Conclusion 2

Les travaux présentés dans ce paragraphe (analyses de R. H. COASE et O. E. WILLIAMSON) apportent une justification de l'existence de la firme, cela dit cette justification est beaucoup plus construite, solide dans les travaux de O. E. WILLIAMSON (réflexion sur la nature et l'origine des coûts de transaction, réflexion sur l'impact des actifs spécifiques et de l'opportunisme des agents) que dans ceux de R. H. COASE.

La théorie des coûts de transaction se distingue de la vision contractuelle de la firme (théorie de l'agence) par l'importance qu'elle donne au processus intertemporel de déroulement des relations contractuelles, notamment à l'opportunisme post contractuel chez O. E. WILLIAMSON ; c'est un premier pas vers des analyses plus dynamiques.

A l'issue de ces analyses (de R. H. COASE et O. E. WILLIAMSON), on a l'impression que dans le système de production il y a d'un côté la firme et de l'autre le marché. Il nous semble au contraire que les deux se complètent et interagissent, d'une part, firme et marché interagissent du fait de l'importance des sous-traitants dans les processus de production, les partenaires travaillent ensemble mais cela n'empêche pas des formes de mise en concurrence et de sélection ; d'autre part, firme et marché interagissent quand les lois du marché sont requises au sein même de l'organisation pour dynamiser des relations ou des transactions internes (relations clients-fournisseurs entre unités internes, sur le modèle des mécanismes de marché, avec possibilité ou non de recourir à des prestations externes quand celles fournies par les services internes ne sont pas satisfaisantes).

Reste que, comme avec la théorie des contrats, les travaux s'inscrivent toujours dans une perspective d'allocation de ressources : on a toujours une théorie de la firme fondée sur les problèmes d'échange et non de production237, où il s'agit de trouver les moyens de supprimer les négociations (E. BROUSSEAU 1993). La firme est donc toujours vue comme un espace de coordination et de résolution de conflits (pas d'accumulation de compétences, pas de création de richesses). Ce qui fait défaut c'est le volet production, le contenu même des produits (ou plutôt des prestations dans le cas du conseil) et c'est ce qui devrait être privilégié si l'on veut mieux comprendre les mécanismes de coordination dans les activités de conseil.

Dans le prochain paragraphe nous allons aborder la dimension coopération laquelle apparaissait déjà dans les travaux de O. E. WILLIAMSON. La coopération est alors considérée comme un principe d'efficacité dans le cas de la coordination interne d'une hiérarchie complexe. En effet, au fur et à mesure que la firme se développe, les domaines d'application de l'autorité se multiplient et la hiérarchie se complexifie. Le développement de la firme associé à la rationalité limitée et à l'opportunisme accentue donc le problème de contrôle et réduit la capacité des niveaux supérieurs de la hiérarchie à obtenir et traiter l'information, à contrôler les subordonnés et à mettre en oeuvre les décisions. ‘"Lorsque la spécificité des actifs croît, avec le changement de taille et la diversification des activités productives, multipliant les sources de non observabilité, il n'y a donc d'autres choix que de multiplier les niveaux hiérarchiques. La complexification hiérarchique (...) permet de rendre le processus décisionnel plus efficace et de stimuler l'implication des niveaux inférieurs de la hiérarchie"’ (C. MENARD 1994, p. 25). Cette implication des acteurs au sein de la hiérarchie permet d'introduire la "coopération" comme principe d'efficacité de la coordination interne des hiérarchies complexes. Il existe donc un couplage entre les capacités discrétionnaires de la hiérarchie et un principe de coopération.

Toutefois, une certaine ambiguïté théorique ressort du fait d'une coexistence "forcée" entre une hypothèse relative à l'opportunisme des agents, et la volonté, dans un souci de réalisme sans doute, d'introduire l'idée d'une certaine coopération entre ces mêmes agents. Le raisonnement de O. E. WILLIAMSON sur la coordination intra-firme se trouve ainsi lié à cette hypothèse sur l'opportunisme des agents, et il a par la suite du mal à théoriser un autre comportement représentatif de certaines relations internes, à savoir le comportement coopératif.

Notes
237.

De même, rien n'est dit sur la dynamique technologique ; la technologie et son évolution sont données, la technologie comme facteur explicatif de l'organisation est considérée comme "à peine déterminante" (O. E. WILLIAMSON 1975, p. 2). "(...) l'impasse ainsi faite par O. E. WILLIAMSON sur les déterminants technologiques nuit à son approche" (J. ARROUS 1983, p. 52). Pour appuyer cette idée J. ARROUS (1983) utilise un exemple : la Régie Renault a sous-traité le traitement anti-corrosion des tôles de ses automobiles, alors qu'elle a confié la construction des robots à une filiale. O. E. WILLIAMSON considérerait que cette différence de traitement est liée aux conséquences pour Renault du comportement "opportuniste" de la firme à laquelle est confiée l'une ou l'autre de ces activités, sachant que l'organisation interne réduit précisément l'incitation à un comportement "opportuniste". Pour J. ARROUS (1983), il est impossible d'établir de distinction entre les transactions opérées dans les deux cas, si l'on ne s'intéresse pas à la nature des activités correspondantes. Dans le premier cas, il s'agit d'une "activité" largement diffusée ; dans le second cas, s'agissant d'une activité vitale pour l'entreprise dans un contexte de concurrence forte (il y a donc actif spécifique), c'est la forme de filiale des relations de coopération qui a été choisie, car elle renferme moins de risque de comportement "opportuniste". Par cet exemple, J. ARROUS (1983) veut montrer que l'étude des activités et l'analyse "transactionnelle" ne peuvent être dissociées.