b - La théorie de l'agence

La théorie de l'agence s'intéresse à la mise au point de contrats bilatéraux destinés à résoudre de nombreux problèmes de coordination se posant entre un individu (le principal) et un autre (l'agent), sur le marché ou dans l'organisation, lorsque :

La théorie de l'agence adhère à une hypothèse d'imperfection de l'information et met en évidence la divergence d'intérêts qui se manifeste entre les membres de la firme. L'introduction du comportement des membres de la firme remet en question l'objectif unique de maximisation du profit et permet d'envisager la possibilité qu'existent pour une même firme différents objectifs reflétant les intérêts divergents des parties en présence.

Le postulat de la théorie de l'agence est que toute relation contractuelle est une relation d'agence : ‘"Nous définissons une relation d'agence comme un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engagent une autre personne (l'agent) pour exécuter en son nom une tâche quelconque qui implique une délégation d'un certain pouvoir de décision à l'agent"’ (M. C. JENSEN, W. H. MECKLING 1976, p. 312). Cette relation d'agence traduit une situation de dépendance entre deux agents : la situation d'un agent dépend de l'action d'un autre agent, c'est-à-dire qu'un individu agit sous la direction d'un autre qui subit. La théorie de l'agence va s'intéresser aux relations principal-agent211   212(P. MILGROM, J. ROBERTS 1997).

Dans le modèle néoclassique traditionnel, les agents prennent des décisions compatibles et parviennent à un équilibre grâce à un vecteur de prix (commissaire priseur). Mais, quand le système des prix est imparfait (qu'il ne résume pas toute l'information), les agents vont devoir consacrer une partie de leurs ressources à échanger213.

L'exposé des problèmes rencontrés par les agents est en quelque sorte un point de départ vers de nouveaux problèmes de coordination à partir du moment où les hypothèses deviennent plus réalistes. Deux raffinements sont proposés :

- une nouvelle source de coût peut apparaître, elle est liée au risque : entre la décision et l'échange effectif, le temps passe et des événements intentionnels ou accidentels peuvent survenir. On est dans une situation d'action cachée ex post : le principal ne peut observer sans erreur l'action (ou l'effort) de l'agent, alors que ce dernier connaît la nature de son action (ou de son effort). Dès lors il faut prévoir des ressources pour permettre l'exécution des contrats. Quand ce risque est d'origine intentionnel, on parle de "risque moral" ou d'"aléa moral" ou encore de "passager clandestin"214 ;

- une autre source de coût survient, relative au problème d'"anti-sélection" relevée par G. A. AKERLOF (1970), qui apparaît quand un individu informé traite avec un autre qui ne l'est pas, le second ne connaît pas les caractéristiques du bien (ou service), éventuellement échangé (ou promis). On est dans une situation d'information cachée ex ante : le principal reçoit l'information de l'agent mais il ne sait pas si elle est appropriée aux circonstances ; l'agent observe la réalisation de l'état de la nature après la signature du contrat, mais avant de choisir son action (ou son niveau d'effort). Ainsi les asymétries informationnelles dans le rapport offre/demande conduisent à des effets pervers215 216. Des ressources sont donc dépensées pour s'informer sur la vraie qualité des biens.

La théorie de l'agence reste attachée à une problématique relative à la définition de contrats efficients, de sorte que l'agent soit incité à avoir un comportement favorisant les intérêts du principal217. Autrement dit, étant donné l'avantage informationnel de l'agent et la divergence d'intérêts entre principal et agent, il s'agit de définir un système d'incitation (au bénéfice de l'agent) qui préserve la maximisation de la fonction d'utilité du principal. ‘"Le principal peut limiter les divergences d'intérêts en proposant un système d'incitations approprié pour l'agent ainsi que des moyens de surveillance visant à limiter les comportements aberrants des gens."’ (M. C. JENSEN et W. H. MECKLING 1976, p. 312).

On l'a déjà dit, la mise en place d'un tel système de contrôle et d'incitation fait apparaître des coûts appelés "coûts d'agence". La forme organisationnelle qui s'impose est celle qui assure la survie de la firme par la minimisation de ces coûts d'agence.

La théorie de l'agence propose alors une analyse des modalités de réduction de ces coûts d'agence par la définition de contrats efficients ex ante. La vocation du contrat est de spécifier les droits de chaque agent au sein de la firme, les critères de performance sur lesquels chacun est jugé et les rémunérations auxquelles ils peuvent prétendre (E. F. FAMA et M. C. JENSEN 1983). La passation d'un contrat doit permettre de limiter les risques encourus par chaque membre apporteur de capital (humain ou financier).

Pour résumer, le problème soulevé par la théorie de l'agence est relatif à la nécessaire délégation du pouvoir au sein de l'entreprise dès lors que le propriétaire n'est plus le seul apporteur de capitaux, ni le seul à prendre les décisions de gestion. L'entreprise efficiente sera celle qui, grâce à la spécification des pouvoirs centraux (propriété, management et contrôle) et grâce à des incitations adéquates (rétributions en fonction de l'intérêt même du principal ou mandant) parviendra à minimiser les coûts d'agence. Cette perspective a fortement contribué à l'approfondissement de l'analyse des relations entre apporteurs de capitaux et entreprises.

La théorie de l'agence, à la différence de la théorie des droits de propriété, met très largement l'accent sur les contrats. Ces derniers sont vus comme un moyen de coordination permettant d'atténuer les divergences d'intérêt entre les membres de la firme. Cette théorie a également fortement contribué à l'approfondissement de l'analyse des relations de dépendance entre deux agents (la situation d'un agent dépend de l'action d'un autre).

Lorsque l'on s'intéresse aux activités de conseil en management, on peut repérer a priori un certain nombre de relation principal-agent dans le cabinet de conseil : entre les associés (principal) et les gestionnaires (agent), entre les associés (principal) et les juniors (agent), ou encore, entre les gestionnaires (principal) et les juniors (agent).

Des problèmes de coordination surviennent car :

Des questions émergent du côté des dirigeants : Les consultants font-ils un travail satisfaisant totalement le client ? Font-ils des efforts pour insérer au maximum le client dans la relation, pour lui donner pleine satisfaction ? Cherchent-ils à améliorer la réputation de l'entreprise ou cherchent-ils à bénéficier d'une solide expérience avant de partir dans une autre entreprise ? S'investissent-ils dans de nouvelles expertises ou plutôt vivent-ils sur leurs acquis ? Ici, le dirigeant d'une entreprise de service ne peut observer sans erreur l'action de l'un de ses consultants puisque, ni le travail, ni les résultats ne sont a priori observables. Il y a donc "aléa moral".

On retrouve également le problème de "sélection adverse", car il est difficile d'appréhender ex ante, par exemple lors d'un recrutement, les capacités du consultant. Sur le marché de l'emploi on retrouve de "bons" et de "moins bons" consultants. Le recruteur devra détecter les meilleurs éléments, déceler les potentialités de l'individu. Le problème provient du fait qu'il reçoit des informations des candidats mais il ne sait pas si elles sont appropriées aux circonstances, d'où des asymétries informationnelles dans le rapport offre/demande. Aussi, comme le souligne D. MAISTER (1996, p. 14), ‘"Les tests de sélection et les entretiens ne permettent pas toujours de séparer le bon grain de l'ivraie au moment de l'embauche. Il importe de disposer d'un moyen susceptible de déceler les éléments prometteurs"’.

Un des éléments de réponse des cabinets de conseil au problème de la "sélection adverse" a été donné au travers du système junior, senior, associé. En effet, l'individu qui ne grimpe pas les échelons est dans l'obligation de quitter l'entreprise. Aussi, l'agent "pas très bon" n'a aucun intérêt à rentrer dans l'entreprise car il sera viré. C'est également un moyen de freiner l'"aléa moral" : le plan de carrière proposé incite les individus à donner le meilleur d'eux-mêmes.

Toutes ces incertitudes "internes" concernant les acteurs de la relation vis-à-vis de la contribution "réelle" de l'autre et vis-à-vis des effets obtenus, sont reprises dans le tableau récapitulatif suivant, construit par J. GADREY (1994 b).

Tableau : Contrats et relations de travail salarié
A directement impliqués et type de contrat signé E = employeur ; s = salarié (ou collectif de salariés)
Hypothèse de contrat signé avant le déroulement du procès
de travail, fixant la rémunération et supposant en échange un certain engagement au travail (effort) de la part du salarié.
Incertitudes principales Incertitudes de E concernant, d'une part (incertitude interne à la relation salariale), la qualité et la quantité de travail qu'il obtiendra effectivement de s (s détenant des informations, non connues de E, sur ses propres capacités, et sur son degré d'engagement dans le travail) et, d'autre part (incertitude externe à la relation salariale) les aléas de l'environnement économique (demande, concurrence, etc.) au cours de la période suivant la signature du contrat de travail (ou son renouvellement). L'incertitude interne à la relation salariale est le fait d'une situation d'asymétrie informationnelle où le salarié peut cacher l'importance de sa contribution alors que sa rétribution est parfaitement connue : c'est lui qui détient l'avantage informationnel sur ce point.
Secondaires Incertitudes de s concernant la valeur réelle de son apport (le montant de sa contribution) aux résultats de l'entreprise (chiffre d'affaires, valeur ajoutée, marges), par ailleurs fonction d'un environnement que s connaît moins bien que E.
Conséquences
(rationalité optimisatrice individuelle et comportements non coopératifs)
Pour optimiser le rapport salaire/effort, s a intérêt, puisque le salaire est fixé, à limiter son effort et son implication (sans faire apparaître ce comportement aux yeux de E), et à ne pas dévoiler toute l'étendue de ses capacités productives réelles. E a intérêt à minimiser le salaire versé, à s'en tenir au salaire plancher.
La solution du contrôle renforcé E peut tenter, sans prévoir d'incitation salariale, de mieux contrôler la quantité et la qualité de l'engagement au travail de s (organisation "scientifique" du travail, surveillance renforcée...). Mais cette solution est coûteuse, son efficacité est réduite lorsqu'il s'agit de tâches complexes se prêtant mal à la standardisation et au contrôle opérationnel, et elle peut même avoir des effets désincitatifs.
Incitations et coopérations, recherche d'efficience et ses limites Un "jeu" coopératif (initialement fondé sur un pari) peut être expérimenté sur la base d'un contrat (en partie explicite, en partie implicite -l'approche économique des contrats devrait logiquement être limitée aux contrats explicites. Avec les contrats "implicites" on entre déjà dans le domaine des conventions, c'est-à-dire des attentes réciproques tacites-) où chacun accepte d'élever sa contribution en direction de l'autre : progression du salaire versé en échange d'un engagement d'effort plus important. Cela suppose que chacun y trouve intérêt et que, le jeu étant renouvelable, chacun puisse vérifier périodiquement le respect des règles. Tel est par exemple le cas lorsqu'existe un "marché interne" du travail où ancienneté et expérience jouent en faveur de rémunérations et de promotions réservées aux salariés internes. E peut en attendre une meilleure implication des salariés, une réduction du turn-over et des coûts de formation, etc. Un autre exemple est fourni par les politiques salariales de primes et de participation aux bénéfices, pour autant que s puisse établir un lien entre son degré d'implication et sa rémunération. Cette progression simultanée des contributions et rétributions a évidemment des limites (E ne peut laisser les coûts salariaux s'envoler, s ne peut pas ou ne veut pas dépasser certains niveaux d'effort). On peut formaliser ces stratégies comme la recherche d'un équilibre, définissant un "salaire d'efficience".
[Note: Source : J. GADREY 1994 b, p. 137.]

Bien que sur beaucoup d'aspects (problème de coordination, relation principal-agent, hypothèses retenues, etc.), la théorie de l'agence aide à avancer un peu plus dans notre questionnement sur les mécanismes de coordination de la firme, certaines de ces conclusions sont à relativiser. Les critiques, adressées à la théorie de l'agence, sont relatives soit aux coûts d'agence, soit aux contrats, soit à la conception de l'organisation, soit à la concurrence ; en voici quelques-unes.

La théorie de l'agence apparaît trop éloignée de la réalité, dans la mesure où certaines variables, et notamment les coûts d'agence ne sont pas observables. En effet, elle nous parle de contrats qui sont mis en place pour faciliter la coordination interindividuelle, pour limiter les coûts de coordination (appelés encore "coûts d'agence"). Ces derniers sont évalués en fonction d'une situation idéale (information parfaite, avenir certain) dans laquelle il n'y aurait pas de coût de coordination. Mais comment procéder à une bonne évaluation quand le système de prix n'est pas parfait et quand les caractéristiques de l'univers économique idéal (sans coût de coordination) sont difficilement imaginables par les individus.

D'après la théorie, les contrats permettraient de résoudre les problèmes d'"aléa moral" ou de "sélection adverse" qui bloquent les échanges. Mais on ne sait ni dans quel cadre, ni comment se négocient les contrats218. Selon la théorie, un équilibre serait possible, des contrats optimaux existeraient. Mais comment les agents doivent-ils s'organiser pour atteindre ce résultat ? La théorie ne nous le dit pas.

Selon la théorie de l'agence, l'impératif d'efficience interne est fonction de la minimisation des coûts d'agence et des coûts de production. La théorie insiste principalement sur la minimisation des coûts d'agence, la minimisation des coûts de production n'aurait pas d'influence directe sur la détermination du mode de coordination interne. Cette vision, signifiant qu'à partir du moment où les coûts d'agence sont minimisés, au travers de contrats efficients (c'est-à-dire que la coordination interne est efficiente), la compétitivité de la firme est assurée (mais sur le court terme, sur le long terme ?) ne nous satisfait pas. Une "bonne" coordination interne ne garantit pas la viabilité de la firme. Il faut tenir compte des impacts de l'environnement (concurrence, exigences des clients, etc.) sur l'organisation et notamment sur la coordination interne. Nous pensons qu'il y a un processus de co-évolution entre l'entreprise et son environnement. Pour être performante, l'entreprise doit miser sur une coordination interne efficiente, mais également elle doit être suffisamment ouverte pour recevoir les impulsions de l'environnement, cela lui permettra de proposer une offre en adéquation avec les besoins des clients. Les coûts d'agence doivent être minimisés mais il faudrait leur rajouter des coûts liés à l'"adéquation avec l'environnement" dont il faut tenir compte pour une analyse plus réaliste de l'organisation interne, c'est-à-dire les efforts faits par l'entreprise pour constituer et développer le marché.

Après l'énumération de quelques critiques on s'aperçoit des limites de la théorie de l'agence dans l'analyse de la coordination interne. Ces limites sont encore plus prononcées quand il s'agit de cabinets de conseil. En effet, le consultant (gestionnaire ou junior) n'est pas le seul producteur, et l'associé celui qui attend les résultats. L'idée suivante : le fait que le principal compte sur l'agent pour faire fructifier ses capitaux, nous dérange dans la mesure où il n'y en a pas un qui agit (l'agent) et l'autre qui subit (le principal). Au contraire, le principal (l'associé par exemple) agit également, il est producteur, il participe aux missions ce qui peut inciter le consultant à faire de son mieux lorsqu'ils travaillent ensemble. Le rôle actif du principal (associé) dans la relation de service conduit alors à une baisse des coûts d'agence. Certes, dans toutes les entreprises, les détenteurs de droits de propriété (actionnaires) ne sont pas toujours actifs, mais dans le cas de cabinets de conseil, ils le sont forcément, d'où les difficultés de la théorie de l'agence pour rendre compte des spécificités de la firme de conseil.

Notes
210.

Ce point apparaît beaucoup plus crédible par rapport aux activités de conseil en management, en effet les actions des consultants sont difficilement observables.

211.

Cette relation d'agence est, au départ, utilisée dans le domaine des assurances (K. J. ARROW 1971). Le principal est l'assureur, l'agent l'assuré. Des problèmes de coordination surviennent car l'assuré peut choisir parmi plusieurs comportements, celui retenu affectera son bien-être mais également celui de l'assureur, et il est difficile de contrôler les actions de l'assuré.

Cette relation d'agence est néanmoins très répandue : le médecin est l'agent du patient -le malade (principal) compte sur le médecin (agent) pour le soigner- ; le gestionnaire est l'agent de l'actionnaire -l'actionnaire (principal) compte sur le gestionnaire (agent) pour faire fructifier ses capitaux- ; le PDG est l'agent du propriétaire -le propriétaire (principal) compte sur le dirigeant (agent) pour que l'entreprise soit performante et se développe-...

212.

Le problème de l'agence a été analysé au travers de deux catégories de travaux :

- la théorie positive de l'agence s'intéresse aux mécanismes réellement mis en oeuvre par les agents économiques quand ils sont confrontés à des relations d'agence ;

- la théorie normative étudie la nature des contrats pareto-optimaux entre individus disposant de stocks d'informations et de préférences différents, le tout dans un univers plus ou moins stochastique. Les exigences de modélisation impliquent de retenir des hypothèses assez restrictives.

Notre présentation s'inscrit plus particulièrement dans le cadre de l'approche positive, en raison de sa plus grande aptitude à proposer une analyse des formes de coordination interne.

213.

L'échange a donc un coût qu'il va falloir minimiser. Le coût correspond d'une part aux ressources dépensées pour retirer de l'information sur les coéchangistes (dépenses en terme de temps, transport, communication, etc.), d'autre part aux ressources dépensées pour atteindre l'équilibre, "(...) munis de ces informations, les agents procèdent à des échanges, soit fictifs, soit réels, qui ne correspondent pas aux vrais prix, c'est-à-dire au vecteur de prix garantissant un optimum. Ces premiers échanges à «prix faux» les conduisent à réviser leurs plans et le système devrait converger vers un équilibre, s'il existe." (E. BROUSSEAU 1993, p. 13).

214.

Le problème à résoudre connu sous le nom d'"aléa moral" apparaît quand l'agent et le principal ont des objectifs individuels différents et que le principal ne peut pas déterminer aisément si l'agent s'est comporté et a agit en fonction des objectifs fixés ou cherche à servir ses propres intérêts (P. MILGROM, J. ROBERTS 1997).

Par exemple, l'agent sera tenté d'entreprendre une action inefficace ou de fournir une information inexacte, parce que ses intérêts individuels ne sont pas compatibles avec les intérêts collectifs, et parce que les actions entreprises ne peuvent être contrôlées. Ainsi les agents sont tentés de ne pas respecter un contrat si cela leur permet d'améliorer leur situation personnelle. La théorie de l'agence emploie le terme d'opportuniste pour qualifier ces agents, suffisamment rationnels, pour exploiter les défauts des arrangements contractuels établis.

Dans tous les cas, ceux qui prennent des décisions ne prennent pas en considération tous les gains et les coûts découlant de leurs choix : le médecin qui prescrit une longue liste d'examens ne subit ni les coûts, ni les désagréments de ces examens ; de même, les employés sont payés quel que soit le travail qu'ils fournissent, leur salaire n'est pas amputé du montant de la valeur perdue relative à leur manque de zèle (dans le cas où ni le travail, ni les résultats ne sont contrôlables).

En raison des difficultés de contrôle, il est parfois impossible de faire supporter les coûts des abus par ceux qui en sont responsables. Par exemple, le dirigeant d'une entreprise peut difficilement savoir si son employé donne le meilleur de lui-même ; F. TAYLOR (1911) avait repéré ce problème : "Il n'est pas rare qu'un ouvrier compétent découvre, en peu de temps, comment travailler moins tout en donnant l'impression à son employeur qu'il travaille beaucoup."

Dans le cas des assurances (K. J. ARROW 1971) où le problème du risque moral se manifeste (plus l'assurance garantit une couverture complète d'un sinistre, moins l'incitation à éviter l'événement défavorable est grande), des tarifs permettent d'encourager les comportements les plus loyaux : le principes du "bonus-malus" s'inspire de cette logique de réduction du risque moral.

215.

K. J. ARROW (1971) montre que lorsque une assurance accroît ses primes pour sélectionner ses clients, elle risque de n'avoir que ceux qui ont les plus fortes probabilités d'avoir un sinistre. On dit alors que les agents à haut risque chassent les agents à faible risque. La solution consiste à moduler les tarifs afin d'éviter la "sélection adverse" et la disparition de l'activité d'assurance qui résulterait de l'assurance des seuls agents, ou biens, à haut risque.

216.

G. A. AKERLOF (1970) analyse un marché de voitures d'occasion -les "Lemons", expression américaine qui désigne les mauvais véhicules- sur lequel la véritable qualité des voitures n'est pas observable par les acheteurs (s'agit-il oui ou non d'un "citron" ?). Sur ce marché, les bonnes et les mauvaises voitures d'occasion sont vendues au même prix. Les vendeurs, qui sont seuls à connaître la qualité exacte des véhicules, vont naturellement mettre en vente tous les biens de qualité inférieure au prix du marché, aussi, les propriétaires de bonnes voitures, considérant que le marché des voitures d'occasion sous-estime la valeur de leur bien, préféreront conserver leur véhicule. L'acheteur achète tant qu'il juge que la qualité moyenne des biens est égale au prix du marché. Les plans des acheteurs et des vendeurs sont opposés. Les "mauvais" véhicules d'occasion chassent les "bons". Par conséquent, des ressources doivent être dépensées pour permettre aux agents de s'informer sur la vraie qualité des biens (contrôle technique par exemple).

217.

"Ainsi, lorsque les théoriciens des contrats prennent pour référence une économie d'allocation de ressources, ils s'intéressent à la manière dont les agents trouvent des solutions minimisant les dépenses nécessaires pour échanger les informations indispensables à la transaction, converger vers un équilibre, garantir la réalisation des promesses et, enfin, surmonter la défiance résultant des asymétries informationnelles." (E. BROUSSEAU 1993, p.15).

218.

Comme le souligne E. BROUSSEAU (1993, p. 63) "(...) la plupart des théories des contrats ne nous disent pas comment se résolvent ces mêmes problèmes d'asymétrie sur le méta-marché des contrats."