2 - Le temps de la valorisation

Une fois le processus de prestation terminé, le client se retrouve seul. Le résultat du processus de prestation n'a pas d'intérêt en lui-même, mais il est le signe pour un offreur de la fin de la prestation de service (c'est par exemple la remise d'un rapport dans une prestation de conseil). Il n'est qu'un résultat intermédiaire, il n'est donc pas le service lui-même mais la manifestation apparente du service (A. BARCET 1998). Les véritables effets du service vont se manifester dans le processus qui suit le processus de prestation, c'est-à-dire dans le processus d'utilisation.

Le processus d'utilisation peut conduire à différents types d'effets, pas toujours immédiats quand ils concernent le futur (par exemple l'effet d'une formation), pas toujours explicites (par exemple l'effet d'un service peut être d'empêcher l'apparition d'un coût ou d'un dysfonctionnement futur), ou qui vont au-delà du monétaire (par exemple les services de communication, de formation). La prestation conduit également à des effets pour l'individu et pour son environnement. Il y a alors des effets internes (assimilables par celui pour qui le service est réalisé), et des effets externes (car d'autres acteurs sont aussi concernés).

Le processus d'utilisation est au coeur du système du client, nous parlons de système car il s'agit d'un véritable processus économique où il s'agit d'utiliser, dans le sens de mettre en mouvement ou d'activer, les ressources et valeurs créées dans le processus de prestation. Ceci implique la prise en compte du temps qui peut apparaître pour certains comme un coût (une perte de temps), ou bien comme un investissement. C'est plutôt le temps comme investissement qui nous semble ici important étant donné son impact dans la valorisation de la relation de service. Ainsi les effets d'une prestation seront d'autant plus importants que le client aura pris du temps pour s'approprier cette prestation, autrement dit qu'il aura participer à son élaboration. Cela signifie également que le rejet d'une prestation ne tient donc pas uniquement à la qualité intrinsèque de la prestation, mais aussi à la forme explicite de l'appropriation par l'utilisateur.

Dès lors, la "construction" préalable du client est fondamentale afin de définir les actes et les comportements nécessaires pour que les effets attendus soient présents, concevoir les processus d'apprentissage pour que le concept soit effectivement réalisé. Le client, dans le processus de prestation, se retrouve au milieu d'une masse d'informations, la difficulté sera pour lui de se les approprier, de les intégrer, de les assimiler, autrement dit de transformer ces informations en connaissances. En fait, accumuler de l'information n'est pas synonyme d'accumulation de connaissances. Les informations correspondent aux données parfaitement standardisables et transférables. Par contre la circulation et le partage des connaissances relèvent de processus d'interprétation et de communication interpersonnelles très complexes. La connaissance est un processus cognitif qui permet de construire des représentations qui à leur tour permettent l'action. Le prestataire dispose de connaissances individuelles ; par un processus d'objectivation, il les transforme en informations qui seront transmises au client, mais celui-ci, pour véritablement se les approprier devra les transformer en nouvelles connaissances au travers d'un processus d'assimilation et de cognition. Dès lors la participation du client au processus de prestation (la coproduction) va permettre de valoriser (plus tard) la prestation dans le processus d'utilisation, si et seulement si le client a intégré les nouvelles informations transmises et les a transformées en connaissances. Bien évidemment tous ces processus (d'objectivation, d'assimilation, de cognition) n'ont de sens que dans la durée et dans les relations interpersonnelles.

Du côté du prestataire les choses sont un peu différentes. Il doit développer des compétences pédagogiques pour transmettre ses connaissances au client. Ainsi, à côté du "savoir", du "savoir-faire professionnel", il doit développer un "savoir-être" en relation mais aussi et surtout des capacités pour "faire-savoir". En effet, à l'issue du processus de prestation, le client se retrouve seul, mais cela ne pose pas de problème et conduit au succès de la prestation si le client se débrouille pour valoriser la prestation, c'est-à-dire s'il mobilise les informations transmises par le prestataire à l'occasion de la relation de service. Le prestataire doit donc être capable de se faire comprendre, de transformer ses connaissances spécifiques en informations au client (par un processus d'objectivation des connaissances et de transformation en informations). Là encore ce transfert n'est pas instantané, il demande plus ou moins de temps selon les clients (importance des dimensions psychologiques et sociologiques), selon leurs cadres de référence, leurs connaissances, leurs histoires.

De plus, la mission constitue pour le consultant une nouvelle expérience qui génère des valeurs et des ressources, qui produit des informations nouvelles. Afin de tirer profit de la mission, il devra chercher, lui aussi, à intégrer les nouvelles informations et les transformer en connaissances (processus d'assimilation et de cognition)334. De même, selon les dispositifs de coordination internes (du cabinet auquel il appartient) et notamment selon l'importance donnée à la circulation de l'information parmi les membres du cabinet, il lui sera possible de diffuser ces nouvelles informations au reste du cabinet, c'est-à-dire que ces informations peuvent participer à un processus collectif d'acquisition et d'élaboration de connaissances et de pratiques, autrement dit ces informations peuvent contribuer au remodelage permanent de l'organisation (apprentissage organisationnel). Mais comme pour les autres transferts, celui-ci n'est pas instantané mais s'inscrit dans la durée et dans les relations interindividuelles. Reste que les connaissances tacites ne peuvent être transférées, telles qu'elles, elles impliquent d'être objectivées, mais pour cela il faut une certaine maturité dans la "connaissance de sa connaissance", donc il faut encore du temps pour formaliser a posteriori une démarche mise au point empiriquement. C'est finalement au fil des expériences de terrain qu'un consultant va pouvoir construire des méthodes spécifiques de travail, des procédures types, des "techniques" immatérielles, c'est-à-dire qu'il pourra formaliser et codifier ses connaissances et de cette façon elles pourront être réutilisées.

D'une manière générale et par rapport au temps de la valorisation, il est fondamental de remarquer qu'une part considérable de l'activité économique moderne consiste à "mettre en forme" des informations, des relations, des processus..., du côté du client, comme du côté du prestataire. Les compétences de mise en forme ont certes besoin d'un socle générique important, mais elles sont en même temps très imbriquées dans l'expérience. Elles sont donc difficiles à mesurer, à stabiliser, à normaliser et sont aussi "dépendantes du chemin".

Notes
334.

"Il n'y a pas de flexibilité durable sans mémoire, sans accumulation d'expériences mobilisables face à des situations nouvelles. Plus le répertoire est riche et maîtrisé, plus la flexibilité est grande" (P. VELTZ 1996, p. 234).