1 - Le concept de proximité

Le recours à la notion de proximité dans la discipline économique demeure relativement récent338. Cela semble lié à un double phénomène : d'une part, un accroissement de l'utilisation courante du terme dans les années quatre-vingt, en liaison avec le développement de formes productives spatiales apparemment nouvelles (de types "technopoles") ou accompagnant la recherche de nouvelles modalités de politique économique ou sociale ("emplois de proximité"), ou bien encore définissant des champs stratégiques nouveaux pour les firmes ("services collectifs de proximité") dans un contexte paradoxal de globalisation ; d'autre part, au sein des travaux de recherche économique, la référence apparaît de plus en plus souvent de manière explicite (on la trouve surtout dans les travaux portant sur l'innovation).

La prise en compte de l'espace dans les rapports économiques s'effectue dans le cadre marginalisé d'une théorie de la localisation qui raisonne en termes de distance. La distance est définie comme un coût de résistance aux déplacements : c'est la friction de l'espace qui, économiquement, va être exprimée en coûts de transport. Au sein d'une théorie de l'allocation des ressources, la localisation va alors dépendre d'un principe de minimisation de ces coûts (mesurés à partir d'un "centre"), à partir d'une connaissance a priori de toutes les solutions possibles339. Mais, le travail important réalisé sur la notion de distance ne lève pas les contraintes initiales, à savoir :

  • la difficulté de s'émanciper d'une hypothèse d'espace homogène, ou bien les hétérogénéités étant admises, la mise hors champ de l'analyse de leur formation (statut du "centre", des "agglomérations") ;

  • l'intégration de l'espace dans une théorie statique de dotations de facteurs à maximiser, avec les hypothèses habituelles de rationalité des agents : la localisation est le résultat d'un calcul rationnel sur les avantages présentés par des différences exogènes de ressources, leur accès dépendant de la distance ;

  • le rôle du marché et des prix comme institution permettant d'assurer l'information et la mesure des coûts de distance, à l'instar des autres coûts.

Finalement la notion de distance prend un sens très particulier qui explique pour une part la volonté contestatrice d'introduire une autre notion, liée à un autre cadre, celle de proximité. Comme le souligne M. BELLET et T. KIRAT (1998, p. 29) ‘"(...) il s'agit bien de reprendre le rapport qui s'est constitué, de manière dominante, entre la théorie économique et l'analyse spatiale, avec la signification particulière donnée alors à la distance"’. La notion de proximité cherche à rendre compte de manière différente des phénomènes spatiaux (polarisation / dépolarisation), mais elle cherche également à enrichir certaines notions centrales de la théorie économique (la dynamique, la coordination, etc.).

Dès lors, l'usage du terme "proximité" traduit l'intérêt porté aux interactions, tout en intégrant les phénomènes spatiaux sous une autre forme qu'au travers de la notion de distance. Plus précisément, ce terme repose sur ‘"(...) l'hypothèse indissociable de séparation des individus et des activités et en même temps de leur lien social. Il dépasse donc la connotation spatiale ou géographique qui peut lui être intuitivement associée, mais prétend néanmoins en rendre compte"’ (M. BELLET et T. KIRAT 1998, p. 30). Ainsi son contenu d'interaction et de dynamique le différencie du terme "distance". De plus, le fait de prendre effectivement en compte le caractère situé des agents et des actes permet d'interroger les liaisons entre les individus (au lieu de les postuler) ; la proximité peut alors s'analyser comme favorisant le développement du marché. Au préalable il est nécessaire de creuser cette notion et de relever les formes de proximité existantes.

Notes
338.

Cependant, on peut retrouver la notion de proximité dans l'ouvrage de A. MARSHALL de 1906 et plus précisément la notion de proximité spatiale.

339.

Voir notamment le travail initiateur de J. H. VON THÜNEN au début du XIXème siècle, celui de C. PONSARD, en passant par A. WEBER, W. ISARD, A. LÖSCH et d'autres.