c - La proximité cognitive

La proximité socio-économique constitue un facteur puissant de cohésion (de mise en contact) lié à une vision minimale et générale partagée au départ. Mais elle ne réduit pas les incertitudes inhérentes au processus d'interaction (relations prestataire-client) qui sont de deux types : d'une part, les incertitudes liées à l'imprédictibilité du résultat de la coopération, indépendamment de tous les facteurs contingents, d'autre part, les incertitudes liées à la connaissance imparfaite du client. Aussi de nombreuses interrogations fragilisent le contexte coopératif : quelles sont les ressources effectives du client ? quels sont ses objectifs et ses stratégies ? quel sera son comportement dans l'appropriation des ressources créées en commun ? l'association s'appuie-t-elle sur une réelle complémentarité ?

La proximité cognitive peut alors se comprendre comme un facteur réducteur d'incertitudes et comme un facteur garantissant sous certaines conditions la stabilité des processus d'apprentissage interactifs. Elle va donc faciliter la construction de la solution et les transferts et appropriations de connaissances par le client, en limitant par exemple les coûts de communication qu'engendre une différenciation trop marquée des connaissances. D'une manière générale, la proximité cognitive implique que l'on va retrouver (et même si les individus sont éloignés) des façons communes de penser, des interprétations proches, des savoirs collectifs similaires, des routines et règles de coopération partagées, des formes sociales de l'articulation semblables (langages, conventions, codes utilisés).

Finalement, en nous intéressant aux dimensions cognitives, on fait en même temps un retour à la singularité. Les entreprises clientes sont très différentes (par la taille, par le type de compétence en interne, par les technologies et les connaissances scientifiques maîtrisées, par les connaissances tacites possédées, par le type de produits fabriqués, par les revenus, par la temporalité -certaines travaillent dans l'urgence, d'autres sur des périodes plus ou moins longues-, etc.). Aussi les consultants doivent développer un certain type de connaissance suivant les clients, c'est-à-dire que la connaissance construite et transférée doit être adaptée à l'interlocuteur ; elle doit pouvoir être appropriée par celui-ci. Comme un consultant ne peut pas tout réaliser, ne peut pas s'adapter à tous les niveaux cognitifs, il y a une segmentation du marché du conseil en management (par exemple, des conseils s'adressent plutôt à la PME, d'autres à la grande entreprise, etc.).

Cela dit, même si le prestataire se spécialise il y aura toujours des écarts cognitifs entre les parties prenantes liés à leur socialisation passée. Aussi, dans le processus d'utilisation, lorsque le client se retrouve seul, la mise en mouvement qu'il effectue des connaissances reçues du consultant (lors du processus de prestation) peut se traduire par des divergences cognitives343. Autrement dit, la divergence cognitive va entraîner, au moment de l'échange, une composition nouvelle de l'information (par opposition à la proximité cognitive). Par conséquent, les problèmes ne proviennent pas toujours de la qualité intrinsèque du service mais de la forme explicite de l'appropriation par l'utilisateur. Le prestataire doit alors tenter d'influer (au préalable, dans le processus de prestation par la "préparation" du client) sur la manière dont le client contrôlera sa propre action (car il se trouve seul dans le processus d'utilisation). Le consultant doit passer d'un ‘"ministère d'autorité à un ministère d'influence"’ (P. LORINO 1995), c'est-à-dire que le consultant devra apporter au client des moyens cognitifs. Autrement dit, le consultant, n'intervenant pas dans le processus d'utilisation, devra faire appel à une connaissance des conditions locales d'appropriation du client pour influer sur elles ; le consultant va alors chercher à agir sur les conditions de l'action. Il doit donc donner au client des moyens cognitifs nécessaires à l'appropriation et à l'utilisation de l'information. Il va transformer les représentations du client pour les rendre capables d'une telle assimilation344.

Pour terminer, il nous semble que toute théorie de la production doit obligatoirement s'intéresser à la dimension cognitive. On ne peut penser correctement l'activité de conseil, le processus de prestation, le processus d'utilisation et le processus d'évaluation sans d'abord s'interroger sur le degré de proximité cognitive entre les parties concernées.

Notes
343.

"De nombreuses innovations techniques ont été ainsi «détournées» des utilisations anticipées par leur concepteur" (A. BARCET 1998, p. 14).

344.

P. LORINO (1995) parle alors d'accommodation de la structure cognitive ou de traduction cognitive.