PARTIE 2
ANALYSES ACTUELLES DE LA CONSTITUTION DU MARCHÉ ET DE LA COORDINATION DE LA PRODUCTION

L'objectif de cette deuxième partie est d'interroger les analyses actuelles qui s'intéressent à la constitution du marché et à la coordination afin d'apporter un éclairage sur le fonctionnement du marché du conseil en management.

Pour commencer, il est important de faire un retour sur les problèmes relevés dans la première partie.

Il y a d'abord des problèmes de constitution du marché : le marché n'existe qu'à partir du moment où une offre rencontre une demande. On a pu voir que cette réunion n'était pas toujours évidente : difficultés dans le choix du prestataire, dans le décryptage des prestations proposées... Des informations qualitatives circulent sur les prestations, les entreprises de services, les consultants, mais elles sont parfois incertaines et subjectives. Des informations monétaires existent et sont diffusées, mais elles ne sont pas vraiment significatives et transparentes. On peut résumer cette situation en disant que les imperfections informationnelles rendent difficilement observables les véritables caractéristiques de l'offre, des offreurs, et ceci conduit à des difficultés dans la constitution du marché.

Il y a aussi des problèmes de coordination, c'est-à-dire des problèmes dans la production en commun. La problématique de la coordination s'intéresse donc à toutes les questions d'ajustement d'acteurs dans un but productif et non aux questions de constitution du marché. Pour réaliser une prestation de conseil, le dirigeant d'un cabinet doit mobiliser diverses ressources : des informations données par le client, des compétences spécifiques (ressources humaines) par le recrutement de consultants, et dans certains cas des "compétences de support" (J. GADREY et alii 1992) par la signature de contrats avec différents partenaires. C'est une étape de la coordination mais, s'en tenir à cet aspect implique d'assimiler l'activité productive à un processus d'allocation. A la suite de cela, il est donc nécessaire de créer des dispositifs d'intégration de ces ressources non directement productives. Par exemple, la rencontre du prestataire et du client, matérialisée par un contrat, portant sur une mission particulière, ne garantit pas des résultats, cela ne garantit pas non plus d'un enrichissement pour le prestataire en termes d'expérience. Il est nécessaire que chacune des parties participe à la coproduction de la prestation et que le client "intègre" les connaissances nouvelles issues de la relation de service. De même, pour un cabinet de conseil, le fait de recruter un nouveau consultant n'est pas directement productif, il faudra pour y remédier le plonger dans l'esprit du cabinet, dans le savoir-faire "maison"..., autrement dit, l'"intégrer" au cabinet, à ses objectifs, à sa manière de travailler... On pourrait également parler de la relation prestataire/partenaire(s) : signer un contrat avec un partenaire parce qu'il détient des compétences que le cabinet n'a pas, n'est pas directement productif ; il est nécessaire que les partenaires s'entendent sur le "travail" à effectuer ensemble, sur les délais, sur les besoins du client, sur les objectifs de la mission, et tous ces ajustements sont nécessaires pour "intégrer" des compétences diverses à un projet global. La création de dispositif à l'intégration des ressources non directement productives, est donc une autre étape de la coordination. Avec ce deuxième aspect de la coordination, l'activité productive a pour vocation d'assurer le meilleur usage des ressources, et non plus seulement de les mettre côte à côte au travers de la signature de contrats (avec les clients, les consultants, les autres conseils). On passe alors d'une logique d'allocation à une logique de production par l'intégration des ressources qui vont ensuite générées des effets (résultats satisfaisants chez le client, amélioration de la réputation du cabinet, confiance plus grande envers les partenaires, expériences nouvelles pour les consultants...).

Dès lors, constituer un marché c'est réunir une offre (un prestataire) et une demande (un client) à l'aide des actions et réactions de multiples acteurs (prestataires, clients, organismes divers, associations, prescripteurs, etc.). Coordonner c'est faire travailler ensemble des acteurs différents (consultants, clients, autres conseils) : dans un premier temps (logique d'allocation), le dirigeant du cabinet doit rechercher, si nécessaire, des ressources pour produire ; dans un second temps (logique de production), il s'agit d'intégrer ces ressources. En fait, il apparaît différents espaces, différents lieux de coordination. Le premier concerne l'entreprise prestataire : s'il s'agit d'un conseil non indépendant, son dirigeant doit recruter des consultants, les imprégner de l'esprit maison, trouver des solutions pour limiter les comportements tire-au-flanc. Dans le cas d'un conseil indépendant, les mécanismes de coordination internes disparaissent. Le deuxième espace touche aux relations consultant/client : ces individus doivent rapidement trouver une "longueur d'onde commune" (J. GADREY 1994 b) afin d'aller vers la meilleure solution. Dans certains cas, dans ce deuxième espace on retrouve d'autres conseils : la "longueur d'onde commune" sera peut-être plus délicate à trouver étant donné que beaucoup d'individus interviennent et que chacun à ses propres représentations, façons de faire, etc. Le maître d'oeuvre (le consultant) va alors chercher à agencer les comportements de tous les intervenants de la mission.

Par rapport à nos deux interrogations sur le fonctionnement du marché, on peut toutefois remarquer que la question de la construction du marché intègre la coordination. Plus précisément, la coordination est une des conditions essentielle de la constitution des marchés mais elle n'est pas une condition exclusive. En effet, les expériences, les missions réussies sont vecteurs de nouvelles rencontres dans la mesure où elles améliorent l'image du conseil auprès du public et donc elles conduisent à un développement du marché. Mais la coordination de la production n'est pas une condition exclusive dans la mesure où le degré de satisfaction des individus est très subjectif et qu'un certain flou va demeurer. En d'autres termes, la constitution du marché conduit à la coordination d'acteurs différents (qui sera plus ou moins efficace), mais la coordination de la production ne conduit pas forcément au développement du marché. La coordination est seulement un élément de la constitution du marché.

Nos interrogations sur le fonctionnement du marché du conseil ont trouvé quelques réponses dans la première partie. Il ressort notamment que, même si le marché est non réglementé, il existe et se développe, c'est-à-dire que les agents concernés mettent en place les conditions de son développement ou les solutions qui vont faciliter les rencontres et la production en commun (Partie 1, Section 3). Cependant, ces réponses sont superficielles, elles décrivent simplement le fonctionnement du marché mais sans l'expliquer. Aussi il s'agit maintenant d'éclairer le terrain à l'aide d'analyses qui s'intéressent aux problèmes de constitution du marché et de production en commun. Ces analyses vont donc nous aider à reconstruire une réalité afin de mieux la comprendre, à donner une signification à des solutions qui étaient simplement décrites au départ. Par conséquent, nous allons questionner diverses analyses actuelles ce qui va nous permettre de souligner les liens entre l'analyse théorique du fonctionnement du marché et le fonctionnement réel du marché du conseil. La théorie économique regroupant les analyses de la firme et les analyses des relations interfirmes, nous suivons ce découpage dans cette deuxième partie.