Dans cette partie nous allons mettre l'accent sur les relations entre les entreprises, mais à la différence de la partie précédente, il ne s'agit pas ici de relations entre prestataire et client (entreprise prestataire et entreprise cliente), mais des relations entre le prestataire et ses partenaires, parce que dans certaines situations le prestataire seul ne peut répondre de manière complète au problème de son client, il fait alors appel à d'autres entreprises. Il s'agit d'un nouveau mode d'organisation des activités de production qui conduit à s'interroger sur la notion même d'entreprise et sur la définition de l'unité productive de base.
Devant la croissance de ce mode de production, les frontières de l'entreprise s'estompent et les frontières de l'espace de production pertinent correspondent de moins en moins à ses limites juridiques et formelles. En effet, d'un côté pour analyser la structuration et l'organisation de la production, l'entité juridique devient un repère de moins en moins satisfaisant, de l'autre, aucune entité unique ne semble émerger pour constituer cette unité d'analyse appropriée. On a plutôt des entités imbriquées les unes aux autres. L'unité organisationnelle est remplacée par une nébuleuse productive constituée de zone plus ou moins denses et sans frontière nettement définie.
Ce mode de production fait apparaître de nombreuses incertitudes car :
le partenaire doit adapter son "produit" aux besoins précis de l'utilisateur, il doit être conçu en temps voulu... Aussi, quand la production du service dépend de plusieurs entreprises, il ne sera pas toujours facile de coordonner efficacement les actions de tous. De même, le partenaire, sollicité pour une mission particulière, se révèlera-t-il capable d'effectuer le travail que l'on attend de lui ? Autrement dit, l'objet d'échange est spécifié ex ante mais rien ne garantit, ex post, une parfaite exécution de la transaction ;
l'échange n'est pas instantané, ainsi entre le moment de la prise de contact et la fin du processus de prestation, des chocs exogènes peuvent survenir (par exemple le client peut spécifier ses attentes différemment). Dès lors, des risques et des incertitudes sont susceptibles de modifier les conditions du pacte initial ;
l'incertitude liée à l'information détenue par chacune des parties (asymétrie informationnelle) entraîne une "anti sélection"285 ou un "risque moral"286. Le prestataire se retrouve dans une situation de "sélection adverse" car il doit choisir un partenaire parmi plusieurs alors qu'il n'en connaît aucun. Comment appréhender ex ante les capacités de ces partenaires potentiels, étant donné qu'il y a des bons et des moins bons et que tous envoient des signaux difficiles à décoder (du type diplômes, expériences, entreprises spécialisées ou plutôt diversifiées, etc.) ? Il se retrouve dans une situation de "hasard moral" parce qu'il ne peut observer sans erreur l'action de son partenaire (donne-t-il le meilleur de lui-même ?) puisque, ni le travail (contribution individuelle), ni les résultats ne sont a priori observables.
L'émergence et la stabilité de ces relations interentreprises amènent à s'interroger sur le fonctionnement de cette nébuleuse productive. Plus précisément comment la théorie économique et notamment les analyses portant sur les relations interfirmes expliquent-elles la structuration et le développement de telles relations ?
Pour répondre à cette question, nous reviendrons sur les travaux de O. E. WILLIAMSON qui est le premier à prendre conscience de ces formes organisationnelles "hybrides" (1-). Cependant, pour cet auteur ces formes sont instables, transitoires et les activités devraient finalement être internalisées (coordination par la hiérarchie). A cette vision peu conforme à la réalité (car ces relations interfirmes perdurent), des travaux vont montrer que cette forme hybride est efficace car créatrice de valeurs et de richesses interorganisationnelles et d'apprentissage (2-). Finalement la question qui reste en suspens est celle du mode de coordination de cette forme hybride (autorité, incitation, confiance ?). Une réponse sera apportée par les travaux de C. MENARD (3-).
Cf. l'exemple célèbre donné par G. A. AKERLOF (1970) à propos du marché d'occasion des véhicules automobiles.
"(...) l'assurance incendie diminue les incitations aux précautions nécessaires pour prévenir ce genre d'incidents et peut même créer des incitations à l'incendie volontaire ; c'est l'origine du terme risque moral" (K. J. ARROW 1984, p. 38).