2 - La singularité des engagements réciproques

Une fois le prestataire choisi, et avant le début de la relation de service, client et prestataire se mettent d'accord sur les objectifs de la mission. Plus précisément le client va chercher à spécifier sa demande afin que le prestataire puisse bien cadrer le problème ou le projet. Toutefois, il est impossible de définir un contrat complet. En effet, le service n'est pas un produit défini a priori, mais il comprend l'adaptation à des besoins spécifiques qui ne peuvent se révéler qu'en cours de route. Il y a donc incomplétude des contrats, ce qui se traduit par le fait que les prestataires de service assument des obligations de moyens et non de résultat. Autrement dit, quand le client et le prestataire se mettent d'accord sur une mission, ni l'un ni l'autre ne sait précisément comment elle se déroulera ; le choix du client d'aller plus loin apparaît alors comme un pari, car il ne connaît pas la véritable qualité du prestataire, ni la manière dont celui-ci va réaliser la prestation, ni le résultat. La décision du client est très personnelle, elle n'est pas justifiée par des critères objectifs mais plutôt par ses représentations c'est-à-dire que son histoire, ses connaissances, sa subjectivité comptent dans sa décision. Elle est donc singulière.

Dans la relation de service, c'est-à-dire dans la phase de coproduction, il y a des asymétries informationnelles : du côté du prestataire vis-à-vis du client, et du côté du client vis-à-vis du prestataire. En effet, le demandeur (le client) délègue la réalisation d'actes à quelqu'un, mais cette délégation ne met pas le producteur (prestataire) dans une situation de dépendance, il n'y a pas de subordination au sens du droit de travail. Ainsi, sur le marché du conseil, le client n'achète pas un service mais il recrute un représentant auquel il va déléguer le service (le faire). Cet engagement volontaire (et payant) dans une relation de dépendance est d'autant plus désiré que l'enjeu est élevé et que la qualité du mandataire (prestataire) paraît renforcer la probabilité de construction d'une solution ou de réalisation du projet. Le prestataire reste alors le "maître du faire" c'est-à-dire qu'il est totalement libre de la manière dont il souhaite conduire sa mission. Bien sûr le client participe : dans la spécification de ses attentes, dans la divulgation d'informations, dans l'appropriation des effets..., mais pas dans la manière de conduire la prestation. Aussi peut-il avoir des doutes quant à l'utilité de telles ou telles procédures, quant à l'effort du prestataire..., d'autant plus lorsqu'il n'a pas la connaissance nécessaire pour décoder le travail du prestataire. Dès lors, la qualité du travail comme la qualité de l'ensemble de la prestation vont être difficilement mesurables de manière objective par le client (la subjectivité va prendre de l'importance). Du côté du prestataire, il est également difficile de savoir si le client a tout fait pour l'éclairer au maximum : a-t-il transmis les informations véritablement pertinentes, a-t-il bien intégré toutes les connaissances nécessaires pour valoriser le résultat... ? Là encore le prestataire ne peut être sûr de la pleine participation du client.

On peut donc dire que l'engagement du consultant sera lié à sa singularité c'est-à-dire à son expérience, son histoire, ses qualités personnelles et surtout relationnelles, ses compétences spécifiques. C'est la même chose pour le client, son engagement dépend de sa singularité de même pour l'appropriation des connaissances transférées par le prestataire.

La relation de service complète implique donc un engagement total de la part des acteurs, c'est-à-dire un double engagement dynamique et pas seulement un engagement d'un seul acteur (le producteur ou le client). Le service naît alors de cette relation négociée, il est une construction sociale, où les deux acteurs ont un rôle actif à jouer, d'où l'intérêt de la capacité et de la motivation de coopération du prestataire de service et de l'utilisateur. Cela dit, la singularité des acteurs, leur histoire, leur représentation impliquent des indéterminations quant à leur niveau d'engagement. Dit autrement, la singularité de chacun implique des espaces de mobilisation du mandataire et du mandant très larges et inconnus de chacun d'eux.