Conclusion Partie 2

La première partie de notre travail, centrée sur la présentation du marché du conseil en management, a conduit à mettre en évidence certaines de ses spécificités : ce marché est non réglementé et plutôt complexe, car les acteurs sont nombreux, variés et interdépendants. Aussi, cela nous conduisait-il à nous interroger sur le fonctionnement de ce système complexe. Bien évidemment, au cours de notre première partie nous avons pu relever et donc souligner certains dispositifs facilitant la constitution du marché et la production en commun, mais il était important de "creuser" davantage afin d'apporter une explication plus approfondie et plus solide du fonctionnement du marché du conseil.

Pour ce faire, nous avons effectuer un détour par la théorie économique, avec dans un premier temps (section 1) un questionnement des théories de l'entreprise, puis dans un second temps (section 2), un questionnement des théories s'intéressant aux relations externes. A l'inverse de la problématique de la coordination de la production en commun (très largement abordée), celle de la constitution du marché est peu abordée par les différentes théories économiques. Dans la plupart des analyses, les relations préexistent, le marché est constitué, alors que dans la réalité (cf. partie 1), la rencontre de l'offre et de la demande n'est pas instantanée et automatique. Cela provient surtout de la spécificité du "produit-conseil" qui n'existe pas au départ. Comme ces problèmes de constitution du marché sont peu abordés par la théorie économique, nous centrons cette conclusion sur l'aspect coordination de la production très largement développé dans les théories.

L'examen de la littérature économique auquel on a procédé montre que l'introduction de situation où l'incertitude est grande, où la qualité des "produits" est mal définie, où les contributions individuelles sont difficilement observables... (situation correspondant au conseil en management), constitue un point sensible à la coordination par le marché, d'où l'intérêt d'orienter la réflexion vers la prise en compte de formes de coordination alternatives. Parmi les mécanismes de coordination relevés tout au long de cette partie, on remarque en fait qu'il y a une pluralité des formes d'accords auxquelles peuvent recourir les acteurs pour soutenir leurs actions. Cette variété des modalités de coordination vient du fait que les problèmes de coordination se posent à différents niveaux et donc selon les niveaux les réponses ne seront pas les mêmes. On a des problèmes de coordination dans le cabinet (intrafirme) et dans l'activité productive (interfirme) ; dans le cas du conseil la coordination doit se faire également avec le client d'où l'intégration de la coordination dans la relation de service. Coordonner ce système complexe ressemble alors à un jeu ouvert entre plusieurs modes de coordination ce qui évite de s'enfermer dans un modèle unique (F. EYMARD-DUVERNAY 1989).

D'une manière générale, la littérature économique nous a permis de relever à la fois des mécanismes de coordination plutôt directs et d'autres plutôt indirects, sans qu'aucun de ces mécanismes ne s'impose. Les premiers passent notamment par l'autorité et le contrôle direct des actions des individus (quand il est possible) et dans ce cas il faut bien évidemment que quelqu'un s'affaire à cette tâche (dans la firme le contrôle est réalisée par le dirigeant ; dans les relations interfirmes, par le donneur d'ordres ou par des institutions compétentes). L'autorité n'étant pas toujours très stimulante et efficace, et le contrôle étant coûteux, le tissage de liens multidimensionnels au fil du temps (confiance, réputation, conventions, repères collectifs, routines, etc.) apparaît alors comme une solution intéressante, stimulante, et permettant de limiter les coûts de contrôle. C'est pourquoi il est important de souligner "la force des liens faibles" (M. S. GRANOVETTER 1973) dans les relations sociales, c'est-à-dire la force des liens interpersonnels, informels et implicites. Ceci nous amène aussi à souligner le rôle des relations sources de solidarité et de qualité du lien social (P. VELTZ 1996) et donc d'efficacité.

En outre, les théories présentées peuvent être regroupées en deux catégories : d'un côté celles qui se situent dans une problématique de l'échange (théorie des droits de propriété, théorie de l'agence, théorie des coûts de transaction), de l'autre celles qui se situent plutôt dans une problématique de la production (théories centrées sur la coopération avec M. AOKI, D. M. KREPS, F. EYMARD-DUVERNAY, théorie évolutionniste, G. B. RICHARDSON). Dans les premières, on postule que le travailleur adopte un comportement optimal qui maximise sa productivité et on ne se préoccupe pas de savoir s'il doit coordonner "techniquement" ses interventions dans le temps et dans l'espace avec ses collègues. On néglige donc le problème de l'organisation du travail et le problème de l'organisation de la production. De plus, les savoir-faire et qualifications nécessaires à la production préexistent, le problème de l'apparition et de la création de ressources est exogénéisé. Les évolutionnistes vont, au contraire, reconnaître que si les inputs nécessaires à la production ne sont pas disponibles ex ante, certains agents devront non seulement réunir des ressources, mais aussi s'en servir pour créer les facteurs non existants. Pour M. AOKI, D. M. KREPS ou F. EYMARD-DUVERNAY, les agents vont créer des ressources particulières (innovations organisationnelles, repères collectifs, conventions, représentations particulières) qui vont faciliter leur coordination. Toutefois, ce glissement vers une problématique de la production (qui donne plus d'épaisseur à la firme) induit l'apparition de problèmes de coordination supplémentaires (G. B. RICHARDSON). En effet, ‘"Non seulement les agents doivent minimiser les coûts de recherche, de tâtonnement, d'anti-sélection, de «risque» mais en plus ils doivent mettre au point des arrangements contractuels qui assurent efficacement l'intervention des différents inputs ainsi que la création de ressources productives nécessaires"’ (E. BROUSSEAU 1993, pp. 16-17). Le statut du contrat change : il ne doit plus seulement permettre d'accéder aux ressources, mais d'en assurer le meilleur usage et d'en créer de nouvelles.

Reste que l'on peut formuler une critique générale à l'égard de l'ensemble des théories présentées : aucune d'elles, confrontée à la spécificité de la firme de conseil et de ses relations externes, n'apporte d'éclairage pertinent. Plus précisément, nous souhaitions comprendre comment se coordonne ce système complexe, mais aucune des théories n'apportent de réponses complètes car elles ont toutes des visions partielles, selon leurs problématiques, leurs hypothèses, alors qu'il serait intéressant d'avoir une approche théorique qui imbrique les différents mécanismes.

Cette critique est surtout liée au fait que le conseil n'est pas une activité qui a des problèmes généraux à toutes les firmes. La firme de conseil est une firme qui a des problèmes spécifiques, une organisation spécifique, des manières de produire spécifiques (L. REBOUD 1997). Par exemple, en matière juridique, la conception traditionnelle du contrat entre deux parties n'apporte plus de réponses suffisantes aux questions nouvelles qui sont posées par la relation de service : la prestation étant coproduite et l'évaluation des effets difficile, en cas de problèmes comment déterminer les responsabilités. En matière de droit du travail, le lien de subordination est remis en cause par le développement de l'autonomie et de la professionnalisation (le consultant est "maître du faire"). En matière de droit de la propriété intellectuelle, l'innovation pose les problèmes de reconnaissance et de respect ; l'innovation est le fruit du travail d'un client, d'un prestataire et parfois d'un partenaire extérieur, aussi, à qui appartient-elle, comment la protéger ? En ce qui concerne la production, le conseil est une activité de production où les effets dépendront fortement de l'implication du client (c'est-à-dire de la façon dont il s'approprie les informations transmises par le consultant), d'où l'intérêt d'un engagement dynamique du client beaucoup plus important que dans d'autres types de production. Comme on a souvent pu le relever dans cette deuxième partie, les théories économiques sont incapables de rendre compte de la spécificité de la firme de conseil et du fonctionnement du marché.

Dès lors, notre troisième partie consistera à reconstruire la réalité du fonctionnement du marché du conseil en essayant d'éclairer d'un côté, les mécanismes de constitution du marché et de l'autre, les mécanismes de coordination de la production en commun.