a - L'analyse standard de la firme

Le modèle néoclassique est purement individualiste : l'acteur est individu, producteur quand il produit, consommateur quand il consomme, travailleur quand il travaille, banquier quand il prête...

Cet acteur-individu n'a pas d'influence sur les conditions de l'échange et cherche à maximiser sa satisfaction : il est doté d'une fonction d'utilité et préférera systématiquement plus d'utilité dès que cela sera possible. Les relations entre acteurs portent sur des produits homogènes.

L'acteur-individu est confronté à un monde certain, où l'information n'a pas de coût, est parfaitement répartie et où l'avenir, quand il importe, peut être sinon prévu, du moins raisonnablement probabilisé. L'agent peut donc énumérer ou recenser tous les avenirs possibles (c'est-à-dire les différents états de la nature susceptibles de se produire à la suite de la décision), ou encore attribuer une probabilité d'occurrence à ces situations futures. Parce qu'il bénéficie d'une information parfaite et qu'il peut effectuer des calculs, l'agent bénéficie d'une rationalité pure.

Dans le modèle néoclassique, l'objet essentiel est celui de l'affectation optimale (la meilleure possible) à des usages alternatifs, concurrents d'une ressource déterminée. Il s'agit d'un modèle global d'allocation des ressources par le marché, dans lequel ce dernier est présenté comme ‘"(...) la figure centrale, sinon unique de l'analyse économique"’ (R. ARENA 1990, p. 7).

Pour introduire l'analyse standard de la firme il suffit d'assimiler la firme (entité collective) à un agent individuel qui recherche la maximisation de son profit. Ainsi le principe de comportement censé fonder l'ensemble des comportements individuels -le principe d'utilité-, se transforme en principe de maximisation.

Le but attribué aux firmes dans le modèle standard est alors la maximisation du profit184 sous les contraintes de ses capacités technologiques. Il s'agit donc de réfléchir à la façon dont un producteur, une entreprise doivent agir pour tirer le profit le plus élevé d'un budget donné. Dans le modèle néoclassique, les prix des inputs et le prix de vente sont fixés de manière exogène (le producteur est un "preneur de prix")185. Dans ces conditions, le profit (différence entre la valeur des ventes et le coût total) dépend exclusivement de la quantité produite. En poussant le raisonnement néoclassique jusqu'au bout, le profit à court terme sera maximisé à partir du moment où le coût marginal sera égal au prix de vente, cela définissant la quantité optimale d'output à produire186.

Bien évidemment l'entrepreneur est parfaitement rationnel, c'est-à-dire qu'il est capable de faire des calculs instantanés, illimités, sans erreur et sans coût, de prévoir efficacement et sans effort toutes les éventualités et toutes les conséquences d'une information ou d'une décision, et de tirer le meilleur parti de chaque situation. Comme l'entrepreneur et l'entreprise ne font qu'un, cette dernière a également un comportement parfaitement rationnel. Autrement dit, l'entreprise fait le meilleur choix en fonction de l'information parfaite dont elle dispose. De plus, il ne peut y avoir de conflits internes, de contre-pouvoirs, de routines et de motivations contradictoires. Une seule volonté s'affirme, celle du propriétaire-entrepreneur qui cherchera à maximiser son profit (rationalité) en proposant son produit (homogénéité) à un ensemble d'acheteurs parfaitement informés (transparence) (DE MONTMORILLON B. 1998).

Dès lors, l'entreprise est assimilée à une fonction de production187, à une "boîte noire", à un automate (B. CORIAT et O. WEINSTEIN 1995) qui change des inputs en outputs, selon une technologie donnée et en fonction des facteurs de production dont elle dispose. Elle écoule ensuite les biens ou services produits sur le marché. Son comportement est entièrement déterminé par des variables sur lesquelles elle n'a aucune emprise (les objectifs et les contraintes techniques sont des données). Elle ne réagit qu'aux changements qui affectent l'équilibre de marché. Les structures de marché conditionnent donc entièrement le comportement des firmes. Autrement dit, le modèle néoclassique est un modèle d'équilibre de marché qui intègre un agent particulier : la firme. Ce qui fait dire à B. CORIAT et O. WEINSTEIN (1995, p. 11) : ‘"L'analyse de la firme n'est d'abord qu'une composante de la théorie des prix et de l'allocation des ressources"’. Il n'y a donc pas de véritable théorie de la firme ayant un objet propre et spécifique. Dans un tel contexte, la coordination des compétences, qui suppose une dissymétrie des rationalités, ne peut être qu'exclue de l'analyse. L'étude met essentiellement l'accent sur l'unique mode de coordination des décisions et actions individuelles : le système de prix d'équilibre. Ainsi, l'organisation interne de la firme ne joue aucun rôle économique sur l'allocation des ressources. C'est pourquoi la théorie néoclassique de la firme est considérée comme un modèle de marché188.

En conséquence, la problématique de la théorie standard consiste à définir les conditions d'une allocation efficiente des ressources par le marché, grâce à un examen des variations du prix de marché et de leur influence sur la demande de facteurs via la technique de production choisie, et en une observation des variations de quantités produites. La théorie propose un mode de coordination optimal qui ne relève pas de la firme, mais du marché avec une firme qui n'a pas de caractéristiques propres car la spécificité des comportements et des intérêts individuels est niée. Comme le souligne O. FAVEREAU (1989 a, p. 277), ‘"(...) la coordination des comportements individuels est réduite au marché"’.

Notes
184.

Ce principe de maximisation ne s'applique qu'en situation de "concurrence pure et parfaite" c'est-à-dire que les conditions suivantes doivent être réunies : homogénéité du produit, atomicité du marché, transparence parfaite du marché, fluidité parfaite de l'offre et de la demande, rationalité individuelle.

185.

Dans cette structure de marché, les offreurs ne disposent d'aucun pouvoir de marché : ils sont "preneurs de prix" (price takers). Autrement dit, la demande est infiniment élastique par rapport au prix : si un offreur vend plus cher que le prix d'équilibre, il ne vend rien.

186.

L'objectif de la firme est de maximiser son profit :

Max P = Max (R - C) = Max [ pQ - Cf - Cv ]

avec P le profit, R les recettes, p le prix, Q les quantités produites, C le coût total (C = Cf + Cv) qui intègre les coûts fixes (Cf) et les coûts variables (Cv) .

Le profit est maximisé quand la dérivée première de la fonction de profit par rapport à Q est nulle :

[ pQ - Cf - Cv ] ' = 0

La dérivée du coût variable par rapport à Q est le coût marginal, alors :

<=> p - 0 - Cm = 0

<=> p - Cm = 0

<=> Cm = p

La firme produit donc jusqu'à ce que son coût marginal (Cm) soit égal au prix, donné par le marché.

187.

La fonction de production de la firme est la suivante :

Q = F (x , y)

avec, Q la quantité produite, x et y les quantités de facteurs nécessaires à cette production.

188.

"(...) toute la littérature économique qui évolue sous le label «théorie de la firme» n'est pas une théorie positive de la firme, mais plutôt une théorie des marchés" (M. C. JENSEN 1983, p. 325).