2 - Les formes de proximité dans le conseil

Le concept de proximité rime avec interaction et dynamique, cependant afin d'éclaircir ces rapports, il nous faut revenir sur les trois notions centrales : la proximité géographique d'une part (a-) et la proximité socio-économique d'autre part (b-) et la proximité cognitive enfin (c-).

a - La proximité géographique

La proximité géographique (ou proximité physique) renvoie à la localisation des interactions dans un espace-plan déterminé, à des relations d'ordre spatial (rapport à un même lieu). Plus précisément, les agents économiques ou les individus sont considérés comme étant géographiquement proches quand ils peuvent entretenir des relations de face à face quotidiennes.

Depuis le début des années 90, il est courant d'énoncer que la compétitivité des entreprises se construit par la mobilisation de savoirs et de connaissances. En même temps, les recherches soutiennent que l'avantage concurrentiel (re)devient fortement dépendant de leur localisation en raison des ressources et du potentiel de relations entre acteurs que le territoire offre. Ainsi, le territoire contient en lui un potentiel -des acteurs variés- dont la dynamique relationnelle va contribuer, ou non, à un apprentissage et à une diffusion de nouveaux savoirs organisationnels340.

Les recherches réalisées dans le domaine de la géographie des innovations insistent souvent sur le rôle joué par la proximité géographique dans les processus de diffusion qu'il s'agisse des firmes privées ou des actions entreprises par les pouvoirs publics. Elles reposent sur l'idée que la prise en compte des facteurs géographiques permet de mieux comprendre les modalités d'organisation des différents types de savoirs utilisés dans les opérations de production et de commercialisation, mais également sur l'hypothèse que ‘"le savoir traverse les corridors et les rues plus facilement que les continents et les océans"’ (M. P. FELDMAN 1994). Même si les informations peuvent être transmises à distance, la transmission des savoirs nécessiterait ainsi des communications et interactions répétées.

En conséquence, la proximité géographique apparaît comme une condition propice à un partage efficace du savoir, particulièrement dans le cas d'activités fortement utilisatrices de savoir tacite.

Plusieurs arguments justifient le rôle joué par la proximité géographique dans les activités de conseil :

  • ces activités sont caractérisées par le poids important des connaissances tacites ;

  • plus les connaissances sont tacites, plus la relation de face à face est nécessaire ;

  • plus la fréquence des relations de face à face est élevée, plus le besoin d'une proximité physique permanente est important.

La question est de savoir si les technologies de l'information et des communications (TIC) peuvent changer fondamentalement cette situation. Le point de vue le plus couramment avancé est que les TIC ne modifient pas fondamentalement la contrainte de proximité physique. En effet, les TIC accroissent la possibilité de transmettre à distance les connaissances qui sont déjà codifiées. D'un lieu éloigné, on peut ainsi plus facilement accéder à des bases d'information, consulter un mode d'emploi ou une publication, encoder des textes, des données ou des images... Les TIC élargissent donc la coordination à distance de processus reposant principalement sur l'échange de connaissances codifiées. Aussi, comme les activités de conseil supposent toujours le transfert de connaissances tacites, la contrainte de proximité ou de face à face reste très forte341.

Si les TIC ne permettent pas l'échange de connaissances tacites, ils peuvent toutefois servir de support à l'échange de connaissances tacites qui leur sont spécifiques. Par exemple, les "computer conferencing" ne remplacent pas les réunions de face à face mais créent un nouveau mode d'échange dont les règles sont différentes, de même l'usage d'"Internet" dans les forums de discussion permet de se mettre en contact avec des individus que l'on n'a jamais rencontrés au travers d'un mode de communication différent de celui des rencontres physiques, c'est-à-dire un mode utilisant d'autres connaissances tacites.

Certes, il est vain d'attendre des TIC qu'elles réalisent à distance l'échange des connaissances utilisées dans le face à face. En effet, la "présence sociale" que permet la proximité physique, c'est-à-dire la conscience de l'autre qu'elle donne dans les relations interindividuelles, ne peut être reconstituée telle quelle par un moyen technique. Les TIC ne suppriment donc pas la nécessité du face à face. Elles établissent au contraire une complémentarité dynamique entre le face à face et la relation à distance342.

Notes
340.

L'approche géographique y est pour beaucoup dans le renversement progressif du lien de causalité entre les caractéristiques organisationnelles des firmes et des institutions et le territoire sur lequel elles sont implantées. Des auteurs comme A. WEBER (1929) ont bâti une théorie de la localisation en se fondant sur des caractéristiques d'allocation des ressources. L'organisation des relations économiques subit le territoire et les choix de localisation dépendent de données comme les coûts de transport ou l'implantation de la concurrence. Pourtant, si les déterminants territoriaux conservent leur importance, il semble de plus en plus que le rapport de l'organisation économique à l'espace géographique s'inverse (P. VELTZ 1993 b). La "valeur" du déploiement spatial réside dans les qualités de l'organisation des rapports unissant les acteurs qui l'habitent : il ne s'agit plus seulement de structurer des rapports économiques autour de ressources préexistantes, mais bien plus de créer des ressources à l'intérieur d'un espace organisationnel pré-défini. Ces ressources, principalement de nature informationnelle, sont le fruit de processus d'interactions et d'apprentissages collectifs et leur évolution détermine les capacités d'innovation du système considéré. En d'autres termes, les connaissances et les compétences en présence s'enrichissent en se confrontant : la dynamique de l'articulation de ces savoirs différenciés devient centrale.

341.

Les TIC ne peuvent pas faire disparaître les connaissances tacites car :

- le codification a un coût qui croît avec le degré tacite de la connaissance. Il est souvent plus efficace et moins coûteux de recourir à l'échange de connaissances tacites que de les codifier pour les transmettre (cf. les limites des systèmes experts in A. HATCHUEL et B. WEIL 1995) ;

- le progrès des sciences et des technologies reconstitue sans cesse de nouvelles connaissances tacites car les connaissances nouvelles émergent sous la forme de savoirs non immédiatement codifiables et transmissibles à un grand nombre ;

- les connaissances tacites et les connaissances codifiées sont complémentaires (comme le souligne I. NONAKA 1994, la transmission de connaissances codifiées suppose la mobilisation de connaissances tacites. Inversement, la transmission de connaissances tacites s'appuie sur l'utilisation de connaissances codifiées) ;

- enfin, l'usage des TIC demande le partage de connaissances tacites, c'est-à-dire de codes et de pratiques qui sont, pour l'essentiel, implicites. C'est la raison pour laquelle les outils de communication à distance sont surtout utilisés par des individus qui se rencontrent fréquemment.

Pour toutes ces raisons, les connaissances tacites seront toujours utilisées dans les processus de recherche et d'innovation. En conséquence, les relations de face à face s'avèrent nécessaires pour les transmettre. Le rôle de la proximité physique reste donc important.

342.

Les TIC permettent une redondance de l'information (cf. l'e-mail) qui est un des grands avantages de la proximité physique. Certaines technologies (l'hypertexte par exemple) utilisent des modes de raisonnement qui caractérisent les connaissances tacites : la métaphore (sur la caractérisation des connaissances tacites par la métaphore cf. I. NONAKA 1994) et l'analogie notamment. Ainsi, pour reprendre le langage des sociologues, les TIC ne servent pas seulement de support aux liens forts mais aussi aux liens faibles.