a - La théorie des droits de propriété

La théorie des droits de propriété cherche à montrer ‘"(...) comment différents types et systèmes de droit de propriété agissent sur le comportement des agents individuels et par là sur le fonctionnement et l'efficience du système économique, et comment dans une économie où les rapports contractuels entre agents sont libres, le type et la répartition des droits de propriété qui assurent l'efficience la plus grande tendent à s'imposer"’ (B. CORIAT, O. WEINSTEIN 1995, p. 79). Nous allons donc voir si ce corpus théorique permet d'analyser et d'expliquer les formes institutionnelles du type cabinets de conseil.

Ainsi, pour saisir le lien entre firme et système de droits de propriété, nous présentons ici la "firme capitaliste classique"200 étudiée dans un article célèbre de A. A. ALCHIAN et H. DEMSETZ (1972). Dans cet article, les auteurs s'interrogent sur les difficultés liées à la production en équipe (sur le marché ou dans la firme201).

Cette théorie nous semble tout à fait intéressante par rapport à notre champ, le conseil en management, puisque le dirigeant d'un cabinet de conseil doit coordonner plusieurs consultants ; cet ensemble de consultants peut être assimilé à une équipe, dans laquelle existe, peut-être, des "tire-au-flanc".

La production en équipe est caractérisée par un output total supérieur à ce qu'il serait si chacun produisait isolément, grâce à la spécialisation. Plus précisément, elle présente les caractéristiques suivantes : ‘"(1) plusieurs types de ressources sont utilisés ; (2) le produit n'est pas la somme des outputs séparables de chaque ressource participant à la coopération ; (...) (3) toutes les ressources utilisées dans la production en équipe n'appartiennent pas à la même personne"’ (A. A. ALCHIAN, H. DEMSETZ 1972, p. 779).

Dans ces conditions, comment déterminer les produits et rendements individuels dans la firme (ou sur le marché) étant donné la non-séparabilité des contributions individuelles à l'output final, et en même temps comment dissuader les comportements "tire-au-flanc" ? L'équipe doit donc imaginer un système qui lui permette d'estimer au plus près les productivités individuelles, afin d'introduire un système de rémunération qui stimule un effort plus grand.

Quel type de production en équipe permettrait d'estimer les productivités individuelles : la firme ou le marché ? Selon les auteurs, la firme peut être substituée au marché quand elle offre une meilleure solution au problème de la mesure de la productivité individuelle du travail, ceci permettant ensuite d'introduire un mode de rétribution des facteurs qui favorise leur efficacité. Comme le soulignent les auteurs, elle n'est substituée au marché que ‘"(...) si la production en équipe permet un accroissement net de productivité, net du coût de mesure associé à la coordination de l'équipe"’ (A. A. ALCHIAN, H. DEMSETZ 1972, p. 780). Ces coûts sont relatifs à l'observation des performances individuelles. En fait, à la production en équipe dans la firme est associée un agent-coordinateur (ou observateur), un "moniteur" qui se spécialise dans le contrôle des performances des membres de l'équipe (moins coûteux qu'un contrôle par des procédures décentralisées régies par des relations d'échange marchand). Dès lors, la firme sera le mode d'allocation retenu, dans le cadre d'une production en équipe, car elle permet l'observation des comportements de chacun au travail (durée de pauses, flânerie, ardeur au travail, etc.) du fait de la présence d'un agent "contrôleur"202.

Les auteurs rajoutent une prescription : la nécessité pour le contrôleur d'être propriétaire de la firme203. S'il est simplement contrôleur (et pas propriétaire), il faudrait trouver un système pour le contrôler, car il n'y a aucune raison pour qu'il ne "tire pas au flanc" lui-même. Ainsi, avec un droit de propriété204, le contrôleur-propriétaire est plus directement intéressé par les résultats de l'entreprise, que s'il est simplement contrôleur. Autrement dit, le droit de propriété crée des incitations.

Pour que l'équipe soit efficace il faut donc un contrôleur, et il faut de plus que les membres de l'équipe mettent à sa disposition différents droits, et notamment le droit d'être le "créancier résiduel" et le droit de contrôle résiduel. Avec le droit d'être "créancier résiduel", le propriétaire est celui qui reçoit le rendement résiduel résultant de la production, c'est-à-dire une fois payé l'ensemble des dépenses, dettes et autres obligations contractuelles. Ce revenu net est défini comme le bénéfice résiduel, c'est le solde après le règlement de l'ensemble des charges à payer. Le propriétaire détient également un droit de contrôle résiduel, c'est-à-dire le droit de prendre des décisions sur l'utilisation de l'actif si celles-ci ne sont pas explicitement établies par la loi ou réservées à autrui par contrat. C'est l'association des bénéfices résiduels et du contrôle résiduel qui constitue le principal facteur de motivation de la propriété. Ces facteurs de motivation sont très importants, car, au moins dans des cas simples, le dirigeant supporte seul les retombées financières des décisions qu'il prend205.

Ainsi, la firme est un mode de coordination efficace d'une équipe si on lui associe un contrôleur et celui-ci ne peut assurer cette fonction que s'il est muni de certains droits, dont le droit de propriété de la firme. Le contrôleur se transforme en employeur, et le contrat ne le lie plus à un contractant quelconque mais à un employé.

Pour résumer, A. A. ALCHIAN, H. DEMSETZ (1972), sans ne reconnaître à la firme aucune spécificité par rapport au marché, développent une analyse de la production en équipe en s'interrogeant sur les modalités d'une gestion efficace d'une telle production. La firme, caractérisée par un travail en équipe, émerge comme un mode d'organisation potentiellement plus efficace que le marché, du fait de la présence d'un agent central. C'est donc davantage le mode d'organisation du travail en équipe que le contrat qui caractérise la firme. On retrouve ces idées dans le schéma suivant :

message URL SCH010.jpg

L'analyse de A. A. ALCHIAN et H. DEMSETZ (1972) nous semble intéressante pour comprendre comment s'opère la coordination d'individus dans la firme de conseil, pour deux raisons. D'une part, la condition nécessaire à l'existence de la firme (mais non suffisante) est que la production en équipe soit plus efficace que la production individuelle. C'est le cas pour des missions complexes qui relèvent de compétences variées où plusieurs consultants doivent intervenir : il y a bien travail en équipe et l'association de plusieurs compétences est plus efficace que des interventions dispersées de plusieurs consultants. D'autre part, le problème soulevé par A. A. ALCHIAN et H. DEMSETZ existe également dans une équipe de consultants : comment stimuler l'effort de chacun étant donné la non séparabilité des contributions individuelles à l'output final (la prestation de service) ?

Quand on essaie de transposer l'analyse de A. A. ALCHIAN et H. DEMSETZ aux activités de conseil en management, des difficultés apparaissent. En effet, le dirigeant d'un cabinet de conseil ne peut repérer les comportements "tire-au-flanc". L'association des fonctions propriété et contrôle, en théorie, devrait lui permettre d'atteindre l'efficience organisationnelle. Dans la pratique les choses sont totalement différentes étant donné qu'on est ici dans le cas de la production d'un service et non d'un bien. Autrement dit, on n'est pas en présence d'un processus de production bien délimité. Il s'agit d'une prestation de service qui s'obtient dans une relation de service entre consultant(s) et client(s) où les ressources mobilisées par les consultants sont "immatérielles" : savoir, savoir-faire, savoir-être, faire-savoir. Même si la firme est plus efficace que le marché, il sera difficile de connaître la contribution de chacun : comment savoir si un consultant a donné le meilleur de lui-même ? Cette question devient encore plus problématique si on considère que les prestations sont à chaque fois nouvelles et différentes, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de référence. Autrement dit, le dirigeant, même inséré dans une équipe, peut avoir des problèmes pour estimer les contributions de tous les membres, car leurs actions sont difficilement observables. Aussi, le contrôle direct n'est donc pas toujours évident et par conséquent la distinction des contributions individuelles est difficile. Ceci amène à dire que l'analyse de A. A. ALCHIAN et H. DEMSETZ peut s'appliquer à certains types de firmes (celles où les contributions individuelles sont observables) mais pas à toutes, et notamment elle est difficilement applicable aux activités de conseil. Aussi, cette analyse ne peut rendre compte de la spécificité du conseil.

Dans la transposition aux activités de conseil, une autre limite apparaît. En effet, il est délicat d'accepter la conclusion de l'analyse de A. A. ALCHIAN et H. DEMSETZ selon laquelle la firme est un mode de coordination potentiellement supérieur au marché du fait de la présence d'un agent central. Nombreux sont les cabinets qui collaborent avec d'autres sur des prestations qui nécessitent des compétences multiples. Des équipes éphémères apparaissent mais qui ne se structurent pas dans le cadre d'une firme. D'après la théorie du travail en équipe, pour que leur travail soit efficace, et les productivités individuelles soient stimulées, cette équipe devrait être coordonnée dans une firme et ce n'est pas ce que l'on peut observer dans la réalité. Il semble donc que le contrôle ne soit pas nécessaire pour stimuler les diverses parties, ou du moins que la motivation de chacun provienne d'autres facteurs206. Là encore cette critique nous montre que même si pour certaines activités l'analyse est pertinente, elle est inadéquate pour le cas des activités de conseil.

Cependant si le contrôle de chacun des membres de l'équipe est impossible, le contrôle du travail de l'équipe (prise dans sa totalité) est possible : par exemple, le dirigeant peut s'adresser au client pour savoir s'il est satisfait ; ou encore le fait de voir revenir le client (fidélisation) prouve qu'il est content du travail de l'équipe ; de même, la certification de l'activité qui implique à tous les consultants de suivre des procédures bien précises conduit le dirigeant à être relativement confiant quant au travail de ses consultants. Ainsi, même s'il est difficile pour le dirigeant d'exercer un contrôle sur le comportement des membres de l'équipe, la fonction contrôle n'est pas abandonnée pour autant, elle est effectuée par des tiers (clients, organismes de certification, etc.). On observe donc un partitionnement des droits, une forme de spécialisation : la propriété au dirigeant du cabinet (qui ne peut assumer rationnellement et sérieusement la fonction contrôle), le contrôle à des tiers. Aussi, dans le conseil en management, l'activité contrôle n'est pas absente, mais elle ne passe pas exclusivement par l'observation du comportement des membres de l'équipe, surtout quand les actions sont difficilement observables. Elle semble beaucoup plus complexe, plus indirecte d'autant plus que cette activité (le conseil en management) n'est pas régie par un ordre (activité non réglementée).

Nous venons de présenter l'analyse de A. A. ALCHIAN et H. DEMSETZ (1972) laquelle peut être considérée comme une version "basique" de la théorie des droits de propriété. En associant à la fonction de contrôle, un droit de propriété, les auteurs cherchent avant tout à démontrer la supériorité de la firme capitaliste dans la coordination interne. Comme on l'a montré, l'analyse de A. A. ALCHIAN et H. DEMSETZ est centrée sur un cas idéal, celui où il y a association des droits de propriété et de contrôle.

La théorie des droits de propriété va élargir la problématique de A. A. ALCHIAN et H. DEMSETZ en mettant l'accent sur la diversité de la répartition du capital dans la firme et sur l'importance d'une analyse de la séparation du droit de contrôle et du droit de propriété207. Dans ces conditions, la théorie des droits de propriété va s'orienter vers des formes institutionnelles plus complexes et s'attacher à expliquer pourquoi est choisie une certaine configuration des droits de propriété plutôt qu'une autre208. Elle va notamment s'intéresser à la grande firme moderne organisée en société par actions et dotée d'un appareil managérial complexe. Cet exemple est représentatif d'un modèle de coordination interne caractérisé par le partitionnement des droits de propriété dans le cadre d'un système de propriété privée des moyens de production (c'est-à-dire séparation droit de contrôle et droit de propriété). Cette organisation exploite la possibilité de partitionner et d'aliéner les droits de manière à permettre une spécialisation avantageuse entre ceux qui exercent le droit de prendre des décisions sur les usages des ressources et ceux qui en supportent les conséquences sur les valeurs de marché ou d'échange (qui assument les risques). En fait, il n'y a pas destruction de l'efficacité des droits de propriété privés, mais le partitionnement permet une spécialisation productive efficace, en utilisant les droits de propriété privés comme méthode de contrôle et de coordination.

Cet élargissement de la problématique de A. A. ALCHIAN et H. DEMSETZ permet de prendre en compte de multiples configurations de droits de propriété. Elle montre également que la délimitation et l'affectation les droits de propriété jouent sur la définition des formes organisationnelles, sur les comportements des membres de la firme et sur la coordination interne. La coordination efficiente sera celle susceptible de baisser le coût de détection des performances individuelles. Aussi, pour comprendre les ressorts de la coordination faut-il se plonger dans la configuration des droits de propriété. C'est finalement à cela que nous invite la théorie des droits de propriété et pour ce qui est des activités de conseil, nous allons voir comment certaines configurations visent à réduire les coûts de contrôle.

En ce qui concerne les cabinets de conseil (et mis à part les conseils indépendants), la structure de l'entreprise comporte généralement trois niveaux (D. MAISTER 1996)209 :

  • les consultants juniors ou les "bûcheurs" : ce sont les débutants, ils assurent le suivi technique des dossiers (collecte de données, analyse) ;

  • les gestionnaires ou les "ordonnateurs" ou les managers : ce sont des chefs de projets, ils supervisent au jour le jour et coordonnent les projets ;

  • les associés (directeurs-associés) ou les "défricheurs" ou les consultants seniors : ils se chargent des relations avec la clientèle et de définir la politique commerciale.

La plupart des sociétés de conseil disposent d'un système d'avancement rigoureux qui ne souffre d'aucune alternative : il faut progresser pour mériter une promotion et si l'on ne progresse pas il ne reste plus qu'à partir. ‘"Tout individu qui ne fait pas l'objet d'une promotion dans un laps de temps jugé raisonnable va tenter sa chance ailleurs, que ce soit de son propre chef ou sous l'amicale pression de la hiérarchie"’ (D. MAISTER 1996, p. 14). Aussi ce qui caractérise les sociétés de services "immatériels" parmi les autres types d'organisation, c'est l'aspiration de leurs membres d'accéder au bout d'un certain temps au statut d'associé, ou plus précisément de bénéficier par leur travail d'un droit de propriété sur l'entreprise. La nomination au titre d'associé s'accompagne de divers avantages :

  • l'intéressement aux résultats : les associés partagent les bénéfices nets ou les pertes enregistrées par l'entreprise, alors que les consultants sont rémunérés en honoraires ;

  • l'inamovibilité : sauf par vote exceptionnel de leurs pairs, les associés ne peuvent être démis de leur titre et de leur position ;

  • l'autonomie : personne ne juge le travail d'un associé, il a une autonomie totale de décision et d'action ;

  • la participation aux orientations stratégiques : il donne son avis sur la gestion de l'entreprise ;

  • les revenus : ils disposent de revenus plus élevés que les autres catégories de personnel, sorte de compensation financière de plusieurs années d'intense labeur ;

  • la position et la reconnaissance interne : le titre d'associé représente la consécration de l'individu considéré désormais comme un professionnel à part entière ;

  • le statut et la reconnaissance externe.

N'oublions pas qu'un associé est aussi consultant, c'est-à-dire qu'il détient un droit de propriété sur l'entreprise tout en étant producteur direct (mission), ce qui constitue une forte incitation pour l'associé à bien faire son travail (d'où stimulation de la productivité individuelle), mais aussi pour le simple consultant qui peut choisir de progresser pour mériter une promotion ou partir.

Cette remarque conduit aussi à souligner qu'avec cette configuration ou cette forme organisationnelle, il y a baisse du coût de détection des performances individuelles. En effet, le fait d'accéder à l'échelon d'associé et donc de partager les bénéfices nets, limite l'intérêt de disposer d'un agent contrôleur. De même, le développement (même limité du fait d'une fiscalité plutôt contraignante) des "stock option" ou des plans d'option sur actions rend la présence de l'agent contrôleur moins importante. Plus précisément, ces offres faites aux cadres d'une entreprise, d'acquérir à un prix préférentiel fixé d'avance, des actions de la société à une échéance déterminée, apparaissent comme un mécanisme de motivation et d'incitation très important sur les cadres, ce qui réduit par conséquent les coûts de contrôle.

Toutefois, même si la théorie des droits de propriété facilite une ouverture à la réflexion sur les configurations observées dans les activités de conseil, elle reste éloignée de ces activités-là. Le cas de la grande entreprise moderne organisée en société par actions et dotée d'un appareil managérial complexe fait apparaître des actionnaires et des managers qui ont des intérêts divergents ; il décrit donc une certaine configuration de droits de propriété qui va impliquer une certaine forme de coordination. Cependant, il nous semble que la coordination est aussi fonction de l'acte productif qui est éclipsé dans la théorie des droits de propriété. Dans le cas du conseil, au contraire, la production est centrale, et les propriétaires-associés sont physiquement très présents. L'associé n'est pas seulement propriétaire mais aussi producteur, ce qui limite d'autant les difficultés de contrôle. Finalement, le cabinet de conseil se structure de manière à fournir aux individus des incitations à créer, conserver et valoriser leurs actifs.

Il revient toutefois aux travaux se rattachant à la théorie de l'agence de tenter une analyse plus poussée des incitations liées aux systèmes de droits de propriété et par là, une démonstration des conditions de l'efficience des diverses formes organisationnelles.

Notes
200.

La "firme classique" est une organisation dans laquelle un dirigeant engage, renvoie et dirige des travailleurs percevant un salaire fixe, le dirigeant recevant les bénéfices résiduels (c'est-à-dire tout ce qui reste après règlement de l'ensemble des charges à payer).

201.

Le contrat codifie un travail en équipe, que celui-ci se manifeste sur le marché ou à l'intérieur d'une firme. Autrement dit, rien ne différencie les relations intra-firmes des relations qui se nouent sur un marché. Pour A. A. ALCHIAN et H. DEMSETZ (1972), la relation qui unit un épicier et son client est exactement la même que celle qui lie un employeur à son employé.

202.

Ce système de contrôle est efficace à partir du moment où le contrôleur est de bonne foi et que sa fonction de contrôle est élargie à la mesure des résultats de l'équipe en termes d'output, à la distribution des rémunérations, à l'observation du comportement des inputs pour estimer leur productivité, à l'assignation des tâches et à la remise des instructions sur l'exécution des tâches, à la possibilité de réviser ou résilier les contrats individuels des propriétaires d'inputs (mais il ne peut pas dissoudre l'équipe).

203.

Cette prescription se justifie par la volonté de reconnaître dans le modèle théorique de la firme classique, la firme capitaliste (réunion des fonctions de contrôle et de propriété).

204.

"Comme le souligne Pejovich, les droits de propriété ne sont pas des relations entre les hommes et les choses, mais des relations codifiées entre les individus qui ont rapport à l'usage des choses. (...) l'efficacité d'une coalition est liée à la répartition des droits de propriété entre ses membres. Un distribution optimale de ce droit permet de protéger chacun de l'opportunisme des autres, d'établir des règles de répartition du surplus et de garantir un haut niveau d'incitation à la coopération" (E. BROUSSEAU 1989, p. 147).

205.

"Lorsqu'un individu peut avoir à la fois le contrôle résiduel et recevoir les bénéfices résiduels, les décisions résiduelles tendront vers l'efficacité. En revanche, si le preneur de décisions ne reçoit qu'une partie des bénéfices engendrés par ses choix, ses intérêts ne reposeront que sur une partie de ces facteurs de motivation. Cela conduira à des décisions inefficaces" (P. MILGROM, J. ROBERTS 1997, pp. 379-380).

206.

Par exemple la motivation peut provenir d'une réputation acquise que l'on ne souhaite pas ternir (D. M. KREPS).

207.

Cette configuration des droits de propriété va influencer le comportement des membres de la firme d'où des divergences d'intérêt au sein de la firme : l'objectif des actionnaires est la maximisation de la valeur de leurs actions, ils ont un droit de propriété sur les actifs de la firme ne s'accompagnant plus d'un contrôle total des pratiques des dirigeants ; ces derniers de leur côté ont des intérêts différents, comme la maximisation de leur rémunération, la progression de leur carrière.... La coordination interne sera d'autant plus efficace qu'elle va permettre d'atténuer ces divergences.

208.

La théorie des droits de propriété a notamment été confrontée aux thèses de A. A. BERLE et G. C. MEANS pour lesquels se serait imposée une forme institutionnelle, qui par la séparation entre propriété et contrôle, réduirait l'efficacité du capitalisme et ne répondrait pas aux critères d'efficience néoclassique (l'objectif des managers n'est pas la maximisation du profit et ne conduit pas à la maximisation de la valeur de marché des actions), de plus cette forme mettrait en cause la prééminence des principes de la propriété privée.

Pour les tenants de la théorie des droits de propriété, soit on reconnaît qu'en séparant propriété et gestion, c'est-à-dire droit au revenu résiduel et droit au contrôle résiduel, il y a perte d'efficience. Soit on soutient, et c'est l'orientation choisie par les tenants de la théorie des droits de propriété, que l'organisation de la société par actions ne remet pas en cause les principes de la propriété privée et si elle s'est imposée comme forme contractuelle librement choisie, c'est parce qu'elle s'est révélée, face à de nouvelles contraintes technologiques, la forme la plus efficiente (B. CORIAT et O. WEINSTEIN 1995). Aussi, la grande entreprise moderne est bien une forme d'organisation efficiente, et même la forme d'organisation la plus efficiente pour exploiter les gains potentiels de la spécialisation à grande échelle et de la "surveillance" ("monitoring") des équipes de grande taille (M. RICKETTS 1987).

209.

Le personnel sera affecté en fonction des compétences nécessaires à la réalisation des tâches (D. MAISTER 1996).

Pour un contrat qui fait appel à la créativité et à l'expertise, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit d'un cas très spécifique, la direction choisira d'affecter des professionnels de haut niveau, surtout des gestionnaires et des seniors et relativement peu de juniors.

Pour un contrat qui fait appel à l'expérience (ici le problème à résoudre offre des analogies avec des missions précédentes), ce sont les juniors qui se verront attribuer les tâches dans la mesure où elles sont connues d'avance, mais ils restent sous la houlette des gestionnaires.

Pour un contrat qui fait appel à la mise en oeuvre de procédure de routine (le conseil vend un processus), on retrouve des juniors dans une forte proportion.