a - Les trois modes de coordination relevés dans la littérature économique

L'autorité, c'est-à-dire le transfert du pouvoir de décision d'un agent envers un autre agent, représente une première forme de coordination. Elle apparaît dans les relations interfirmes quand le vendeur (sous-traitant) réalise une proportion significative de son chiffre d'affaires avec un seul client (donneur d'ordres) ou quand il ne peut pas rapidement et sans coût redéployer ses actifs vers un autre client.

Afin de lever l'incertitude de cette relation, l'autorité va être introduite au sein des relations interfirmes au travers notamment de contrats à court terme. Dans ce cas, le donneur d'ordres (le client) utilise la technique de la commande ouverte et répétitive : la commande initiale est, ou non, répétée à l'initiative du donneur d'ordres (client) qui s'engage dans ce cas sur des commandes de quelques mois. Un tel mécanisme n'offre aucune garantie au sous-traitant (vendeur). Cette relation d'autorité repose alors sur des dispositifs purement contractuels mais également sur des dispositifs extra contractuels309 issus de la situation de dépendance économique du sous-traitant310. Elle procure au client deux avantages principaux :

  • elle permet au service d'achat d'opérer une diversification des risques et de faire face à d'éventuelles difficultés issues de la situation d'asymétrie informationnelle : rupture d'approvisionnement d'un vendeur, grève, retards de livraison, mauvaise qualité... ;

  • la technique de l'appel d'offres étant renouvelée systématiquement à intervalles très courts, il y a concurrence du grand nombre à chaque renégociation.

Afin de surmonter l'incertitude interne inhérente aux relations interfirmes, l'autorité peut également instaurer un système de contrôle à tous les stades de la relation contractuelle et mettre en place des dispositifs de sanction. Mais un tel système est coûteux pour le donneur d'ordres. Dès lors, on conçoit l'intérêt d'incitations spécifiques (notamment l'assurance-qualité 311) pour limiter ces coûts. Pour surmonter l'incertitude externe, l'autorité va privilégier une structure de gestion du contrat par le marché. Cette forme organisationnelle comporte donc à la fois des relations d'intégration et des relations de marché.

Ce moyen de coordination -l'autorité- apparaît alors d'autant plus efficace que les intérêts des partenaires divergent et que leur information diffère312. Si ces conditions sont réunies, l'autorité permettra alors la compatibilité des plans et la réduction de la situation d'asymétrie informationnelle.

Mais l'autorité bute sur trois limites :

  • elle génère des coûts liés à la surveillance, au contrôle... qui pèsent sur les performances ;

  • elle ne peut porter que sur le résultat à atteindre, et non sur les moyens à mettre en oeuvre pour atteindre ce résultat. Elle ne peut pas supprimer une certaine part d'initiative du fournisseur ; le donneur d'ordres ne peut se substituer totalement au sous-traitant (vendeur) dans l'exercice de son travail, elle ne peut donc pas empêcher des retards, des défauts de qualité... Elle n'assure donc qu'une coordination partielle ;

  • elle génère des effets pervers relatifs à l'insuffisance d'innovations et des investissements du vendeur.

Les mécanismes d'incitation sont multiples. Il peut s'agir de mécanismes qui vont trouver des solutions aux problèmes du "hasard moral" comme l'allongement de la durée de la relation ; en effet, le contrat à moyen terme (par rapport au contrat à court terme) est une procédure incitative, qui représente une assurance, une garantie par rapport au système de la commande répétitive. Il constitue finalement une incitation à coopérer. Ces mécanismes peuvent aussi être des réponses au problème de "sélection adverse" comme la mise en place d'une "assurance-qualité" ; il s'agit d'un dispositif ex ante qui correspond à un signal dont l'objectif est d'inciter le vendeur à révéler la véritable qualité de ses produits ; il permet donc de réduire le risque associé au contrat. Quand l'incertitude est très élevée, il semble que les incitations soient un mécanisme de coordination plus satisfaisant, et surtout moins coûteux, que l'autorité. En fait, l'incitation constitue un support puissant de coordination dans des logiques organisationnelles et non strictement marchandes, autrement dit dans des situations de partenariat. ‘"Le partenariat peut ainsi s'interpréter comme la mise en place d'une «structure incitative», destinée à accroître les performances des vendeurs"’ (B. BAUDRY 1995, p. 64). Toutefois il est important que deux conditions soient réunies : la durée et l'intérêt de chaque firme à honorer correctement son contrat313. Dès lors, quand ces deux conditions sont réunies, la relation génère une quasi-rente et favorise la prise de risque et l'investissement à long terme, tout en suscitant un apprentissage inter-organisationnel. Dans ces conditions, l'opportunisme n'est plus un obstacle à la quasi-intégration : la tricherie est synonyme de pertes à long terme supérieures aux gains de court terme.

La confiance est un mode de coordination à part dans la mesure où elle ne peut être pré-définie. Elle se construit mais cette construction ne peut être un objectif déclaré de coordination. Selon B. BAUDRY (1995), il semble impossible de dissocier contrat et confiance, car contracter avec quelqu'un c'est déjà lui faire confiance. Autrement dit, la confiance est l'amont qui rend possible le contrat. La réputation ou l'ancienneté sont des éléments essentiels de la confiance. En effet, ils permettent de constituer un stock de valeurs dissuadant les comportements déloyaux qui priveraient les partenaires de cet effet de quasi-rente. Toutefois la confiance ne se réduit pas à un calcul économique dans une perspective d'optimisation. Elle est à relier à des mécanismes sociaux mettant en jeu par exemple le contexte social (normes d'obligation et de coopération)314, les relations interpersonnelles315 ; la confiance peut également être reliée à des phénomènes de réciprocité316. Dès lors, la confiance conduit à une réduction du risque d'opportunisme, un allongement des relations d'affaires et une substitution de comportements coopératifs à des comportements non coopératifs.

Pour conclure, on peut dire que finalement dans les relations interfirmes (prestataire-partenaire(s)), ces trois mécanismes de coordination se combinent : la confiance stimule les relations interfirmes, elle est un préalable à la contractualisation, les incitations favorisent les comportements loyaux, l'autorité exerce une pression qui pousse les partenaires à accroître leurs efforts.

En outre, il semble important d'éviter l'opposition entre modèles irréductibles (F. EYMARD-DUVERNAY 1989). En effet, il serait réducteur de croire que ces relations interfirmes relèvent d'un mode de coordination qui s'opposerait radicalement à la coordination marchande et/ou qui exclurait toute forme de coordination par la subordination hiérarchique. Par exemple le partenariat reste toujours limité dans le temps et ne supprime pas une remise en concurrence régulière sur les prix ; de même, le partenariat s'accompagne souvent d'exigences en termes de procédures, de certification, d'assurance-qualité... Aussi, les contrats "externes" ne sont pas réductibles à des formes de coordination marchandes stricto sensu : ces formes ne sont pas seulement fondées sur la responsabilisation et l'autonomie du "partenaire", elles sont assorties de contraintes et de formes de contrôle de l'activité de l'entreprise partenaire (J. BONAMY, N. MAY 1997).

Notes
309.

La pratique des sources multiples, c'est-à-dire avoir au moins deux ou trois vendeurs pour la fabrication d'un produit, est considérée comme un mécanisme extra contractuel.

310.

"Il ne suffit pas de décrire les mécanismes concrets, implicites ou explicites, qui gèrent la transaction pour comprendre la nature de la relation contractuelle. Il faut aussi s'interroger sur l'amont du contrat, c'est-à-dire sur les capacités de chaque partie à imposer les «règles du jeu contractuel»" (B. BAUDRY 1995, p. 43).

311.

L'assurance-qualité est définie comme l'ensemble des actions préétablies et systématiques nécessaires pour donner la confiance appropriée en ce qu'un produit ou service satisfera aux exigences relatives à la qualité (B. BAUDRY 1995). En fait, c'est cette confiance qui va réduire les contrôles qui étaient réalisés auparavant à tous les stades du contrat.

312.

Cette situation de quasi-intégration verticale pourrait être interprétable en termes de théorie des jeux, car elle débouche sur le dilemme du prisonnier. Chacune des parties poursuivant son intérêt personnel, le résultat est alors inférieur à ce qu'il serait dans le cas d'une stratégie de coopération. Dans le cadre d'une stricte relation d'autorité, une stratégie agressive prédomine : le donneur d'ordres active la concurrence à chaque renégociation pour avoir les prix les plus bas, et renouvelle fréquemment son stock de sous-traitants. Le sous-traitant, n'étant jamais sûr que le contrat sera reconduit triche sur la qualité est accepte des ordres qu'il sait pertinemment ne pas pouvoir tenir. Ce mode de coordination est instable : l'acheteur peut rompre à tout moment la relation, le vendeur est peu motivé à entreprendre des efforts de modernisation de ses équipements (les commandes étant toujours à court terme). Aussi, dans un jeu à un seul coup, chacun des contractants choisira la stratégie agressive. En effet, si le fournisseur réalise que l'acheteur changera de fournisseur à la fin du contrat, l'acheteur doit s'attendre à de moins bonnes performances du vendeur qui se dira qu'il a peu à perdre.

313.

B. BAUDRY (1995, p. 79) parle alors du "cercle vertueux de la coopération interfirme" qu'il schématise de la façon suivante : contrat --> quasi rente --> répartition équitable de la quasi rente --> intérêt à la continuation ou au renouvellement du contrat --> nouveau contrat.

314.

Par exemple l'analyse des "districts industriels" et des "systèmes industriels localisés" met en avant l'importance des normes d'obligation et de coopération dans le processus de l'échange. "Systèmes de choix préférentiels", "croyances", "valeurs communes"..., ces éléments font que l'échange économique se transforme en échange social. Certains comportements, a priori "irrationnels", peuvent se comprendre à partir du moment où on prend en compte le contexte social.

315.

Par exemple, le choix d'un fournisseur qui se fait à l'aide du "réseau" (c'est-à-dire de la connaissance personnelle des acteurs et de la stabilité de leurs liens) plutôt que par une procédure de recrutement "scientifique".

316.

C'est parce qu'il y a incomplétude du contrat que le phénomène de "réciprocité" intervient dans le cours de la transaction. Par exemple, lorsqu'un sous-traitant connaît des difficultés (irruption d'événements endogènes), il pourra bénéficier de l'aide du donneur d'ordre, et en retour le sous-traitant aura un geste en faveur du donneur d'ordres. Aussi, la réciprocité permet de soutenir l'apprentissage organisationnel, quand la relation est à long terme.