b - C. MENARD et l'autorité comme mode de coordination de la "forme hybride"

Les "formes hybrides" impliquent une dépendance significative entre actifs détenus par des unités autonomes (il y a mise en commun de ressources afin de générer de la rente), sans que cette spécificité justifie l'intégration dans une entreprise unifiée. La dépendance impose une continuité des relations et donc des mécanismes de coordination et de contrôle plus puissants que ceux du marché, sans qu'il y ait constitution d'une entité économiquement et juridiquement unifiée (C. MENARD 1997). En fait, pour C. MENARD (1997) on est dans le cas où le degré de spécificité des actifs est "moyen", mais suffisamment élevé pour créer une dépendance bilatérale exigeant coordination et contrôle plus étroits que ce que permet le marché, mais trop faible pour justifier l'intégration dans une entreprise unique, où les coûts administratifs risqueraient d'annuler les gains sur les coûts de transaction.

En fait, une question reste en suspens, elle est relative aux diverses modalités de pilotage de cette forme hybride étant donné qu'elle ne dispose pas d'une hiérarchie agissant comme "une cour d'appel en dernier ressort" dans une entreprise unifiée. La solution résidera en la mise en place d'une ou de plusieurs modalités de coordination complémentaire(s) aux contrats.

Si on revient à l'écriture formelle du contrat : C = C (p, k, s), où p représente le prix, k le degré de spécificité des actifs impliqués et s les clauses de sauvegarde, dans le cadre de la forme hybride, les prix jouent un rôle faible, mais la présence de fortes complémentarités des actifs va conférer un rôle considérable aux clauses portant sur la mise en commun de ces actifs (les clauses de sauvegarde). Cependant ces clauses sont difficiles à définir précisément et laissent une grande marge d'interprétation, d'où émergence de mécanismes d'adaptation et de contrôle pour protéger les partenaires des risques de comportements opportunistes.

Ces clauses d'adaptation et de contrôle peuvent être classées en quatre groupes :

Toutes ces caractéristiques contractuelles ont un point commun : elles visent à instaurer une coordination des partenaires (autonomes) à la transaction dans des situations où les indications du marché ne suffisent pas ou sont disponibles trop tardivement.

La "forme hybride" correspond donc à un arrangement particulier où les droits de propriété des partenaires restent distincts et où il n'y a pas d'instance détenant la capacité d'imposer les arbitrages317. C. MENARD (1997) propose le concept d'autorité comme moyen de penser la coordination dans les "formes hybrides". L'autorité correspond à ‘"(...) la délégation par des entités juridiquement distinctes du pouvoir de décision sur une sous-classe de leur domaine d'action. Une entité i a de l'autorité sur une entité j lorsque j consent à transférer ex ante la capacité de décider à i sur une classe d'action A tout en maintenant des droits de propriétés eu égard aux effets de cette action"’ (C. MENARD 1997, p. 746). Le terme "autorité" renvoie donc à un droit de commande (de direction) contractuellement acquis par celui ou ceux qui en sont investis. Cette notion doit être distinguée de celle de "pouvoir" qui renvoie à l'idée que certains agents sont en mesure d'imposer le primat de leurs objectifs individuels à d'autres (E. BROUSSEAU 1993).

La caractéristique déterminante de ce concept d'autorité est l'intentionnalité, c'est-à-dire qu'entre les partenaires il y a des accords explicites et une possibilité de réversibilité. Autrement dit, l'accent est mis sur l'exigence de consentement mutuel, cela signifie également que les choix effectués peuvent toujours être réexaminés. Une autre caractéristique du concept d'autorité est la symétrie des droits de propriété, c'est-à-dire que l'efficacité de l'instance qui doit mettre en oeuvre les décisions d'intérêt commun, résulte soit de mécanismes explicites de détermination des choix (exemple de l'assemblée de copropriétaires), soit de mécanismes faisant appel à la confiance réciproque.

Concrètement les modalités possibles de l'exercice de l'autorité sont les suivantes (C. MENARD 1997) :

‘"Ainsi l'autorité correspond à l'instauration d'un ordre privé entre entités autonomes. Elle constitue un mode de pilotage discrétionnaire, distinct de la relation hiérarchique propre aux organisations, mais aussi d'une pure relation marchande fondée sur l'ajustement par les prix" (C. MENARD 1997, p. 747).’

La difficulté sera alors pour l'autorité de réaliser le partage de la rente générée par la forme hybride318. Cette difficulté est liée au fait que chacune des entités est autonome et conserve ses droits de propriété, et en même temps met en commun des ressources, d'où un risque de comportements opportunistes d'autant plus grand que l'incertitude affectant l'environnement est grande et que de nombreux facteurs sont non observables (par exemple difficulté d'évaluer les contributions respectives des partenaires au résultat).

La solution réside en la mise en place de mécanismes incitatifs. Deux mécanismes incitatifs sont proposés : soit des incitations reliées à des données observables (lesquelles donnent lieu à un pilotage relativement automatique)319, soit des incitations associées à des éléments non observables de la rente (donnant lieu à un pilotage discrétionnaire, où l'autorité va jouer un rôle déterminant). Bien évidemment la situation la plus délicate est celle où existe une composante non observable. Dès lors, dans ce cas, la gestion de la rente dans la forme hybride est d'autant plus complexe que l'incertitude est grande et qu'elle porte sur des processus (et plus seulement sur des résultats). Par exemple, dans le cas d'une prestation de conseil qui fait appel à divers consultants de cabinets différents, il est impossible d'anticiper les contributions de chacun (et donc de déterminer des clauses contractuelles relativement précises ex ante) et de mesurer le poids de ces contributions dans le résultat final (car imprévisibilité du résultat et différé d'évaluation). Dans ces conditions, les risques contractuels deviennent considérables et ne peuvent être gérés que de façon discrétionnaire et la répartition de la rente dépendra des modalités d'exercice de l'autorité (C. MENARD). D'après l'analyse transactionnelle, plus les actifs impliqués sont spécifiques, plus forte est la tendance à substituer une forme de gouvernement "ad hoc" aux mécanismes tels que la confiance mutuelle ou le leadership dans la répartition de la rente.

L'analyse de C. MENARD sur la coordination de la forme hybride est intéressante dans la mesure où elle approfondit les travaux de O. E. WILLIAMSON en basant la réflexion sur le concept d'autorité comme mécanisme de coordination. Aussi, ce concept décliné de diverses façons (influence, confiance, leadership, institutions ad hoc) apparaît comme vecteur de stabilité et réducteur d'incertitude dans la forme hybride.

Toutefois, C. MENARD bute sur le problème du partage de la rente dans des situations où des éléments sont non observables. L'auteur ne voit d'autres solutions qu'une gestion discrétionnaire. Aussi cette analyse est-elle limitée dans l'explication du partage de la rente dans le cadre de relation prestataire-partenaire(s), puisqu'il s'agit ici d'activités en commun, hautement "immatérielles" et où le résultat ne peut être évalué (quand il peut être observé) que de manière différée. Il s'avère en effet délicat de mesurer les contributions du prestataire, du partenaire mais aussi de déduire du résultat la contribution du client (puisqu'il y a coproduction c'est-à-dire engagement dynamique du client)... A ceci s'ajoute également le problème de la propriété de la prestation réalisée en commun. De plus, l'analyse fait totalement abstraction de la question des effets de la production dans le cadre d'une structure organisationnelle hybride (quels sont les effets pour le prestataire, pour le(s) partenaire(s) ?).

Cela dit, bien qu'il y ait quelques lacunes dans l'explication de la coordination de la production en commun (coordination des relations interfirmes), cette approche aborde toutefois la question de la constitution de ces relations. En effet, en mettant l'accent sur l'importance d'un consentement mutuel entre les partenaires, l'auteur fait du même coup allusion à la phase de négociation préalable à la contractualisation. Reste que les processus de choix des partenaires (phase préalable à la négociation) ne sont pas abordés.

Notes
317.

Cette situation est totalement différente de la relation hiérarchique qui est caractérisée par des asymétries non négociables, où un "supérieur" détient les droits de contrôle et de supervision. Il commande c'est-à-dire qu'il peut assigner les tâches, déterminer les positions respectives des membres, contraindre leurs actions (dans les limites légales). C'est une relation d'ordre décrite par un arbre renversé. La capacité de commander se justifie par l'asymétrie des droits de propriété qui permet à la hiérarchie d'opérer comme sa propre "cour d'appel en dernier ressort" (O. E. WILLIAMSON 1985).

318.

L'industrie du poulet en France (C. MENARD 1996) peut être considérée comme une structure "hybride", laquelle grâce à la mise en commun des ressources provenant d'entités autonomes (entreprises d'incubation et de sélection de poussins, producteurs de poulets, fournisseurs de nourriture, abattoirs, distributeurs) permet de générer une rente ; une étude de INRA révèle qu'en 1992 la marge brute sur le kilo de poulet label "vif" était de 1,92 F, contre 0,67 F pour le poulet standard.

319.

Pour ce premier type d'incitations, C. MENARD (1997) donne un exemple lié à l'aviculture. La répartition de la rente est basée sur la classification ordinale des performances relatives des partenaires. On a affaire à un système de type tournoi, comprenant une composante proportionnelle à l'output relatif, destinée à partager le risque entre partenaires et à réduire les comportements opportunistes ; et une composante, par exemple sous forme de bonus, dépendant de l'écart des performances individuelles par rapport à la moyenne.