3 - La singularité dans la construction de la solution

La solution a un degré d'immatérialité très élevé, elle ne s'impose pas par son caractère bien construit, par son modernisme qui serait lié à des caractéristiques matérielles ou techniques particulières... La solution apparaît au contraire comme quelque chose de flou, de pas "totalement objectif". Elle émerge suite à un processus qui n'est pas parfaitement rationnel. Ce sont des combinaisons spécifiques d'informations, de connaissances et de savoir-faire qui vont constituer le résultat ou la solution, et qui sont susceptibles d'être appropriées et valorisées. Les processus de collecte, sélection, assemblage d'informations, ne sont pas spécifiés a priori et ne peuvent être ordonnés qu'en fonction de besoins spécifiques. Il n'y a pas de "produit" défini a priori, de manière tant soit peu précise, de même qu'il n'y a pas de décomposition du "produit" en un certain nombre de composantes clairement spécifiées. Le service (la solution) est global tout comme le problème du client qui n'est défini, au départ, que de manière globale (J. DE BANDT 1995).

Le service peut être décrit comme un mélange permanent de rationalité et de subjectivité, de choix réfléchis et d'impulsion. La solution correspond en fait à un mélange de compromis, de choix, d'orientation, d'ouverture au client... Il n'y a donc pas là un processus d'optimisation, il y a plutôt de la contingence (A. BARCET 1998). Cette caractéristique vient de la création continue de savoirs du côté du prestataire : plus on développe de savoirs nouveaux, plus on multiplie les cheminements possibles dans l'avenir, leurs bifurcations, la difficulté pour les recenser et les présenter. Il y a un foisonnement de possibles. Aussi, l'optimisation est impossible du fait de l'adoption de règles singulières de calcul, mais également parce qu'il n'y a pas une seule alternative que l'on pourrait comparer à son coût, mais une variété dont on ne connaît pas le coût a priori ; il y a donc des marges d'autonomie cognitive. De même, le système décisionnel n'est pas constitué de situations décisionnelles-types qui seraient définies dans des cadres formalisables et qui pourraient être soumises à des procédures. En d'autres termes, le service n'est pas affaire d'automatismes contrôlés, c'est pourquoi il nécessite un "pilotage"328.

La marge d'autonomie cognitive des acteurs (consultants) renvoie à la combinaison de deux facteurs : d'une part, la complexité croissante des connaissances qu'ils détiennent, impossibles à formaliser et communiquer intégralement ; d'autre part, la complexité et l'ambiguïté des problèmes qu'ils affrontent et des conditions de leurs actions (les actions et les événements observés dans l'environnement sont souvent ambigus de même que les signaux de l'environnement sont équivoques). La marge d'autonomie cognitive ainsi laissée libre est en fait une marge d'interprétation. Tout ce qui n'est pas défini de manière déterministe et univoque est interprétable. S'il n'y avait pas marge d'interprétation locale, il y aurait contrôle. S'il n'y a pas contrôle, il y a interprétation. L'interprétation introduit alors une marge de flou, d'incertitude, de jeu. En dernier ressort, l'action concrète de chaque acteur résultera de son interprétation propre.

Ainsi la solution est rendue singulière car il est important de tenir compte des actions passées, de leur coût, des capacités d'apprentissage des consultants (adaptation de leur comportement). Le consultant au fil de ses expériences se crée une base de référents dans laquelle il peut puiser. Mais cette base évolue tout comme les connaissances, les compétences qu'il mobilise dans ses diverses missions, d'où l'aspect fortement singulier et personnel du processus de prestation (car lié aux expériences passées, aux référents). Le processus de prestation implique l'individualité de celui pour qui l'acte est fait et de celui qui agit. Le conseil ne peut s'adresser à l'Entreprise (considérée comme un archétype) mais il doit rentrer dans une logique d'acteur économique singulier. Ainsi, avec les activités de conseil (où il s'agit d'élaborer des connaissances et des solutions), on sort de la conception traditionnelle de la firme où une firme est sensée représenter toutes les autres (firmes homogènes). Si une méthodologie est connue, son application se fait dans un contexte bien précis. Aussi le service échappe au phénomène d'anonymat ou de standard : ce sont des autonomies qui fonctionnent (autonomie cognitive des acteurs), le conseil ne relève pas d'un domaine formaté, impersonnel. C'est parce que chaque acteur (consultant et client) a un passé, a une base d'expérience, un cadre de référence..., parce que chaque acteur interagit avec l'autre et oeuvre à la construction de la prestation, que l'on aboutit à une solution chargée d'éléments singuliers. La dimension d'individualité tend à différencier chaque service, car les conditions329 de production ne sont jamais exactement les mêmes. Le conseil procède donc de cas d'espèces qui appellent non la règle générale mais des solutions individualisées. Ces dernières, et les connaissances qu'elles intègrent, seront ensuite valorisées de manière spécifique par le client dans son processus d'utilisation, tout dépendra de la singularité de son processus d'appropriation.

Notes
328.

On peut illustrer ici en s'appuyant sur l'exemple du potier de H. MINTZBERG (1990) qui conçoit son ouvrage tout en le réalisant. Son activité est constituée d'une chaîne continue de micro-décisions totalement intégrées à l'action. La décision (donc la connaissance) n'est pas séparée de l'action.

329.

Ceci conduit certains professionnels à dire que l'innovation dans les services aux entreprises est permanente. En effet, le fait de coproduire la prestation avec le client, de l'intégrer aux spécificités de l'entreprise cliente, de faire du sur-mesure..., implique que les prestations ne sont jamais reproduites à l'identique, elles sont toujours nouvelles et différentes. Mais on peut se demander si le fait de concevoir en permanence constitue une innovation. Plus précisément, ne faudrait-il pas distinguer (comme le fait A. BARCET 1998) les innovations dans les activités de service, c'est-à-dire celles qui portent sur les processus (innovations sur le vecteur technologique ou informationnel) et les innovations de service, celles qui correspondent à de nouveaux concepts ?