a - G. B. RICHARDSON et la coopération interfirmes

Comme O. E. WILLIAMSON, G. B. RICHARDSON s'interroge sur le problème de la répartition des activités dans une économie donnée. La comparaison, apportée par G. B. RICHARDSON (1972, p. 883) des entreprises dans la sphère marchande avec les "îlots indépendants dans l'océan du marché", illustre une vision réductrice du fonctionnement des activités productives, à laquelle il s'oppose. Pour cet auteur, il est important d'insister sur les relations inter-entreprises et donc rejeter la dichotomie firme-marché. Il distingue donc deux types de relations, les pures transactions de marché, d'une part, et les transactions de coopération, d'autre part. G. B. RICHARDSON est certainement le premier à voir l'organisation industrielle comme un tissu de relations inter-entreprises où la coopération est privilégiée. Il définit d'ailleurs la coopération interfirmes comme suit (G. B. RICHARDSON 1972, p. 886) : ‘"L'essence des accords de coopération est le fait que les parties acceptent un certain degré d'obligation -et donc fournissent en contrepartie un certain degré de garantie- quant à leur conduite future"’.

Dans cet article fondateur de 1972, G. B. RICHARDSON poursuit deux objectifs complémentaires :

  • il cherche à dépasser la vision coasienne du marché et de la firme en montrant que la dichotomie firme (régulée par l'autorité) - marché (régulé par le système des prix) ne permet pas de saisir la complexité des relations interfirmes, mais au contraire l'appauvrit, selon lui elle fait abstraction d'une catégorie entière de relations qui participent pourtant de manière significative à la coordination. Il s'agit du ‘"(...) réseau dense des coopérations et applications à travers lequel les firmes sont interconnectées (...). La firme A est filiale commune des firmes B et C, elle a des accords techniques avec D et E, elle est donneuse d'ordres pour F et liée par des accords commerciaux avec G - et ainsi de suite"’ (G. B. RICHARDSON 1972, p. 884) ;

  • il veut également dépasser la vision néoclassique du marché où les relations entre les firmes reposent sur la confrontation d'une offre et d'une demande portant sur des biens parfaitement identifiés. ‘"L'hypothèse d'homogénéité du produit suppose que tout le monde possède une parfaite connaissance des caractéristiques de chaque bien, et donc que les acheteurs n'ont pas le moindre doute sur l'adaptation de ce produit à leurs besoins. L'information nécessaire et suffisante pour contracter est dès lors très faible ; dans le modèle de concurrence parfaite, toute information pertinente sur les préférences des uns est communiquée aux autres par le biais du mécanisme des prix. Ainsi, la seule information intéressante est celle qui porte sur le prix"’ (B. BAUDRY 1995, p. 32). Par contre, dans une situation de relation de quasi-intégration, le produit n'existe pas ex ante, aussi, le marché ne peut fonctionner correctement. Au-delà du problème de la conception du produit, il y a le problème de l'organisation physique de la production, c'est-à-dire celui de la coordination des plans entre les contractants. En dépassant la vision néoclassique du marché, G. B. RICHARDSON s'oriente vers une analyse plus crédible des relations économiques.

Étant donné ces objectifs, G. B. RICHARDSON s'interroge sur la division du travail entre les firmes et le marché, ce qui va l'amener à distinguer les activités "similaires", des activités "complémentaires". Par activités, il entend les activités de production, la recherche-développement, le marketing...

Les activités "similaires" sont des activités qui demandent les mêmes compétences (c'est-à-dire savoirs, expériences, qualifications) pour être entreprises. Aussi les activités que regroupe une firme ont une forte tendance à être semblables, les organisations se spécialiseront donc dans des activités pour lesquelles leurs compétences particulières leur procurent des avantages comparatifs.

A l'inverse, lorsque les activités représentent différentes phases d'un processus de production (au sens large), on dit qu'elles sont des activités "complémentaires"296, elles doivent donc être coordonnées (quantitativement et qualitativement). Pour illustrer l'auteur précise (1972, pp. 889-890) que ‘"la production d'isolants en porcelaine est complémentaire de celle de commutateurs électriques mais semblable à d'autres fabrications de céramique", de même, "l'activité de vente au détail de brosses à dents est complémentaire de leur fabrication et semblable à la vente au détail de savons"’.

L'étude de la coordination des activités économiques que propose l'auteur est alors une analyse de la coordination de la complémentarité par les différentes formes d'organisation disponibles, qui sont la direction, la coopération, les transactions de marché ; chacune de ces formes sera choisie en fonction de la situation de production.

La coordination par la direction sera utilisée quand les activités seront soumises à un contrôle unique et intégrées dans un plan cohérent ; les activités ainsi coordonnées seront entreprises conjointement dans la même organisation.

La coordination par la coopération297 est nécessaire quand deux ou plusieurs organisations indépendantes doivent s'entendre pour harmoniser à l'avance leurs plans ; il s'agit des relations inter-entreprises298. Ainsi, G. B. RICHARDSON remet en cause la dichotomie coasienne marché/firme pour des motifs technologiques.

Les transactions de marché correspondent à une forme de coordination spontanée qui résulte de décisions interactives successives prises en réponse aux modifications des opportunités de profits.

Mais pourquoi la recherche de complémentarité avec d'autres entreprises ne conduit-elle pas à l'internalisation ?

En théorie, si aucune compétence spéciale n'est exigée, il n'y a pas de limites à l'extension de la coordination par l'organisation. Cependant, l'étendue de la coordination par l'organisation est limitée car les activités complémentaires ne sont pas nécessairement similaires. G. B. RICHARDSON explique alors l'existence des liens de coopération par la nécessité de la coordination d'activités étroitement complémentaires299 mais dissemblables. En fait, c'est parce que les entreprises ont tendance à se spécialiser, qu'elles ont besoin de s'associer avec d'autres pour bénéficier de complémentarités d'activités sans recourir à l'intégration verticale. Dans ce cas (activités complémentaires non similaires), que va décider l'entreprise : faire ou faire faire ? Deux solutions sont possibles :

  • pour des activités qui ne nécessitent pas une coordination ex ante, le recours au marché s'impose, la loi de l'offre et de la demande assure la jonction des plans entre les organisations, grâce à un nombre important de fournisseurs présents sur le marché ;

  • pour des activités complémentaires très proches, une coordination quantitative et qualitative, ex ante, est nécessaire entre les organisations300.

On peut alors résumer ce qui vient d'être dit au moyen du tableau suivant dans lequel on distingue les trois lieux de coordination des activités301 qui sont la firme, le marché et la coopération interfirmes, et trois mécanismes de coordination relatifs à chacun de ces lieux : la direction, la planification et les prix.

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Lieux et mécanismes de coordination des activités économiques chez G. B. RICHARDSON
[Note: Source : B. BAUDRY 1995, p. 34.]

L'intérêt principal de l'approche de G. B. RICHARDSON est de baser la réflexion sur les relations entre firmes quand les transactions ne sont pas de pures transactions de marché. La coordination intertemporelle des processus de production est alors cruciale dans la mesure où les firmes mettent en oeuvre des activités interdépendantes, c'est-à-dire que les plans de production doivent être articulés suivant les caractéristiques des activités (semblables et/ou complémentaires). Aussi, il ne s'agit pas simplement d'une analyse de l'articulation quantitative et qualitative entre les biens intermédiaires et le produit final. Au contraire, G. B. RICHARDSON (1972, p. 219) a choisi de ‘"(...) se référer aux activités plutôt qu'aux biens pour montrer que le point de vue est plus vaste"’. Il ne s'intéresse donc pas à des acteurs indépendants confrontés à leur environnement mais considère la question de leur interdépendance.

L'apport majeur de l'auteur est finalement de considérer la coopération interfirme comme un objet d'étude pertinent dans la triple distinction firme-coopération-marché, et d'introduire un nouveau mécanisme de coordination, indépendamment de la direction et du système de prix, la planification. En fait, si la coopération est un mode d'organisation de l'activité productive particulièrement efficace, c'est parce qu'il permet302 de remédier aux échecs des mécanismes purs d'allocation : le marché et la firme. Plus précisément, devant un environnement changeant et mal connu, les mouvements de coopération semblent permettre de modifier le champ de l'activité productive des firmes de manière radicale et rapide, mais sans avoir à mobiliser une trop grande part de leurs ressources propres afin de ne pas compromettre leur équilibre courant (P. DULBECCO 1990)303.

Mais, quels sont les moyens de cette coordination ? On touche là au point faible de l'approche de G. B. RICHARDSON, car il ne les spécifie pas, ‘"Il se contente de remarquer que les contreparties institutionnelles de cette forme de coordination sont des relations de coopération et d'affiliation complexes. Ainsi, il cite comme exemples de modalités la «bonne volonté», les «contrats d'approvisionnement à long terme», les «contrats de sous-traitance»"’ (B. BAUDRY 1995, p. 35). Dès lors, cette approche justifie l'existence de relation prestataire-partenaire(s) mais sans présenter les moyens de cette coordination. De même, rien n'est dit sur la phase préalable à la production, c'est-à-dire la phase de négociation, de constitution de cette coopération, alors que dans le cadre des relations entre conseils cette phase en amont de la production du service est cruciale. Le contact préliminaire qui engage les acteurs devient capital car la confiance se créera ou ne se créera pas, le contrat sera plus ou moins spécifié, les engagements réciproques plus ou moins précisés. La construction et la qualité du service vont naître de cette relation négociée (A. BARCET, J. BONAMY 1998).

Quels sont les bénéfices de cette coordination ? Il s'agit encore d'une question qui ne peut trouver de réponses précises dans les travaux de G. B. RICHARDSON ce qui en réduit la portée. Dans la réalité, les relations interfirmes et notamment les relations prestataire-partenaire(s) sont source de multiples avantages (transfert d'informations, de connaissances, d'expériences, de savoir-faire, etc., construction de la confiance entre les parties, connaissance technologique de l'autre pour surmonter l'asymétrie informationnelle, construction de connaissances nouvelles, etc.) et il est dommage que G. B. RICHARDSON n'approfondisse pas plus cet aspect distributif, productif et créatif de la coopération.

Notes
296.

"Activity are complementary when they represent different phases of a process of production and require in some way or another to be co-ordinated" (G. B. RICHARDSON 1972, p. 889).

297.

L'exemple type étant celui du système industriel japonais : il est constitué de multiples associations d'entreprises et repose sur un ensemble de règles plus ou moins contraignantes, parfois informelles conformément à la structure du clan (le clan étant à la base du principe de coopération source de solidarité) (W. O. OUCHI 1980).

298.

"La coopération correspond à ces liens multiples, à ces «arrangements complexes et ramifiés» existant entre firmes, qui caractérisent pour partie le tissu industriel des économies contemporaines" (J. ARROUS 1983, p. 49).

299.

"Par étroitement complémentaires, il entend les activités pour lesquelles l'output de l'une est véritablement spécifique de l'input de l'activité correspondante : les producteurs se voient alors contraints d'harmoniser ex ante leurs plans d'investissement et de production. Quand cette harmonisation n'est pas indispensable, on recourt alors aux transactions de marché" (J. ARROUS 1983, p. 49).

300.

G. B. RICHARDSON prend l'exemple des constructeurs automobiles et de leurs fabricants de composants : le marché ne peut assurer une parfaite coordination des plans, d'où l'existence de réseaux de coopération complexes.

301.

G. B. RICHARDSON indique à la fin de son article qu'il faudrait plutôt parler d'un "continuum" entre ces trois lieux de coordination des activités.

302.

Cf. l'analyse de K. IMAI et H. ITAMI (1984).

303.

"Le développement de l'idée de partenariat dans les relations inter-industrielles relève aussi de la volonté de soustraire les échanges à une pure logique de marché, dans une perspective d'amélioration de la qualité. La conviction est de plus en plus répandue que ces modes d'organisation peuvent être source de flexibilité, contrairement aux schémas simplistes qui voient le marché comme seule forme d'ajustement souple" (F. EYMARD-DUVERNAY 1989, p. 330).