d'autres organisations pan-européennes afin d'établir un suivi des différents règlements et procédures dans le but de préserver la transparence dans les relations contractuelles avec les consultants ; (4) diffuser l'information et les statistiques concernant le marché. Pour plus d'informations voir le site internet : "http://www.feaco.org/about_fr.html" ;

- à un niveau encore plus global, on peut citer l'accord international de 1993-94 sur le commerce des services qui établit un cadre général de règles et de principes qui doivent s'imposer aux échanges internationaux de services (cf. les accords du GATS -General Agreement on Trade in Services- sur les échanges internationaux de services conclus dans le cadre de l'Uruguay Round de 1994) (T. COULET 1997). En signant l'accord, les pays ne s'engagent pas à ouvrir indistinctement leurs secteurs de services. L'ouverture est soumise à un programme d'engagements que chaque membre fixe. Cet accord devrait se traduire par des changements de long terme tels que la rationalisation de la production des services, l'harmonisation des conditions de production ou de la législation, l'accélération du rythme d'application des nouvelles technologies à certains services... (A. BARCET et J. BONAMY 1994 a).