La théorie des contrats conduit à mettre l'accent non plus exclusivement sur les coûts de transaction, mais sur les contrats comme mode de coordination efficient des relations économiques. Avec l'approche de J. GADREY (1994 b), les contrats deviennent aussi des modes de développement des relations économiques.
Dans le cadre d'une approche contractuelle, les acteurs de la prestation sont des agents se livrant à des arbitrages ou à des jeux économiques rationnels. A priori, le fait que la relation de service implique à la fois le prestataire et le client peut poser des problèmes dans la distinction des contributions respectives des acteurs. Cependant, selon J. GADREY (1994 b), le concept de contrat permet de dépasser cette limite, sous certaines conditions (cf. ci-après). En effet, à partir du moment où il spécifie les contributions respectives et les résultats attendus, il sert de point de repère et les différends se régleront en référence à ce dernier, en termes de conformité quantitative, qualitative et de prix. Le "produit" correspond alors à ‘"(...) l'ensemble des services rendus selon les clauses du contrat"’ (J. GADREY 1994 b, p. 135). L'offre et la demande porteront alors sur des contrats et elles en détermineront conjointement le prix.
Toutefois, comme le précise J. GADREY (1994 b), pour que l'on puisse fonder une analyse économique du produit et du marché sur une telle approche, il faut que soient réunies deux conditions :
par rapport à chaque contrat, il faut que le client puisse définir précisément ce qu'il attend du prestataire, ce sur quoi il sera évalué, sa rétribution. A l'inverse, le prestataire doit préciser ce qu'il attend du client quand celui-ci participe à la relation de service. Tous deux doivent également pouvoir vérifier si les engagements ont été tenus c'est-à-dire que le "produit" convenu a été délivré, que les moyens prévus ont été engagés ;
par rapport au produit de l'entreprise (ou de la branche) c'est-à-dire par rapport à l'ensemble des contrats, il faut pouvoir disposer d'une nomenclature des contrats et de coefficients de pondération affectés à chaque catégorie de contrat en fonction par exemple de son prix de marché. Cela peut être problématique dans de nombreux services car il faudrait que soient répertoriés et décrits tous les types de prestation existants et qu'un prix soit fixé pour chacun d'eux.
Par analogie à la théorie des contrats où ceux-ci unissent les salariés aux employeurs, pour la relation de service les contrats vont unir les clients aux prestataires. Le client choisit le prestataire pour réaliser certaines opérations et finalement supporte une incertitude majeure après la conclusion du contrat : le prestataire a-t-il fait tout ce qui était en son pouvoir pour satisfaire le client ? Il s'agit alors de mettre en place un contrat "de service" efficient, c'est-à-dire que le client recherche un contrat qui permette d'optimiser l'effort du prestataire.
Une fois le contrat signé, la relation de service peut suivre "une pente non coopérative", c'est-à-dire que par exemple le prestataire réduit son effort au strict minimum compatible avec les termes du contrat. Mais la relation de service peut également emprunter des stratégies plus coopératives, c'est-à-dire qu'il y a amélioration de la contribution de chacun en direction de l'autre, et cela peut conduire :
dans le cas du client : au maintien de la confiance et de la fidélité envers certaines entreprises de service qui se traduisent par la non-rupture du contrat, au renouvellement périodique...
dans le cas du prestataire : à la fiabilité, à la qualité de ses prestations, à des avantages périphériques fournis, à la loyauté...
Aussi on peut dire que les comportements coopératifs de court terme, c'est-à-dire dans la relation de service, conditionnent les comportements coopératifs à plus long terme. En d'autres termes, si tout s'est bien passé dans une mission entre un prestataire et un client (pas de rupture de contrat par exemple), la satisfaction du client, la confiance créée conduiront peut-être à un renouvellement des prestations. Cela dit, on peut aussi distinguer deux types de comportements coopératifs dans la relation de service : ceux qui visent à conduire la relation de service à son terme, et ceux qui visent la confiance durable. Le prestataire peut agir dans le présent (mission de service) mais aussi travailler pour le futur, préparer le futur (c'est-à-dire faire en sorte que le client revienne ou que d'autres clients viennent (effet de réputation)).
Le tableau suivant, construit par J. GADREY (1994 b), se situe dans le cadre d'un contrat entre un prestataire et un client. Il présente les incertitudes pour chacune des parties, les moyens de contrôle et d'incitation.
Agents directement impliqués et type de contrat signé | C = client (ou usager) ; p = prestataire Hypothèse de contrat signé avant le déroulement du processus de prestation, fixant le prix de la prestation et supposant un certain "engagement de moyens" ou, plus rarement, de "résultats" de la part du prestataire. |
Incertitudes principales | Incertitudes de C concernant, d'une part, le degré d'engagement et les compétences de p, et, d'autre part, les variables de l'environnement pertinent (pouvant influer sur le déroulement et sur les effets de la prestation). En général, l'asymétrie informationnelle est plutôt en faveur du prestataire. |
Secondaires | Incertitudes de p concernant le bénéfice que C peut éventuellement tirer de la prestation et la valeur que C attribue à ce bénéfice. |
Conséquences en termes de jeu non coopératif | p a intérêt à s'en tenir au strict minimum d'engagement compatible avec les termes du contrat, voire à descendre en dessous de ce minimum si ce fait peut rester caché. C a intérêt à s'en tenir au prix plancher, voire à prendre prétexte de tout incident pour le réduire ou pour refuser le paiement. |
La solution du contrôle renforcé | C peut tenter de contrôler de très près la "mission" ou l'intervention du prestataire. C'est une solution coûteuse et d'une efficacité limitée, plus encore que dans le cas de la relation salariale. |
Incitation et coopération, recherche d'efficience | C et p peuvent faire le pari, si leur intérêt est convergent, d'élever leurs contributions respectives, soit sur la base d'une progression simultanée des moyens mobilisés et des recettes versées en contrepartie (intéressement partiel du prestataire aux "résultats", envisageable dans certains cas), soit plutôt ici en réunissant les conditions d'une fidélité réciproque : "traitement" privilégié du client fidèle par le prestataire (qualité du service, tarifs avantageux), recours régulier du client à des prestataires que l'on ne remet pas systématiquement en concurrence avec d'autres offreurs potentiels. |
En ce qui concerne le contrôle du prestataire par le client, on l'a déjà souligné dans notre première partie, le client n'a pas toujours les connaissances suffisantes pour évaluer la qualité du travail du prestataire, aussi beaucoup d'interrogations vont planer :
la solution retenue est-elle la meilleure étant donné qu'il existe plusieurs façons d'opérer ?
le consultant n'a-t-il pas réduit la complexité de la réponse et n'aurait-il pas pris en compte seulement certaines dimensions du problème ?
la réponse correspond-t-elle pleinement à l'entreprise, à ses spécificités, est-elle sur-mesure, ou bien, est-ce que le consultant fait du copier-coller ?
ne s'est-il pas précipité trop vite sur le "comment" ?
n'a-t-il pas installé une solution qu'il maîtrise (trop) bien (J. DE BANDT 1998) ?
Les possibilités de contrôle étant limitées, on peut alors se demander ce qui va maintenir le caractère coopératif de la relation de service et ce qui va assurer sa stabilité dans le temps. En d'autres termes, quels sont les facteurs qui incitent les parties à coopérer et à se retrouver pour un nouveau contrat ? L'incitation à suivre une pente coopérative est surtout à rapprocher des bénéfices provenant de la flexibilité dans la relation prestataire-client. En effet, selon le contexte marchand, les prestataires auront plus ou moins de facilités à trouver des clients. Quand ce contexte est tendu, l'existence d'une clientèle fidèle, c'est-à-dire qui a le réflexe naturel de faire appel au même prestataire sans chercher à chaque fois à faire jouer la concurrence, limite les coûts commerciaux. Aussi est-il intéressant pour un prestataire de se constituer un marché interne (le client réserve certaines prestations à des entreprises de services qu'il connaît), la difficulté sera de le constituer et de le maintenir. Les prestataires vont alors être amenés à proposer des tarifs réduits, des prestations améliorées... A côté du contexte marchand (impact de la demande), on peut également souligner l'impact du contexte concurrentiel (nombre d'offreurs). Il s'agit de facilités qu'ont les clients de changer de prestataire. Comme pour les prestataires, pour les clients il peut être intéressant de se constituer un marché interne. En effet, à l'occasion de chaque demande de service le client peut recourir soit au marché interne (marché réservé) soit au marché externe. Dans le second cas, le client supporte des coûts de mise en concurrence, qu'il ne supporte pas s'il renouvelle automatiquement sa confiance à un prestataire du marché réservé. J. GADREY (1994 b) précise ce que peuvent être ces coûts :
coûts de recherche d'information sur l'offre et de sollicitation des offreurs (appels d'offres, consultation d'un annuaire ou d'un guide, contact avec des prestataires potentiels) ;
coûts de sélection et d'évaluation des offres ainsi repérées ;
coûts de transferts de savoir, de formation réciproque des prestataires et des clients aux méthodes de travail et aux caractéristiques respectives, et de mise en place d'interfaces (particulièrement élevés pour certains services interactifs).
Cela dit, même si les marchés sont concurrentiels, rien n'interdit de changer de prestataire, mais ce changement a un coût et ce coût semble plus élevé en ce qui concerne les prestataires de services que les fournisseurs de biens industriels car :
l'incertitude concernant les "produits" mis en concurrence est plus importante dans le cas de prestations : comparer les offres des cabinets de conseils semble beaucoup plus délicat que comparer des voitures ;
en plus des coûts d'information et de sélection qu'on peut également retrouver pour les biens, il y a, dans le cadre des services, des coûts de formation réciproques.
A priori, utiliser comme base la théorie des contrats pour l'analyse de la relation de service et donc du fonctionnement du marché pourrait paraître assez normal : il y a bien une forme d'accord (engagement) entre les parties, préalable au démarrage du processus de prestation. Cependant on peut faire au moins trois réserves quant à ce type de rapprochement. Ces réserves sont liées au fait que dans le cadre d'activité de conseil, le contrat ne correspond pas à un échange de droit de propriété, ni à un contrat de travail (subordination), mais à un contrat de service où il n'y a ni droit de propriété, ni subordination mais droit de créance278.
Voici ces trois réserves :
si c'est bien le client qui choisit son prestataire, c'est plutôt ce dernier qui possède le savoir ou le savoir-faire que suppose la prestation. En fait, le client choisit le prestataire mais il n'a pas de pouvoir pour définir comment se fera la prestation. Le prestataire est responsable du "faire". Alors que, en théorie, il devrait y avoir subordination au sens du droit du travail, c'est-à-dire que le demandeur devrait diriger la relation, entre les parties devrait s'établir une relation d'autorité, de hiérarchie, voire de contrôle, du type de celles qui s'établissent généralement dans les organisations. Il est difficile de conclure à une telle relation d'autorité dans les relations de service observées dans la réalité. Le prestataire et le client semblent sur un pied d'égalité. Même si le prestataire est responsable du "faire", la relation implique un double engagement dynamique (et pas seulement un engagement d'un seul acteur), c'est-à-dire l'action du prestataire et du client (spécification de ses attentes, rôle actif dans la prestation, dans l'appropriation des effets, etc.). En fait, l'autorité ne sert à rien pour coordonner ce type de relation où les deux parties s'apportent mutuellement (le prestataire apporte le changement chez le client ; le client apporte un référent nouveau, une expérience nouvelle au prestataire). Pour ce qui est du contrôle, on peut dire qu'il ne se fait pas simultanément mais ex post, une fois la prestation terminée, il est différé. De même, la rédaction d'un contrat spécifiant les droits et les devoirs de chacune des parties est impossible. Il y a bien un cahier des charges qui présente les procédures qui seront suivies, mais ces dernières sont spécifiées dans les grandes lignes. Bien sûr il est demandé au consultant de suivre les prescriptions émanant du contrat (même si celui-ci est incomplet), mais il lui est surtout demandé de faire preuve d'initiative, de créativité, afin de concevoir et exécuter en coopération avec les différents partenaires. Comme le contrat est incomplet, il peut alors conduire à des comportements opportunistes, notamment de la part du prestataire. Toutefois, le contexte concurrentiel, le fait qu'il n'est pas facile pour le prestataire de trouver des clients étant donné la concurrence, va être un frein à l'opportunisme et va pousser les prestataires à satisfaire leurs clients.
deuxième réserve : la théorie des contrats est fondée sur une analyse en termes de coûts, considérés comme les variables explicatives des comportements économiques rationnels. ‘"Leur domaine d'intervention est, certes, fortement élargi par rapport à l'approche standard des marchés, mais l'existence et le fonctionnement des relations de service restent exclusivement déterminés par des mécanismes incitatifs marchands (ou dont les paramètres sont exprimables en termes monétaires)"’ (J. GADREY 1994 b, p. 142). Les comportements dans la relation de service se justifieraient uniquement par des considérations en termes de coûts. Il nous semble au contraire qu'au-delà des aspects marchands les comportements dépendent aussi d'aspects non marchands tels que les représentations, la proximité sociale... Les aspects non marchands viennent donc en complément des aspects marchands pour justifier des comportements dans la relation de service.
enfin, dans la réalité, le demandeur (le client) est amené à plus ou moins spécifier sa demande, ce qui va donner une place importante à la phase "préalable" à la production du service. Aussi, certains diront que "la demande précède l'offre" (A. BARCET, J. BONAMY 1998), du fait de l'importance du contact préliminaire qui va conduire à créer ou non la confiance, à plus ou moins spécifier le contrat, à plus ou moins préciser les engagements réciproques. Dès lors, la théorie des contrats ne peut expliquer les conditions de démarrage d'une relation de service, de même qu'elle ne peut expliquer les possibilités de changement des règles du jeu. En effet, rien n'est dit sur le processus de choix de tel ou tel prestataire (le prestataire envoie-t-il des signaux particuliers qui pourraient motiver les choix des clients ?), sur les processus de négociation des termes du contrat d'autant plus délicats lorsqu'il s'agit de prestations très "immatérielles" (comme le conseil), sur les processus de révision des termes du contrat d'autant plus importants que le contrat est incomplet. Étant donné notre intérêt pour des prestations du type conseil (degré élevé d'"immatérialité", différé d'évaluation) qui impliquent par nature des contrats incomplets, une réflexion quant à ces différents processus apparaît cruciale. En outre, même si J. GADREY (1994 b) dans son analyse élargit la réflexion en considérant que la relation de service peut suivre parfois une "pente coopérative" et par conséquent développer la fidélité des clients envers les prestataires, améliorer la qualité des services offerts, autrement dit même s'il s'intéresse aux questions de développement du marché, la théorie des contrats n'accorde pas suffisamment d'intérêt aux problèmes de constitution du marché. Elle considère que l'offreur et le demandeur se sont déjà rencontrés et à partir de là il s'agit de mettre en place un contrat qui spécifiera les contributions individuelles et les résultats attendus.
Dès lors, il est délicat de limiter le concept de relation de service à la théorie des contrats sans l'appauvrir. Le contrat de service conduit à des formes de contrôle et d'incitations spécifiques. La théorie des contrats ne peut donc prendre en compte la spécificité de la relation de service propre aux activités de conseil.
Cette approche économique contractuelle de la relation de service s'inspire de l'article de J. GADREY (1994 b).
Si on considère le service comme une relation qui institue un droit de créance (engagement réciproque) entre au moins deux acteurs économiques, alors :
- le service n'est pas un "objet de désir" car il n'est ni objet d'appropriation, ni d'accumulation ;
- il n'y a pas de subordination au sens du droit du travail, car le demandeur (le client) n'a pas de pouvoir pour définir comment se fera la prestation, le consultant est "maître du faire" ;
- la valeur n'est pas incorporée dans un bien du fait de l'immatérialité du service et du différé d'évaluation.