1 - Le temps dans la relation de service

La relation de service correspond aux modalités de connexion entre le prestataire et le client à propos de la résolution du problème pour lequel le client s'adresse au prestataire (objet du service). Elle décrit un processus de production qui comporte une relation interactive durable, plus ou moins importante, entre le producteur et le client, et qui est nécessaire au processus de coproduction des valeurs et des richesses.

La relation de service intègre la phase préalable à la production du service, c'est-à-dire le contact préliminaire. Cela implique que la demande précède l'offre : le client ne choisit pas une catégorie de prestation préconçue dans un catalogue, au contraire la prestation n'existe pas au départ, aussi est-il important que les acteurs (prestataire et client) se mettent d'accord sur l'objet de la mission. Il y a alors identification conjointe du problème : le client doit fournir des informations sur ses problèmes ou ses projets, et le consultant va éclaircir ces demandes (phase de cadrage) à partir d'autres questions fondées sur son expérience et ses compétences propres. Cette phase s'accompagne également du rassemblement, aux différents stades de l'analyse ou de l'"audit", d'informations pertinentes sur la situation de l'entreprise, en sachant qu'une partie importante de ces informations ne peut être obtenue qu'au travers de contacts directs. Dès lors, on perçoit bien l'importance de l'organisation de l'interaction entre le prestataire et le client, et donc le choix d'interfaces333, c'est-à-dire d'individu(s) de l'entreprise cliente chargé(s) de suivre la mission. La situation idéale est celle où prestataire et client interagissent et trouvent rapidement une "longueur d'ondes" commune (J. GADREY 1994 b), c'est-à-dire qu'ils arrivent à se comprendre malgré des informations et des cadres cognitifs différents. Le temps de la rencontre des acteurs, de la connaissance du problème ou du projet, de l'imprégnation du fonctionnement de l'entreprise cliente..., est fondamental avant d'avancer davantage dans la construction de la prestation. Toutes ces phases ne sont pas instantanées, elles sont plus ou moins longues selon les désirs du client, selon l'expérience du consultant, selon la situation de l'entreprise cliente, selon les cadres cognitifs des acteurs. On peut donc dire que la relation de service s'inscrit dans la durée des relations et interactions entre le prestataire et le client.

Cette relation de type coopératif entre le prestataire et le client peut s'observer également entre les prestataires. Quand plusieurs prestataires doivent intervenir, ils doivent coopérer et leur coopération est finalisée par les exigences de la prestation en fonction des besoins spécifiques du client. On l'a déjà dit, le service n'est pas un produit défini a priori, mais il doit s'adapter à des besoins spécifiques qui ne se révèlent qu'en cours de route. Aussi, les différents producteurs doivent adapter les diverses composantes les unes aux autres en fonction des exigences de leur assemblage et de l'adaptation aux besoins progressivement révélés du client (J. DE BANDT 1995). Il n'est donc pas possible d'échanger des composantes clairement spécifiées, au contraire les producteurs devront travailler ensemble, se mettre en relation afin de coopérer. Ainsi la production de la prestation, quand elle nécessite plusieurs producteurs, implique de raisonner dans une certaine durée car la prestation n'est pas le résultat d'un assemblage basique de compétences différentes (celles des différents producteurs) mais elle relève plutôt d'un assemblage complexe, sophistiqué, non linéaire des compétences, connaissances, informations de chacun où les expériences de tous vont renforcer la spécificité de la prestation. Dès lors, comme dans la coopération prestataire-client, dans le cas d'une coopération entre plusieurs producteurs, la prestation de service s'inscrit dans la durée des relations et interactions.

Dans la relation de service, il est également fondamental de tenir compte du temps de la formation du client, de la "construction du client" (A. BARCET 1998). En effet, si la prestation de service part des réactions du client, de ses projets, de ses besoins, elle est toujours une réponse construite par l'offreur, elle ne s'impose pas d'elle-même. ‘"Plus la solution implique de rentrer dans une certaine intimité avec le client, plus la solution cherche à aller au-delà des habitudes, des manières de faire, plus cette réponse remet en cause les solutions dominantes et collectives, plus elle aura de possibilités pour s'imposer. L'offreur de service devra construire le système du client, pour faire accepter son idée"’ (A. BARCET 1998, p. 39). Dès lors il semble très important d'introduire dans la relation de service une phase de "construction du client". Toujours en nous appuyant sur les travaux d'A. BARCET (1998), cette nécessité se justifie par ces arguments :

  • d'une part, la réponse apportée par l'offreur n'est pas transparente pour le client, il doit anticiper les effets et les qualités du service. Les éléments tangibles qui entourent la prestation (technologie par exemple) peuvent certes faciliter la perception, mais ils n'informent pas sur la totalité du service. Autrement dit, la solution apportée ne s'impose pas par sa dimension "technologique" (comme pour les biens), aussi, l'absence ou la difficulté de "jouer" de cette dimension renforce la difficulté d'imposer la solution ;

  • d'autre part, dans certaines situations le client peut "faire lui-même", et le recours à un prestataire de service n'est qu'une alternative parmi d'autres, aussi est-il important pour l'offreur de justifier les avantages de sa solution ;

  • enfin, comme le client peut être acteur dans le déroulement du service, il devient nécessaire de lui apprendre à "tenir sa place". Il y a donc un processus d'apprentissage qui porte sur les comportements, la place et les actes que le client doit avoir, sur les informations qu'il doit mobiliser.

En fait, la "construction du client" prend deux formes : une forme de communication avec le client, qui est toute à la fois une phase de persuasion, de transmission de connaissances sur ce qu'est le service, il s'agit de convaincre et de rendre transparent le service ; et une forme d'apprentissage où il s'agit d'éduquer et de former le client, pour que ses actes et ses comportements soient adéquats à ce qui a été prévu. Reste que la "construction du client" s'inscrit aussi dans la durée des relations et des interactions.

Notes
333.

L'examen de la pratique concrète des activités de conseil entre 1987 et 1991 dans plusieurs pays européens (J. GADREY et alii 1992) conduit à distinguer trois niveaux de sophistication des interfaces :

- un individu chargé de "suivre" l'avancement de la mission et d'en rendre compte ensuite aux responsables concernés. Cela suppose, en général, que la mission soit découpée en "étapes" donnant lieu chacune à un bilan ;

- un "groupe de suivi" de spécialistes internes qui se réunissent à intervalles réguliers avec les consultants (ou certains d'entre eux) avec la double mission de veiller à l'avancement des travaux et d'apporter des éléments d'information, de rectification et de critiques ; ce groupe aurait plutôt une fonction de contrôle ;

- un "groupe de projet" à l'intérieur duquel consultants internes et externes travaillent de concert, soit tout au long de la mission (groupe permanent), soit à certaines étapes décisives, selon leurs compétences propres, et en définissant conjointement l'organisation de leur travail ; ce groupe a plutôt une fonction de coproduction.