Conclusion B

Par rapport à toutes les théories passées en revue dans cette sous-section, on remarque tout d'abord que la firme prend de plus en plus d'épaisseur. Cela est dû au fait que les théories s'intéressent davantage au fonctionnement de la firme et plus simplement aux questions d'émergence de la firme267. Ensuite, on a pu observer un changement dans les comportements des individus : ils cherchent plus à coopérer, car le surplus à partager (rente organisationnelle) est plus important quand les individus coopèrent que lorsqu'ils sont opportunistes ; la firme devient alors un lieu de coopérations et non plus uniquement un lieu de conflits. De plus, les aspects dynamiques complètement éludés dans les premières théories, sont réintégrés par la suite et permettent alors de saisir des phénomènes tels que l'apprentissage, la construction de la réputation, des repères collectifs... Enfin, petit à petit la firme devient un lieu de création de ressources et non plus seulement un lieu d'allocation de ressources (à la problématique de l'échange succède la problématique de la production).

En ce qui concerne notre objet, la coordination, nous avons pu mettre en lumière divers dispositifs de coordination, d'abord des dispositifs plutôt visibles, tels que les contrôles, les contrats, l'autorité, ensuite des dispositifs moins visibles tels que les innovations organisationnelles, la réputation, la culture d'entreprise, les conventions, les "repères collectifs", les routines... Chacune des théories questionnées s'attachait à souligner un mécanisme particulier, mais bien évidemment, il serait réducteur de les considérer indépendamment les uns des autres, au contraire ils sont tous des modalités de perfectionnement des capacités de coordination des décisions individuelles, ils participent tous à la coordination intrafirme. Les dispositifs que nous avons qualifiés d'indirects viennent en compléments des (ou se substituent aux) dispositifs directs, ceux-ci n'étant pas toujours applicables. En effet, il n'est pas toujours possible pour une entreprise (un cabinet) de contrôler le travail de ses membres, de mesurer leurs contributions individuelles... Aussi d'autres mécanismes sont imaginés pour assurer la coordination. Dans la réalité, c'est une combinaison de ces divers mécanismes qui assure la coordination des individus dans les entreprises. Ce sont donc les interdépendances entre les différentes formes de coordination qui permettent de mieux saisir les jeux dynamiques dont elles sont porteuses.

Cependant, d'une manière générale, toutes les théories de la firme passées en revue sont dans l'incapacité d'apporter des éléments de réponse clairs quant à nos interrogations relatives à la coordination dans la firme de conseil. En d'autres termes, elles rencontrent des difficultés dans la prise en compte de la spécificité du conseil, notamment quand il s'agit de tenir compte du client (et plus généralement de l'environnement) et de son impact sur la coordination interne, de même quand il s'agit d'expliquer la transformation des informations en connaissances, et enfin quand il s'agit d'évaluer les contributions individuelles de chacun des membres du cabinet.

Notes
267.

Certains s'attachent notamment à lier économie des coûts de transaction et théorie évolutionniste ; c'est le cas notamment des travaux de N. J. FOSS (1994), R. N. LANGLOIS (1992) et P. STEMPERT (1996). Pour ces auteurs, cette perspective permet de mettre en évidence de nouveaux coûts de transaction, des coûts de transaction dynamiques, où la firme est présentée à partir de deux niveaux d'évolution (micro et macro) et de leurs arrangements. Macro évolution -économie des coûts de transaction- (c'est-à-dire changements dans la forme et la structure de la firme) et micro évolution -théorie évolutionniste- (c'est-à-dire petites évolutions qui résultent d'une modification d'un système d'informations et/ou de connaissances) sont prises en compte pour souligner la dynamique de l'organisation. La firme est alors un monde de transactions et un univers d'accumulation de connaissances et de création de richesses. L'intérêt de cette approche est de souligner les interactions entre apprentissages, développements des connaissances et effets sur la structure de la firme. Les firmes ne sont pas seulement des entités contractuelles, elles sont aussi des entités qui apprennent, comme le dit N. J. FOSS (1994, p. 22) "(...) firms are not only different in terms of their contractual set-ups, but also in terms of what they are able to do in production, and in terms of how well they learn". Ainsi, les capacités d'apprentissage et les compétences se retrouveraient au coeur de l'arbitrage entre le marché et la hiérarchie.