b - La proximité socio-économique

Deux arguments viennent nuancer la thèse précédente. Le premier souligne la possibilité de satisfaire la contrainte de proximité physique par la mobilité temporaire des agents et non par leur co-localisation permanente. Le second met l'accent sur une autre forme de proximité, la proximité socio-économique qui permet aux agents distants d'entrer en contact et de partager des connaissances tacites.

La nécessité d'une relation de face à face pour transférer des connaissances tacites n'implique pas que les individus soient localisés les uns près des autres. Elle implique seulement que ces individus se rencontrent. Dans le conseil, le problème est résolu par la mobilité des consultants. C'est le cas lorsque le processus n'implique pas en permanence l'échange de connaissances tacites. L'alternance entre des moments de coordination à proximité et des moments de coordination distants est favorisée par l'abaissement des coûts de transport et le développement des moyens de transport à grande vitesse. La mobilité temporaire apparaît ainsi comme une solution efficace au problème de coordination des individus partageant des connaissances tacites.

La proximité géographique n'est pas la seule forme de proximité qui contribue au transfert des connaissances tacites. Il y a aussi ce que nous appelons la proximité socio-économique. Elle va faciliter les contacts entre l'offre et la demande et par la suite permettre de partager et d'échanger des connaissances tacites. En effet, les rencontres offre-demande sont favorisées quand les relations entre les individus s'inscrivent dans leur voisinage socio-économique. Plus précisément, quand des individus ont une même identité culturelle, une même culture sociale, appartiennent (ou ont appartenu) à une même communauté professionnelle..., on parle de proximité socio-économique. De même, les organisations, les secteurs, les structures sociales sont caractérisées par des systèmes de valeurs et de représentations du monde qui tendent à rapprocher les individus. Par exemple, un client, en choisissant un prestataire de son voisinage socio-économique, sait que dans telles situations données il aura un comportement en cohérence avec ses valeurs et ses attentes. En fait, la proximité socio-économique signifie un certain degré d'affinité, de communauté entre les visions des divers acteurs, une vision partagée minimale et générale des processus (c'est-à-dire un fond culturel de base, un bagage technique, un corpus d'information générale et professionnelle sur l'environnement). Dès lors, le transfert de connaissances tacites en sera facilité.

On peut même soutenir que la proximité socio-économique est un cadre d'échanges de connaissances tacites plus important que la proximité géographique. En effet, des individus qui sont simplement localisés les uns près des autres peuvent avoir tendance à se comporter comme des étrangers : la proximité géographique n'est efficace que si elle recouvre des liens socio-économiques. Alors qu'à l'inverse, on peut imaginer des individus partageant des connaissances tacites communes sans être physiquement les uns près des autres. Ainsi, la proximité physique (ou géographique) n'est pas le seul moyen dont les agents disposent pour se rencontrer et se coordonner dans le cadre des activités de conseil.

Cela dit, la proximité socio-économique ne garantit pas la stabilité du processus d'apprentissage interactif. Ce n'est pas parce que les individus sont proches socio-économiquement qu'il n'y aura aucun problème de transfert des connaissances (du prestataire au client). Le transfert n'est pas un simple transfert à l'identique, à l'instar de deux tirages de la même photographie, sur le même papier, avec les mêmes produits et les mêmes procédés. Au contraire, dans presque tous les cas, il faut d'une manière ou d'une autre, redéfinir le savoir pour l'adapter au nouveau support (le client) et à ses caractéristiques propres. Par conséquent, plus les supports sont dotés de caractéristiques cognitives différentes, plus la redéfinition des savoirs est importante. Inversement, l'apprentissage traditionnel interindividuel va assurer un transfert des connaissances d'autant plus efficace que les deux individus concernés s'avèrent posséder des caractères cognitifs qui en font deux êtres semblables, ou du moins proches l'un de l'autre. Dès lors, il nous semble important d'intégrer la notion de proximité cognitive.