c - R. M. CYERT et J. G. MARCH et la théorie béhavioriste

Dans le prolongement de la démarche précédente, le courant béhavioriste195 (dont le livre de R. M. CYERT et J. G. MARCH A Behavioral Theory of the Firm (1963) est fondateur), décrit l'entreprise comme une coalition de groupes (les dirigeants, les commerciaux, les financiers, les industriels, etc.) eux-mêmes saisis dans des structures internes (départements, divisions, sites, etc.) et poursuivant des objectifs propres. La firme est d'emblée considérée comme une organisation où l'objectif général n'est pas donné mais se construit dans de nombreux échanges entre groupes de pression, c'est-à-dire que les membres de la firme négocient en permanence les objectifs afin qu'ils soient acceptés par tous (et pour obtenir des résultats satisfaisants). La firme est donc une organisation complexe, c'est-à-dire qu'elle ‘"(...) apparaît comme une coalition de groupes dont le destin est commun mais qui manoeuvrent chacun pour son propre compte"’ (B. CORIAT et O. WEINSTEIN 1995, p. 27).

La firme est également le lieu de processus de prise de décision et d'apprentissages collectifs. Ce processus de décision n'est possible que si des procédures organisationnelles et des routines sont mises en place. Autrement dit, la prise de décision sera facilitée à l'aide d'un apprentissage collectif des possibilités d'amélioration de l'efficacité.

La conception de la firme que propose cette analyse s'inscrit dans un projet théorique global qui a pour ambition (R. M. CYERT et J. G. MARCH 1963, p. 19) :

La théorie béhavioriste n'a pas pour ambition la construction d'une théorie générale et abstraite, ce n'est pas une approche axiomatique. Elle cherche à rendre compte d'une réalité économique avec les comportements comme objet d'analyse essentiel. La démarche béhavioriste consiste donc, à partir de l'observation, à construire une théorie comportementale, justifiée par une double nécessité : rendre compte du comportement effectif des individus et comprendre le fonctionnement des firmes, unité de base d'une économie. L'observation des firmes réelles fait ressortir une variable fondamentale : le processus décisionnel individuel. En théorisant le comportement effectif de la firme, la théorie béhavioriste doit nécessairement abandonner le cadre de l'analyse standard des comportements : l'objectif de la firme n'est pas donné mais à construire, l'environnement de la firme n'est pas connu ou probabilisable mais radicalement incertain, l'information n'est pas parfaite mais à rechercher et interpréter (M. CHAUDEY 1998).

Cette approche est donc une ouverture par rapport à la théorie standard dans la mesure où elle met l'accent d'abord sur l'individu et où elle relâche beaucoup d'hypothèses rendant l'analyse plus réaliste et moins axiomatique. Cette approche vise donc à rendre compte du fonctionnement humain de l'organisation productive qu'est l'entreprise : elle ne poursuivrait pas un seul objectif (maximisation des ventes chez W. J. BAUMOL par exemple), mais un ensemble d'objectifs, pécuniaires (profit, cash flow, etc.) ou non pécuniaires (carrière des salariés, pouvoir et prestige des managers, etc.), elle est ainsi amenée à organiser des arbitrages196, d'où une hiérarchisation des objectifs, afin de satisfaire les intérêts de chacun des groupes qui la composent.

Notes
195.

Nous intégrons dans l'approche béhavioriste (ou comportementale) tous les travaux qui accordent une large place à l'analyse des comportements individuels dans la firme.

196.

Par exemple, pour être performant un cabinet de conseils doit veiller dans sa gestion à un arbitrage serré entre (D. MAISTER 1996) :

- les exigences de la clientèle,

- les contraintes du marché du travail (satisfaction des acteurs internes),

- la rentabilité (succès financier).