Conclusion B

Longtemps ignorées dans la littérature économique, les relations interfirmes vont peu à peu être introduites, notamment avec les travaux de O. E. WILLIAMSON sur la forme "hybride". La prise en compte de ces relations permet alors de dépasser la dichotomie traditionnelle firme-marché et d'orienter les réflexions vers des analyses plus crédibles des relations économiques (G. B. RICHARDSON). Les relations interfirmes existent à partir du moment où deux ou plusieurs organisations indépendantes doivent s'entendre pour harmoniser à l'avance leur plan. De plus, M. AOKI a montré que cette forme de coopération était stable et génératrice d'une quasi-rente. Des difficultés vont apparaître dans le partage de la quasi-rente quand les contributions des partenaires ne seront pas observables.

Pour coordonner ces relations, divers dispositifs existent : l'autorité, les incitations, la confiance. Les différentes théories économiques questionnées dans cette partie nous ont donc apporté des éléments importants quant aux rouages de la coordination interfirme, laquelle ne conduit pas uniquement à l'allocation (échange) mais aussi à la création de ressources (production). De même, ces mécanismes de coordination apparaissent non seulement utiles pour lier instantanément les firmes, mais aussi pour créer des liens intertemporels entre ces firmes (et les individus qui les composent).

Dans le cadre du conseil en management, il n'est pas rare de voir un cabinet de conseil (ou un conseil indépendant) faire appel à un autre (ou plusieurs autres) quand la mission déborde de son métier. Ce cabinet s'entoure donc de "compétences de support" (J. GADREY et alii 1992) pour mener à bien la mission. Bien évidemment et surtout quand il s'agit d'activités "immatérielles", il est difficile de distinguer les contributions de chacun au résultat final, de même qu'il est délicat de repérer les "tire-au-flanc" ou de mesurer le résultat final, c'est-à-dire le résultat médiat (qui s'observe souvent à plus ou moins long terme). Il nous semble que la quasi-rente, que pourrait retirer les différents partenaires, ne s'exprime pas uniquement en termes monétaires (d'autant plus qu'il faudrait pouvoir la mesurer), mais en termes d'expériences et d'apprentissages, de connaissances et d'informations nouvelles, de liens particuliers (aspects relationnels)..., qui pourront être mobilisés par la suite par chacun. En somme, cette quasi-rente correspond à des externalités. A chacun des partenaires de bien assimiler, intégrer, "médiatiser" ces éléments nouveaux pour les réutiliser plus tard.

Parmi l'ensemble des approches passées en revue dans cette sous-section, la difficulté a été d'analyser l'étape préalable à la coordination (phase amont) mais aussi de présenter clairement les externalités (phase aval). En effet, dans la relation entre un prestataire et son (ou ses) partenaire(s), la phase préalable d'engagement des acteurs est cruciale pour la suite et pour la qualité de la relation (et de la prestation), elle dépend fortement des expériences passées, de la confiance que chacun des acteurs attribue à l'autre... C'est à ce moment-là que le contrat sera spécifié, que les engagements réciproques seront définis, que les rôles de chacun seront délimités. Même si le contrat est incomplet, il permet de "planter le décor", de définir les conduites à tenir, les comportements réciproques. Pour ce qui est des externalités ou de la quasi rente, la présentation ne permet pas de souligner suffisamment les conséquences dynamiques de ces divers effets. Par exemple, quand deux cabinets coopèrent pour une prestation donnée, forcément il y aura transfert d'informations, ou de connaissances, procédures, méthodologies, astuces..., mais aussi il pourra y avoir création de nouvelles connaissances, savoirs, astuces... Ainsi la coopération est source d'échanges mais aussi de production. Cela dit, ces échanges ou ces productions n'auront d'impact sur chacune des parties, que s'il y a appropriation, d'où l'intérêt de mettre l'accent sur les processus cognitifs (pas suffisamment éclairés dans toutes les approches citées de cette sous-section). On peut également rajouter une limite supplémentaire à ces approches : elle touche au problème de la propriété du "produit". En effet, et surtout lorsque la coopération conduit à une innovation de service, on peut se demander à qui appartient cette innovation.

Dès lors, quand on confronte ces différentes approches à la réalité du conseil, on s'aperçoit vite de leurs limites : elles s'intéressent à la coordination dans la phase de production et laissent de côté la phase de négociation (c'est-à-dire la phase de constitution des relations interfirmes) et les conséquences dynamiques de cette production en commun sur chacune des parties.