a - La dynamique territoriale et les réseaux locaux

L'association proximité physique et proximité socio-économique va entraîner l'apparition de réseaux locaux et donc faire émerger une dynamique territoriale. Plus précisément, c'est parce qu'il y a convergence entre proximité physique et proximité socio-économique qu'un mode de création de ressources mobilisant des processus territoriaux (et donc des réseaux locaux) émerge. La proximité spatiale des relations est donc indissociable des autres dimensions qui les contextualisent -d'ordre social, professionnel, technique, etc.- (RERU 1993).

Les dynamiques territoriales se caractérisent alors à travers un certain nombre de comportements spécifiques qui s'inscrivent dans une démarche collective, interactive et de long terme. Il ne s'agit donc pas de simples relations de marché qui, insérées dans une logique d'échange, relèvent d'une temporalité de très courte période. Au contraire, l'objet analysé étant à la fois le produit de mutations globales imprimant localement ses traces et le résultat d'un cheminement spécifique à un territoire, les rapports de proximité (de même que les réseaux locaux) participent à ce processus cumulatif et se construisent eux-mêmes dans le temps. De ce fait, il s'agit de processus irréversibles résultant d'interactions entre les agents et les activités au sein de territoires. Ces interdépendances sont au coeur des combinaisons créatrices ; elles déterminent la cohérence des économies territoriales, dessinent de nouvelles morphologies productives et notamment des réseaux productifs locaux.

La prise en compte du contexte socio-économique et l'intégration de la dimension territoriale semblent être une clé pour mieux comprendre les dynamiques productives et l'émergence spontanée de réseaux locaux. Ce qui signifie que nous refusons de réduire les spécificités et la complexité des diverses situations locales des entreprises ‘"à des manifestations contingentes d'un paradigme universel de rationalité économique"’ (G. BECATTINI 1989, p. 7). Ainsi, en donnant de l'importance à la sédimentation de spécificités historiques, culturelles et sociales, nous voulons souligner l'impact des interdépendances et des relations existant entre les entreprises et les autres acteurs locaux (économiques, sociaux, institutionnels). Celles-ci agissent sur le territoire et participent à la constitution des réseaux locaux. Autrement dit, ces évolutions contrastées ne peuvent être comprises à partir de la seule prise en compte de l'évolution des forces exogènes et globales (c'est-à-dire celles dites "venant du haut") ; elles relèvent aussi de la dynamique interne même de l'espace en question, dynamique fondée sur la valorisation des conditions locales, endogènes et spécifiques (les conditions sociales, entrepreneuriales et organisatives) (S. CONTI 1996)345.

Il nous semble alors que les explications abstraites et globales du développement des marchés doivent être enrichies des phénomènes locaux et spécifiques. Ceci implique que nous passions du territoire à la territorialité afin de placer l'espace vécu des acteurs au coeur du processus de création de richesses et de développement des marchés. Ainsi, chaque espace connaît une évolution spécifique (et donc différente de celle d'un autre espace) et voit apparaître ou non des réseaux locaux qui ont leur propre dynamique.

A côté de ces réseaux locaux "spontanés", il existe des réseaux locaux institutionnalisés. Il s'agit de structures mises en place par des institutions. Mais ces initiatives locales institutionnalisées ne sont pas toujours des succès. Une étude de A. RALLET et A. TORRE (1999) met l'accent sur l'articulation délicate des réseaux locaux spontanément créés par les acteurs économiques, et des réseaux locaux développés par les institutions346. Même si l'idée selon laquelle les réseaux locaux jouent un rôle de premier plan dans le développement économique et technologique des régions est aujourd'hui très répandue ("réseaux locaux", "systèmes localisés de production", "systèmes locaux d'innovation"), il est difficile d'imposer de manière volontariste des synergies localisées, de mettre en relation des acteurs locaux appartenant à des mondes différents. Cela est lié au fait d'une part, que les connaissances tacites sont plus facilement transmissibles à l'intérieur d'un même monde professionnel (même à distance) qu'entre des mondes différents (même à proximité), et d'autre part, que la mise en contact d'acteurs physiquement proches les uns des autres n'est pas suffisante s'ils n'entretenaient pas auparavant des relations à caractère organisationnel347.

Notes
345.

L'étude sur la dynamique des services dans l'agglomération lyonnaise avait précisément pour but d'identifier la dynamique d'apprentissage collectif qui peut prendre forme au sein du territoire (cf. A. GRIMAND et alii 1999).

346.

L'étude porte sur la Corse, où les réseaux locaux spontanés sont faiblement structurés, et sur les régions Aquitaine et Rhône-Alpes, où les réseaux spontanés sont déjà développés.

347.

On peut faire ici un rapprochement entre ces réseaux locaux institutionnels et l'étude de la dynamique des services dans l'agglomération lyonnaise (A. GRIMAND et alii 1999). L'objet de cette étude était d'appréhender les conditions de mobilisation et d'utilisation des services de conseil, d'interroger comment les ressources d'un territoire en matière de conseil sont exploitées ou non par l'entreprise, de situer la place des acteurs publics locaux dans ces relations. Après avoir repérer certaines failles dans la dynamique d'apprentissage collectif au sein du territoire (dynamique relationnelle limitée), des axes de progrès sont proposés, ils visent en fait à rapprocher, à construire une forme de proximité territoriale (en plus de la proximité spatiale) parmi les acteurs. Les axes de progrès sont au nombre de quatre :

- renforcer la fluidité et la transparence de l'information au sein du territoire économique (car faible connaissance des actions, projets, opérations qui ont lieu au niveau du territoire économique lyonnais, sentiment d'un faible bassin de ressources et de connaissances à la disposition des entreprises) ;

- contribuer à une densification du tissu économique et des relations pour faire du territoire une caisse de résonance (car du fait d'une absence de relations privilégiées avec d'autres acteurs économiques du territoire -concurrents, partenaires, institut de formation, distributeurs-, les entreprises se sentent un peu isolées et trouvent peu d'intérêt à leur localisation lyonnaise) ;

- pratiquer confrontations, rencontres et dialogues directs pour ne pas se laisser enfermer dans des schémas d'actions surannés, ni dans des effets de statut (risque de sclérose par reproduction des cadres de pensée ou des modalités d'action) ;

- éviter de nouer des relations toujours avec les mêmes acteurs (risque d'enfermement dans ces relations et difficulté de s'ouvrir à d'autres contacts).

Il est encore tôt pour connaître les résultats des propositions faites (axes de progrès), en tout cas ils permettront de voir si l'impulsion volontariste de synergies localisées est possible dans l'agglomération lyonnaise et si cette impulsion conduit à une plus grande dynamique relationnelle. Les résultats relèveront ou non les limites des vertus de la proximité géographique.